Printemps 2015. Dans la voiture, Nathalie, Ivan et leurs deux garçons, Solal et Noé, rentrent de vacances. Toutes les heures, la radio annonce en boucle que des centaines de migrants se sont encore noyés en Méditerranée. Personne ne fait rien. C'est insupportable.
Nous pourrions au moins tenter un geste individuel. Ce sera une goutte d'eau dans la mer mais qui aura peut-être valeur de témoignage. Notre maison nous permet d'accueillir quelqu'un. Profitant de la deuxième semaine de vacances, Nathalie téléphone à Amnesty, à la Croix-Rouge… puis elle est orientée sur France Terre d'Asile. Une travailleuse sociale d'un foyer pour mineurs isolés lui dit que deux jeunes sont à la rue : ils viennent d'avoir 18 ans et ne peuvent donc plus être pris en charge. Guy Marcel, un jeune Gabonais, campe sous le métro La Chapelle, où un autre migrant partage sa tente avec lui. Nous le rencontrons et lui proposons de l'accueillir chez nous et de l'aider pour ses papiers.
Une enfance douloureuse dans un village de forêt
Guy Marcel a quitté le Gabon à 15 ans pour fuir une histoire familiale douloureuse et violente. Il n'a jamais connu son père. A sa naissance, sa mère qui habite Port-Gentil l'a envoyé dans un village de forêt, sans qu'il ait jamais su pourquoi, sous la protection du sorcier du village. Il y passe son enfance, travaillant aux champs, chassant le crocodile davantage qu'il ne va à l'école. Quand il a 13 ans, son protecteur meurt. Dans un contexte de sorcellerie, il est en danger. Sa mère le fait rapatrier en ville. Il découvre une petite sœur qui l'émerveille et vit une brève période de bonheur familial. Mais sa mère tombe malade et meurt.
Un oncle, personnage alcoolique et trouble, est censé prendre en charge les deux enfants mais, après avoir fait main basse sur ce que possédait leur mère, il refuse de scolariser Guy Marcel comme celle-ci avait commencé à le faire. Il le maltraite, l'humilie le traitant de villageois, le provoque sans arrêt, essaye de le faire sortir de ses gonds pour le faire arrêter par la police où il bénéficie de complicités, étant lui-même indic.
Un soir, Guy Marcel rentre à la maison et sa sœur n'est plus là. L'oncle lui dit qu'il l'a envoyée en orphelinat. Il s'ensuit une bagarre très violente qui amène l'oncle à l'hôpital. Le lendemain, n'ayant plus personne sur qui compter, se sentant en danger et sans protection, même de la part de la police, il prend la route avec un passeur, Dédé Boy, qui lui dit pouvoir le conduire jusqu'en Algérie.
Un oncle, personnage alcoolique et trouble, est censé prendre en charge les deux enfants mais, après avoir fait main basse sur ce que possédait leur mère, il refuse de scolariser Guy Marcel comme celle-ci avait commencé à le faire. Il le maltraite, l'humilie le traitant de villageois, le provoque sans arrêt, essaye de le faire sortir de ses gonds pour le faire arrêter par la police où il bénéficie de complicités, étant lui-même indic.
Un soir, Guy Marcel rentre à la maison et sa sœur n'est plus là. L'oncle lui dit qu'il l'a envoyée en orphelinat. Il s'ensuit une bagarre très violente qui amène l'oncle à l'hôpital. Le lendemain, n'ayant plus personne sur qui compter, se sentant en danger et sans protection, même de la part de la police, il prend la route avec un passeur, Dédé Boy, qui lui dit pouvoir le conduire jusqu'en Algérie.
Voyage périlleux jusqu'à la Méditerrannée
Ils entreprennent de remonter l'Afrique. Ils passent au Cameroun, traversent le Lac Tchad en pirogue, débarquent au Nigéria où, avant de les laisser passer au Niger, les rebelles de Boko Haram les obligent à édifier un mur en sacs de sable, les exposant aux tireurs de l'armée régulière. Ils sont ensuite faits prisonniers par des Touaregs qui veulent les marier de force à leurs filles.
Plus jeune que les autres, Guy Marcel parvient à s'enfuir avec Dédé Boy. Au terme d'une remontée du Sahara, il se rend compte qu'il n'y a aucune perspective pour lui en Algérie, dans le projet de formation professionnelle comme soudeur sous-marin, auquel il rêve depuis deux ans. Il passe alors au Maroc où il séjourne près d'un an, tentant de pénétrer dans l'enclave espagnole de Melilla.
