Dans un bâtiment aux fenêtres occultées pour se protégérer des explosions, Tania, de l'ONG Lypa, cuisine bénévolement depuis le début de la guerre
C’est la mi-avril et les premiers rayons de soleil tombent sur la ville de Kyiv, après un hiver glaçant. Quelques jours plus tôt, les troupes russes se sont retirées de la région, les résidents commencent à sortir dans les rues sans avoir à craindre les machines de guerre de Moscou. Kyiv est libérée, mais le conflit n’est pas fini. La mobilisation continue.
Les volontaires de l’ONG Lypa l’ont bien compris. Dans un bâtiment massif qui abrite habituellement un hôtel, des escaliers descendent dans la pénombre. Derrière une petite porte, cinq personnes remplissent des cartons de barquettes alimentaires. La lumière qui éclaire les lieux est artificielle :
Les volontaires de l’ONG Lypa l’ont bien compris. Dans un bâtiment massif qui abrite habituellement un hôtel, des escaliers descendent dans la pénombre. Derrière une petite porte, cinq personnes remplissent des cartons de barquettes alimentaires. La lumière qui éclaire les lieux est artificielle :
« On a recouvert les fenêtres au début de la guerre, pour ne pas recevoir d’éclats de verre en cas d’explosion », me dit l’un d’eux, Anton.
500 repas par jour
Les aides sont devenues insuffisantes
Sur une table, Tanya (diminutif de Tatiana) remplit des assiettes de blé et de salade. Elle sert les volontaires de Lypa, qui s’apprêtent à manger :
« Tous les matins, je me réveille tôt et je fais du pain et des pâtisseries. A partir de 11 heures, je cuisine avec quatre autres volontaires. Chaque jour, on prépare 500 repas, pour les combattants, pour les hôpitaux et pour les personnes vulnérables qu’on a identifiées dans le quartier, souvent des personnes âgées. Et puis, je cuisine pour les volontaires. Je fais cette activité bénévole tous les jours depuis le début de la guerre, sans avoir pris une seule pause. »La pièce voisine est une cuisine spacieuse dont Tanya connaît tous les recoins après plus d’un mois de travail acharné. Les grands frigos sont remplis de produits alimentaires :
« Pour acheter cette nourriture, on a obtenu des aides financières, de la part d’Ukrainiens et d’étrangers. Malheureusement, avec les semaines qui passent, les dons diminuent. Pourtant, la guerre n’est pas finie, les bombardements continuent à l’Est et au Sud. La population et les combattants ont besoin de notre aide. »
Au rythme de la guerre
« J’aime cette ville, je n'imagine pas de la quitter »
Au début du conflit, pendant une semaine, Tanya est restée chez elle avec son compagnon. Elle passait ses nuits, effrayée, dans les couloirs de son appartement, loin des fenêtres, par peur des explosions. Mais les journées passées devant l’écran de son téléphone à suivre l’actualité étaient source d’une angoisse infinie et d’un profond ennui :
« Je devais me remettre au travail. J’ai demandé à cette ONG, Lypa, si je pouvais me rendre utile. Le lendemain, j'ai commencé cette activité bénévole de cuisinière. Je suis fière de faire quelque chose pour aider l’Ukraine contre cette invasion. Depuis le début de la guerre, l’union des Ukrainiens nous a rendus plus forts. »Quand elle débute cette activité, et encore jusqu’à aujourd’hui, elle s’installe dans les locaux avec son compagnon. Les étages supérieurs renferment un hôtel où ils peuvent rester gratuitement :
« Au total, on est une dizaine à vivre dans ce bâtiment et à faire régulièrement du volontariat pour Lypa. La plupart d'entre nous, dont moi et mon copain Sacha, vivent dans les chambres de l’hôtel. Mais deux volontaires ont préféré rester ici, en contrebas. Ils dorment sur des matelas posés au sol »Elle pointe du doigt un matelas gonflable dans un coin du couloir. Le soir, Tanya se retrouve avec ses compagnons dans la salle commune. Ils sortent des jeux de cartes et regardent des films ensemble. Ils parlent de tout, sauf de la guerre. Tanya n’a jamais voulu quitter Kyiv :
« J’aime cette ville, ses rues, son ambiance... Je ne me vois pas être ailleurs, je serais très malheureuse si je partais. Le quartier où j’ai grandi est tout proche. Je n’imagine tout simplement pas quitter cette ville. Même pendant les pires phases de bombardement, je me sentais relativement en sécurité, car j’ai confiance en notre armée et en ses capacités de défense. »
Les incertitudes
Les victoires confortent les Ukrainiens
Les premières semaines de la guerre, l’Ukraine a été emportée par une énergie folle pour résister contre l’invasion russe. L’implacable résistance ukrainienne, portée par un esprit patriotique et par des dons d’armes venues d’Occident, a remporté des victoires. Les Russes ont entamé leur retrait des régions de Kyiv et de Tchernihiv début avril, alors que leurs objectifs initiaux étaient de faire tomber le pouvoir ukrainien et de réduire à néant les forces armées locales.
A ce jour, après deux mois de guerre, la Russie n’a pris qu’une seule ville majeure, Kherson. Ces victoires confortent les Ukrainiens comme Tanya dans leur bataille quotidienne. Mais les semaines passant, la mobilisation s’est fissurée :
A ce jour, après deux mois de guerre, la Russie n’a pris qu’une seule ville majeure, Kherson. Ces victoires confortent les Ukrainiens comme Tanya dans leur bataille quotidienne. Mais les semaines passant, la mobilisation s’est fissurée :
« Au début, les gens étaient extrêmement motivés. Maintenant, nettement moins. Alors qu’on a tout autant de travail. En ville, les cafés ont rouvert. La vie reprend, donc on a moins de volontaires ici. Parfois, on est 20 bénévoles, le lendemain, on va être 10. Comme on ne rémunère pas les gens, il est difficile d’obliger qui que ce soit à venir. »
Tanya aussi perd parfois pied. Les semaines se succèdent et elle ne voit pas le bout du conflit :
Ines Gil
« Un jour, fin mars, je me suis réveillée extrêmement fatiguée, je sentais qu’il n’y avait plus de futur ici. Je n’avais plus de motivation pour faire quoi que ce soit, je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai pleuré. J’ai tellement pleuré… Je ne pouvais plus respirer. Je faisais une crise de panique. Pour me calmer, je suis sortie marcher et respirer un peu d’air frais pendant quelques heures. Parfois, il m’arrive d’être moins motivée, d’angoisser pour le futur. Mais je me dis que certains sont dans une situation bien pire que la mienne, à Boutcha ou à Marioupol. »Depuis la mi-avril, les explosions ne résonnent presque plus à Kyiv. Mais Tanya ne croit pas à une fin totale des violences dans la ville :
« Les gens reviennent de l’Ouest, ils vont dans la rue, on dirait que c’est sécurisé. Mais c’est une illusion. A tout moment, des roquettes russes peuvent à nouveau s’abattre sur nous. Donc je continue mon travail ici. On ne doit pas s'arrêter. Le reste de l’Ukraine est encore sous le feu des bombes. »
Ines Gil