11/05/2011

À l'âge de la retraite, Fanch et Soasig ont vendu leur librairie aux clients


Tombé dans le livre par le hasard et les nécessités de la vie, Fanch et Soasig Merdrignac ont fait de leur librairie de Dinan une institution. Ils ont trouvé un repreneur en lançant un appel à leurs clients.


Une aventure à deux au service des livres
Tirant sur sa pipe, qu'il rallume toutes les deux minutes, c'est un grand costaud trempé au granit breton. Dans sa maison de Quévert près de Dinan, l'homme au polo noir goûte les premiers moments de la retraite, le sentiment du devoir accompli. A 61 ans, il vient de tourner la page d'une belle aventure au service des livres. En passant en revue l'album aux souvenirs, le gaillard échange des regards de tendresse avec sa femme Soasig, toujours prompte à colmater un trou de mémoire. C'est qu'elle a tout partagé depuis le début. Ce couple parait d'une solidité à toute épreuve.

Dans la maison, défilent les vieux amis empilés au fil du temps et dans d'autres vies. Tel Alain, rencontré au début des années 70, venu déposer ses hommages au jeune retraité.  « Je les l'adore ces deux-là. Ils en ont bavé, mais ils sont toujours restés fidèles à des valeurs qui sont aussi les miennes. On a mené quelques combats ensemble. Ils ont fait une belle carrière, ce n'était pas évident au début . »

Nous sommes en 1978 quand Fanch et Soasig Merdrignac créent une librairie spécialisée jeunesse, rue de l'Apport à Dinan. A l'époque, le couple est en plein changement de vie. Deux ans plus tôt, lors de l'été de la sécheresse, la fille aînée est atteinte d'une encéphalite. Tombé dans le coma, l'enfant est considéré comme perdu. Les parents, encore éprouvés par la perte prématurée d'un autre enfant, vont mobiliser leur énergie au service de la fille aînée. 
 
Un moment, Fanch, qui a trouvé un emploi de comptable dans un Centre d'aide au logement, tente de travailler à mi-temps. Mais il trouve vite une autre solution. « Pour s'occuper de nos enfants, il nous fallait créer quelque chose ensemble. On est allé voir une librairie jeunesse à Toulouse. Elle faisait la moitié de jouets et la moitié de livres. On a pensé que c'était une activité d'avenir. Après, il a fallu trouver un local. Finalement on a choisi Dinan. »

Des premières années difficiles

Des pionniers des librairies jeunesse
Trente plus tard, la librairie "Le Grenier" est devenue une institution, sans laquelle la foire aux livres du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo ne serait pas tout à fait le même pour les livres jeunesse.  Mais avant d'en arriver là, Fanch et Soasig Merdrignac ont essuyé de sacrés coups de vent. La première librairie jeunesse de Bretagne n'était même pas installée dans un ville chef-lieu ! « Les trois premières années ont été dures, se souvient Fanch. Tout était à créer. la clientèle n'existait pas. Dans le monde de l'édition, le secteur jeunes n'était pas prioritaire. Au début, ce sont les jouets en bois qui nous faisaient vivre.»

Le couple s'accroche, tandis que le mouvement des librairies jeunesse connaît un vrai essor, passant de 20 à 40 en quelques années. Parallèlement, le "Grenier" étend son réseau du côté des marchés publics, et met des livres à disposition des bibliothécaires. Ancien militant syndical, Fanch ne manque pas de mettre ses compétences au service de la profession. Une association nationale des libraires jeunesse est bientôt lancée. Elle va vite trouver les éditeurs qui lui accordent des conditions plus favorables. « En 1982, nous avons obtenu une reconnaissance. La littérature jeunesse n'était plus considérée comme un genre mineur» poursuit Fanch.

Le grenier s'installe en centre ville

Des livres pour chaque tranche d'âge
A la même époque, dans la foulée de la loi Lang, qui institue le prix unique du livre, les libraires de Dinan décident de travailler ensemble. «Il valait mieux s'entraider que de laisser les clients partir vers Rennes.» Débordant d'initiatives, le "Grenier" court les collèges et les lycées à la moindre occasion. De multiples animations sont organisées dans les quartiers autour du livre. L'arrivée du minitel donne une idée au couple qui lance une formule originale d'abonnement pour les enfants. Des livres sont proposés à chaque tranche d'âge. Le ministère accordera le prix de l'innovation culturelle à "Atoulire".

Le chiffre d'affaires se développant, le "Grenier" se trouve à l'étroit. En 1990, ça tombe bien, la librairie peut emménager dans un local plus vaste en centre-ville, mais elle doit arrêter son activité jouets. En 1996, la galerie qui accueille le magasin fait faillite. Fanch voit arriver des prédateurs. Mais il parvient à se sortir de ce mauvais pas et entame des travaux. En 2002, suite à une enquête auprès des clients, le "Grenier" se donne une vocation plus générale sur une surface agrandie de 300m2. Une nouvelle équipe de jeunes libraires est recrutée, au total sept salariés, tous libraires. D'ailleurs le Grenier est un lieu de stage couru par les libraires en formation.

"Le Grenier": une belle enseigne qu'il faut pérenniser. Fanch Merdrignac y pense en voyant approcher l'âge de la retraite. Pas question de vendre l'affaire pour faire la place à une magasin de souvenirs ! Pire, à une des grandes surfaces qui lorgnent le bel emplacement commercial au cœur de Dinan. Il lance d'abord l'idée d'une société coopérative pour faire reprendre la librairie par les salariés, mais les banques renâclent. Le projet étant abandonné, le "Grenier" est mis en vente sur internet. Les contacts affluent, mais Fanch ne voit pas venir l'acquéreur rêvé. Alors il décide de faire appel aux clients. 
 
Les amis du "Grenier" sont sollicités, y compris sur les ondes, pour acheter des parts. Aujourd'hui 75 clients possèdent 30% du capital. Quant aux 70% restants, ils ont été rachetés par Pierre Gros-Velot, qui a déjà pris les rênes de la librairie, intronisé comme successeur. Incroyable, l'homme, 41 ans, originaire de Strasbourg, a changé de vie en entendant parler du projet de coopérative de clients à France Info. Devenu actionnaire majoritaire, il a pris sa première leçon de libraire au festival "Étonnants Voyageurs" en 2010.

Il a failli devenir prêtre

Une jeunesse engagée : séminariste, objecteur de conscience, syndicaliste...
« Bravo Fanch, tu t'es bien débrouillé », lance Alain, admiratif. Les deux hommes ont fait connaissance à Saint-Brieuc à l'époque où ils travaillaient au FJT Paul Bert. « On avait créé une section syndicale CFDT, on a été virés en bloc... ». Fanch avait déjà prouvé qu'il avait le caractère bien trempé. Imprégné des thèses progressistes de l'Eglise, il s'est inscrit au grand séminaire de Saint-Brieuc pour devenir prêtre. Pendant deux ans, il apprend la philosophie. A l'âge du service militaire, il choisit le statut d'objecteur et se retrouve dans une association où il cosigne un des premiers livres sur les travailleurs étrangers en France. A Paris, en effectuant son service civil, ce rebelle fait la rencontre de Soasig, qui a "fait" mai 68 en première ligne. Ils étaient faits l'un pour l'autre.

Alain THOMAS


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