Après deux essais à la nage, un autre, particulièrement dangereux en bateau (dé)gonflable, il réussit à franchir la triple et très haute barrière le 28 février 2014 avec plus de 200 autres migrants. C'est sa septième tentative. Comme les autres fois, ils sont partis d'Oujda, pour se cacher dans la montagne du Gourougou, près de Nador. Il faut courir dans la nuit une vingtaine de kilomètres avant d'arriver à la barrière qu'ils escaladent sous les tirs de la Guardia Civil, réussissant, cette fois-ci, à la faire ployer et à se ruer vers le camp de réfugiés de la Croix-Rouge où ils sont alors intouchables.
Maintenant enfin chez nous
Guy Marcel, blessé, y restera deux mois. Il sera ensuite conduit à Madrid. La découverte de cette grande ville lui paraît un peu effrayante : les escalators, la douche qu’il prend pour une cataracte surgie du plafond béant... surtout qu'il ne parle pas espagnol. Il décide alors de poursuivre sa route jusqu'à Paris où il arrive à Gallieni le 4 novembre 2014, sans aucune idée où aller. Des migrants maliens lui indiquent un foyer et lui conseillent de dire qu'il est mineur le plus longtemps possible mais, un mois plus tard, il a 18 ans et la structure d'accueil ne peut plus le garder. Il se retrouve alors à la rue.
Printemps 2017. Guy Marcel habite maintenant chez nous depuis deux ans. Il occupe la chambre de Constance qui a pris son indépendance et il est autonome. Depuis le début, nous avons fixé comme règle que nous dînons (au moins) deux soirs ensemble, pour faire le point, et qu'il ne peut amener personne à la maison sans nous avoir demandé. Nous l'avons accompagné à la préfecture à chaque rendez-vous pour le renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour dont il a bénéficié du fait de sa demande d'asile.
Celle-ci a reçu un avis négatif et, en dépit de l'aide juridictionnelle et du conseil d'une avocate spécialisée, son recours auprès de la Cour Nationale du Droit d'Asile vient, à son tour d'être rejeté : le Gabon n'est pas un pays dangereux et Guy Marcel n'est donc pas un « réfugié », il est considéré comme un émigré « économique » indésirable. Il va lui falloir maintenant trouver le chemin incertain pour régulariser sa situation, d'autant que le seul document qu'il possède est une simple photocopie (certifiée conforme) de son acte de naissance.
Délégué de classe, sur scène, au ski...
En attendant, il est scolarisé depuis deux ans : après une 3° d'accueil, il est en première année de CAP Chaudronnerie dans un lycée pro parisien et chemine vers son projet professionnel. Il réussit brillamment en atelier et rattrape petit à petit son retard dans les matières générales. Il est délégué de classe. Il s'est fait un réseau d'amis, par le club de boxe qu'il fréquente deux soirs par semaine, par les randonnées en roller autour de Paris les vendredis soirs, par le groupe de jeunes d’horizons variés qui ont joué dans un spectacle pour lequel il a été retenu après un casting par un metteur en scène connu et plus d'un mois de répétitions quotidiennes après le lycée…
Il a découvert la neige cet hiver et ses progrès au ski ont été si fulgurants qu'il est fin prêt pour quand les jeux olympiques d'hiver auront lieu au Gabon ! Le « petit gabonais » timide qui est arrivé chez nous il y a deux ans a pris vingt centimètres et vingt kilos ; il est devenu un jeune homme musclé, élégant qui s'habille à la mode et teint en blond ses dreads locks. La route sera encore longue mais nul ne doute de son intégration.
Guy Marcel dit qu'il se sent ici enfin à sa place, qu'il a « tout » appris : à avoir des amis, à savoir comment parler avec les filles, à dialoguer avec les autres. Il a appris comment se comporter, même dans des gestes simples en société : à ne pas se sentir mal dans un ascenseur ou vomir dans le métro, à se repérer dans les transports, à manger selon nos usages à table, à apprécier toutes sortes de nourritures (sauf la viande qui reste barrée pour lui), à se sentir libre, à parler au téléphone, à écrire des SMS, à utiliser un ordinateur et envoyer un e-mail, à rester dans une maison comme un lieu de vie… et bien sûr à lire, à écrire, à aller à l'école. « Au début, je voulais oublier ce que j'avais laissé derrière », dit-il, « maintenant, je me rends compte que je ne peux pas oublier et j'apprends à vivre avec. »
Il a découvert la neige cet hiver et ses progrès au ski ont été si fulgurants qu'il est fin prêt pour quand les jeux olympiques d'hiver auront lieu au Gabon ! Le « petit gabonais » timide qui est arrivé chez nous il y a deux ans a pris vingt centimètres et vingt kilos ; il est devenu un jeune homme musclé, élégant qui s'habille à la mode et teint en blond ses dreads locks. La route sera encore longue mais nul ne doute de son intégration.
