2017 07 22 Ils ont vécu à la Noé.mp3 (11.87 Mo)
Entre 1974 et 1982, la cité de transit de la Noë, à Rennes, a accueilli de nombreuses familles en situation de pauvreté. Malgré les conditions de vie très dures, les personnes qui y ont vécu évoquent avec émotion une histoire partagée, qui « n’est pas qu’une histoire humiliante ».
Les témoignages de Marcel et Annette, habitants de la cité, et de Monique , volontaire du Mouvement ATD Quart Monde qui y habitait en équipe, montrent comment la proximité, le partage et la solidarité vécus en Mouvement ont pu aider les habitants à mettre en valeur leur dignité et à faire entendre leur voix.
Les témoignages de Marcel et Annette, habitants de la cité, et de Monique , volontaire du Mouvement ATD Quart Monde qui y habitait en équipe, montrent comment la proximité, le partage et la solidarité vécus en Mouvement ont pu aider les habitants à mettre en valeur leur dignité et à faire entendre leur voix.
Témoignages d'Annette et Marcel, habitants
Annette : Je me souviens de Joël (un volontaire d’ATD), c’est lui qui permis à mon fils d’aller à Barcelone… je suis arrivée à la Noë en 1975.
Marcel : C’est mon père qui a d’abord habité la Noë, moi je suis venu plus tard.
Annette, puis Marcel : Au début on se méfiait beaucoup des « volontaires », on pensait que c’étaient des assistants sociaux, on ne racontait pas n’importe quoi, de peur qu’ils nous enlèvent les gamins…
Jeanine (une bénévole) : Je me souviens d’une dame qui avait toujours sa petite fille dans ses bras, elle m’a dit : « ils m’ont enlevé les deux autres, celle-là, il faudra me l’arracher. »
Marcel : Des actions ont été mises en œuvre ; quand on a pris conscience que les volontaires n’étaient pas des assistants sociaux, car on s’est méfié pendant longtemps, on n’était pas forcés de les croire , ça a pris du temps, après notre regard a changé, on a fait de belles choses, des jardins, des kermesses… La confiance s’est créée petit à petit auprès des volontaires. Certains habitants sont devenus des militants d’ATD, il y a eu les premières UP (universités populaires) à Paris, c’est là qu’Annette a rencontré le Père Joseph.
Annette : On allait aux UP à Paris dans un petit car, c’était à « La Cave ». Les UP, ça nous a aussi permis de faire connaissance avec des gens d’autres villes de France : Versailles, Caen… plus tard, on a reçu les gens de Caen et de Versailles, puis on a été invités chez eux, on logeait chez les parents des gens d’ATD.
Marcel : Il y avait Monique, une volontaire. Le Père Joseph lui avait demandé d’aller voir les gens dans les campagnes. Elle partait avec sa 2CV bleue, puis elle retranscrivait les paroles de chaque personne pendant les entretiens, elle envoyait ça à Pierrelaye ; pour les UP, il y avait aussi Madame HL qui venait à la Noë fabriquer des marionnettes avec les enfants, c’était une ancienne déportée. C’est aussi à cette époque qu’il y a eu cette alliance avec la CAF, les Volontaires d’ATD ont fait le lien entre la CAF et les gens de la Noë, ils ont pu travailler ensemble, se parler : un début du croisement des savoirs…
Annette : C’était le bon temps, malgré que…
Marcel : La Noë, ça a été pour moi le début de ma reconstruction, mon embauche chez l’entreprise D. comme ferrailleur. D’ailleurs c’est à la Noë qu’a été trouvée une solution pour le Mouvement, qui cherchait un local à Rennes ! Tout est parti de l’intervention des volontaires auprès de l’évêque du diocèse , Mgr Gouyon. On savait que le Secours Catholique avait été hébergé dans une maison qui appartenait au diocèse, dans le centre de Rennes. L’évêque est venu un soir à la Noë à la rencontre des volontaires et des habitants. Un militant, qu’on appelait le père B., est entré dans la pièce et a dit : « Il y a du beau monde là- dedans ! » puis : « Vous venez pour parler de la misère , et bien moi je vais vous en parler, de de la misère ! A la fin de la rencontre, l’évêque a décidé de donner la maison à ATD Quart Monde, c’est devenu la Maison Quart Monde.
