« Je m’y sentais bien. Très vite, je me suis sentie Bretonne de cœur. »Et comme pour s’excuser ce cet emprunt, elle se plaît à citer « La découverte ou l’ignorance », ce texte de Morvan Lebesque, issu de son livre « Comment peut-on être Breton ? », mis en musique par Tri Yann :
« Suis-je même breton? Vraiment, je le crois. Mais de pure race? Qu'en sais-je et qu'importe? Séparatiste? Autonomiste? Régionaliste? Oui et non. Différent. Mais alors vous n'comprenez plus… Qu'appelons-nous être breton? Et d'abord, pourquoi l'être? »
Rencontre avec la diaspora militante bretonne
« Le cheval est un moyen de découverte fantastique de l’environnement sans compter qu’il est aussi un moyen de se découvrir soi-même… ses capacités, ses peurs, ses limites. »Le projet n’aboutit pas. Anne-Laure s’installe à Rennes en 2001. Elle y côtoie artistes et musiciens, milite au sein de Skeudenn bro Roazhon l’Entente culturelle bretonne du Pays de Rennes, s’intéresse de près à la dynamique naissante du festival Yaouank... Elle apprend aussi la langue bretonne avec Skol an Emsav, École du mouvement breton. Rapidement, elle s’intègre à la diaspora bretonne militante et rencontre Gilles, alors technicien du spectacle, avec qui elle s’installe.
Un coup de cœur pour le centre Bretagne
« Une ferme en pleine nature en Kreiz Breizh, le cœur même de la Bretagne… Ça m’a fait rêver ! Alors, il m’a invitée à passer un hiver à Saint-Michel-en-Glomel, petit village des Côtes d’Armor. »Histoire de se forger aux réalités climatiques ! Anne-Laure passe l’hiver, se coltine les ciels pluvieux, les petits matins givrés et les baisses du thermomètre qui affichent parfois moins dix degrés en dessous de zéro. Mais, touchée en plein cœur, c’est dans cette région qu’elle décide de s’installer :
« J’ai trouvé ici la qualité de vie que je recherchais, la simplicité, la connexion à la nature qui me ressource. J’ai découvert la richesse de ces relations entre les générations. Ça me touchait beaucoup, moi qui avais été élevée par ma grand-mère. »
Le soutien inattendu de la chambre d’agriculture
« Mon « plan de développement économique », formalité exigée à l’installation, ne correspondait pas aux critères requis pour une installation. J’ai cependant obtenu ma DJA, dotation jeune agricultrice, à taux plein. J’ai aussi été soutenue par des militants de la Confédération paysanne et du Gab, Groupement des agriculteurs bio du département. »Anne-Laure s’installe en 2011 et imagine plusieurs activités :
« Sur un premier espace de quatre hectares, nous avons créé un camping et une petite ferme équestre. Puis nous avons commencé à exploiter les cinq hectares de verger et cinq hectares de bois. Grâce à mon statut d’exploitante agricole, j’ai pu ensuite acheter l’ensemble et développer notre projet. »
Trois entreprises de l’économie sociale et solidaire
« Recréer des liens entre les personnes, innover aujourd'hui pour que le bon sens d'hier enrichisse et nourrisse la vie de demain, préserver et promouvoir la biodiversité. »Au fil des ans, sont nées trois entreprises. C’est d’abord une ferme de 24 hectares, avec un statut d’entreprise individuelle au nom d’Anne-Laure. La famille y cultive en bio cinq hectares de vergers en pommes à cidre, élève des moutons de race Landes de Bretagne et poneys Hihlands et récolte aussi la sève des quelque trois-cents bouleaux qu’ils ont plantés. :
« Nous sommes ainsi devenus les premiers récoltants en vente directe en Bretagne de sève de bouleau."La production est distribuée par le réseau des trente biocoop de Basse-Bretagne avec une production entre 3500 et 5000 litres par an. C’est aussi un camping et des hébergements insolites proposés aux visiteurs de passage avec un accueil touristique sur la destination Cœur de Bretagne Kalon Breizh. La structure, avec une capacité de cent places, fonctionne avec un statut de «société par actions simplifiée unipersonnelle » qui devrait prochainement se transformer en scop avec trois salariés. Elle bénéficie depuis quelque temps du label éco européen, reconnaissance de la gestion durable du site. C’est une ferme équestre qui fonctionne sous forme de micro entreprise, animée par Morgane, monitrice d’équitation.
Deux associations pour animer et diffuser le modèle
C’est enfin l’association Breizh coopération, organisme de formation professionnelle, chargée de transmettre l’initiative et favoriser la naissance de nouveaux partenariats :
« On y évoque les modèles de coopération, la gouvernance partagée, la communication non-violente ou encore la permaculture humaine, sociale et économique. »L’Eco domaine du Bois du Barde est ainsi devenu un pôle territorial de coopération économique, soutenu par le Labo national de l’économie sociale et solidaire. Sur les cent PTCE labellisés en France, seulement cinq sont intégrés à des fermes agricoles. C’est aussi un espace d’habitat participatif et un « oasis ressource et de vie » impliqué dans le mouvement des Colibris :
« Ce sont des valeurs qui nous vont bien, confie Anne-Laure : des écolieux dans lesquels des collectifs cultivent l’autonomie et le soin du vivant, qui se développent dans la nature, avec de l’espace, de la fraternité et du labeur au grand air, qui apportent d e l’activité et de la convivialité dans les territoires dépeuplés. Et surtout, qui vivent comme ils le souhaitent, en cohérence avec leurs valeurs et leurs besoins. »
Une coopération économique pour affronter la crise
« Le modèle économique est viable, on a pu le vérifier durant la crise sanitaire. On s’entraide et on mutualise les moyens. Le contrecoup subi sur la ferme s’est trouvé amoindri grâce à l’activité générée par les autres structures. Notre mode de vie nous permet de vivre sans salaires. Le petit bénéfice obtenu par la vente des produits est aussitôt réinjecté dans la structure collective. Il est vrai que nos besoins individuels sont limités et que nous vivons chaque jour la « sobriété heureuse » prônée par Pierre Rabi. Je suis confiante en l’avenir. Toutes nos expériences passées ont pris sens avec ce projet. »L’Eco domaine souhaite désormais mettre en place, avec le soutien de l’UBO Université de Bretagne Occidentale, un comité scientifique extérieur pour observer, mesurer la plus-value de l’initiative, son impact sur un territoire comme celui du Centre Bretagne et ses conditions de reproductibilité :
« Nous inventons des manières nouvelles de travailler et de vivre dans des tiers lieux en donnant priorité à la qualité de vie plutôt qu’au profit. C’est une grande satisfaction pour moi de mesurer le chemin parcouru. Je n’ai pas l’impression de travailler… C’est vraiment ma vie qui se dessine ici. »
Texte : Tugdual Ruellan
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