Guy Marcel dit qu'il se sent ici enfin à sa place, qu'il a « tout » appris : à avoir des amis, à savoir comment parler avec les filles, à dialoguer avec les autres. Il a appris comment se comporter, même dans des gestes simples en société : à ne pas se sentir mal dans un ascenseur ou vomir dans le métro, à se repérer dans les transports, à manger selon nos usages à table, à apprécier toutes sortes de nourritures (sauf la viande qui reste barrée pour lui), à se sentir libre, à parler au téléphone, à écrire des SMS, à utiliser un ordinateur et envoyer un e-mail, à rester dans une maison comme un lieu de vie… et bien sûr à lire, à écrire, à aller à l'école. « Au début, je voulais oublier ce que j'avais laissé derrière », dit-il, « maintenant, je me rends compte que je ne peux pas oublier et j'apprends à vivre avec. »
Un enrichissement pour nous
Pour notre famille qui s’est agrandie, c'est d'abord une satisfaction d’être un de plus. Tout en étant discret, Guy Marcel participe à la vie de la maison : il nous aide au jardin, pour des travaux de bricolage, particulièrement quand ils requièrent de la soudure, il répare volontiers les vélos... C’est ensuite un plaisir de voir tout ce qu'il peut devenir. Cela nous procure de la joie et nous donne de l'énergie.
Et puis c’est pour nous une grande source d'enrichissement. Cela nous amène à prendre conscience d'un autre mode de pensée que le nôtre, d’une autre logique, plus subjective, plus concrète, plus personnifiée, moins euclidienne peut-être, plus poétique sûrement que la nôtre, mais tout aussi efficace – sinon plus – dans l’appréhension de la réalité. Bien-sûr, pour trouver toute sa place dans notre pays, Guy Marcel doit aussi assimiler la rationalité de nos conceptions abstraites, comprendre la règle générale et les cas particuliers… mais, pour nous, c'est passionnant de comprendre pourquoi il ne comprend pas.
Notre esprit s’ouvre davantage quand il s’agit d’expliquer les notions de volume, d'onde, d'atome... à quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler. Cela nous oblige à mettre en question nos évidences. Son désir d'intégrer tous les codes, mentaux et sociaux, nous les fait mieux comprendre et relativiser. Nous mesurons la chance de nos vies en la faisant partager, et nous en savourons davantage le bonheur. Tourner un robinet et voir l'eau couler, par exemple, devient pour nous un fait tangible.
C'est le monde de demain
Notre engagement a entraîné celui d’amis qui ont participé à l’achat de son ordinateur, l’ont aidé : une cousine dentiste a réparé toute sa mâchoire malmenée par ses conditions de vie et la malnutrition, nos parents l’ont soutenu pour la lecture et le calcul.
De façon plus négative aussi, en compagnie de Guy Marcel, nous percevons concrètement les attitudes racistes auxquelles il est parfois en butte, un peu comme si nous les ressentions de l'intérieur, et cela nous arme mieux pour combattre l'intolérance et le refus de l'autre.
Ce qui nous étonne le plus chez Guy Marcel, c'est son optimisme et son enthousiasme, son sourire, sa capacité à analyser les situations et à les accepter, son absence de rancœur. Les migrants ne sont pas un fardeau mais une richesse. On ne survit pas à un tel parcours sans posséder un courage, une intelligence et une force exceptionnels. C'est la crème de l'humanité, le monde de demain. Nous ne savons pas encore quel parcours il lui faudra suivre, mais nous sommes certains que Guy Marcel trouvera sa place dans le monde d'aujourd'hui, comme il l'a trouvée chez nous.
Texte construit avec la participation de Guy Marcel, Solal, Noé , Nathalie, Ivan
(Les intertitres sont de la rédaction d'Histoires Ordinaires)