Témoignage de Monique, volontaire
Je pourrais raconter une histoire qui m’a le plus marquée ; on était jeunes, incompétents, mais avec une volonté farouche de faire que les choses changent, on voulait vivre ce Mouvement qui nous enthousiasmait. Nous étions deux jeunes volontaires (Jacques B. et moi-même), et une religieuse volontaire, infirmière à mi-temps. Nous habitions la cité, au n°17, et il y avait une équipe de travailleurs sociaux qui intervenaient dans un local social, à l’entrée de la cité (une assistante sociale, une travailleuse en économie sociale et familiale, une travailleuse sociale). C’était un projet que le directeur de la CAF voulait pilote pour la ville de Rennes, de faire travailler ensemble des membres d’ATD et des travailleurs sociaux avec des familles vivant l’exclusion sociale. Ce n’était pas encore le croisement des savoirs, on disait « développement communautaire en partant des plus pauvres »
Jacques avait 21 ans, moi 24…. Notre jeunesse et notre fragilité devaient toucher les habitants, mais pour eux , à notre arrivée, on était la police déguisée… Le local social avait été très dégradé par les habitants, il y avait de la violence dans les relations. Il a fallu du temps pour que la confiance s’installe et que les projets puissent naître, déjà avec les habitants mais aussi avec les travailleurs sociaux.
C’était un projet très novateur car à l’époque les volontaires étaient méfiants envers les travailleurs sociaux et réciproquement.
Ce qui a changé complètement le regard sur nous, c’est quand on a proposé aux habitants de la cité de découvrir « la Cave » à Paris. A la Noë, il y avait beaucoup de placements d’enfants, qui engendraient une souffrance terrible, et montaient les habitants les uns contre les autres. Il y a eu des dénonciations entre familles…
Un jour il y a eu une réunion à la Cave, à Paris, sur ce thème. Nous avons proposé à tous les parents de venir à cette rencontre, deux mamans ont accepté : Mme Durand et Mme Pierre. Elles ont été le « pivot » pour le Mouvement. Mme Durand était une personne très réservée, écrasée par une longue histoire de misère. Mme Pierre, au contraire, avait un très fort caractère. C’était une battante, elle avait eu 7 enfants, il en restait 3 à la cité, gardés par une meute de chiens. Le seul voyage que Madame Durand ait jamais fait était celui de sa maison en campagne qui menaçait ruine, jusqu’à la cité , emmenée par les travailleurs sociaux. Un voyage à Paris pour une réunion c’était inouï...
En arrivant au lieu de la rencontre, elles ont eu peur de descendre dans la cave, car c’était vraiment un sous-sol. Le père Joseph était là, il y avait des gens qui, comme elles deux, venaient de toute la France, Mme Pierre a pris la parole, elle a tout de suite dit « nous », en parlant de l’ensemble des « personnes ici rassemblées ». Elle formulait un vécu commun avec tous ces gens qu’elle ne connaissait pas, « ça parlait vrai »… elle a trouvé les mots, en la circonstance, pour exister avec les autres. Toutes les deux prenaient la découverte du Mouvement « dans le ventre ». On est rentrées à 4h du matin, j’avais hâte de les déposer chez elles, car pour les époux restés à la maison, ce n’était pas simple de faire confiance sur cette virée parisienne ! Mais Mme Durand n’a pas voulu rentrer, outre le fait qu’elle craignait d’être mal accueillie par son conjoint, elle a absolument voulu aller réveiller sa sœur pour lui raconter cette chose incroyable : on pouvait parler du placement des enfants sans honte !
Ce sont ces deux dames-là qui ont fait comprendre aux autres qu’ATD était un Mouvement qui rencontrait leur vie, permettait de relever la tête, et d’oser affirmer sa dignité.
Pour écrire cette belle histoire à trois voix il a fallu qu’Annette et Marcel, militants d’ATD, et Monique, volontaire permanente, se retrouvent, après tant d’années .L’émotion et la joie avec laquelle ils ont échangé leurs souvenirs étaient formidables, Annette riait en évoquant son mari qui s’activait lors des kermesses…. Annette est malheureusement décédée à la fin du mois de mai, elle aura eu le temps de nous transmettre ce témoignage.