Professeur de français durant une trentaine d’années au lycée de Tahennaoute - chef lieu de la région durement frappée par le séisme le vendredi 8 septembre 2023 -, j’étudiais chaque année un extrait, parmi d’autres, de Candide ou l’Optimisme, dans lequel Voltaire décrivait le tremblement de terre ayant ravagé Lisbonne en novembre 1755. A chaque fois, je ne manquais pas de rappeler à mes élèves que notre région, le Haouz, est classée par tous les sismologues du monde dans la case « zones à risques sismiques ». J’ajoutais « Il est, par conséquent, fort possible qu’elle soit violemment secouée un jour. » La plupart des élèves riaient sous cape, l’air de dire : « Il raconte n’importe quoi, notre prof ! »
C’est justement l’un de mes anciens élèves, installé depuis en Angleterre, qui, le lendemain du séisme, a pris contact avec moi pour avoir de mes nouvelles. « Quand j’ai appris que le Haouz a été violemment secoué, me dit-il, ce sont vos mots sur la forte possibilité d’un séisme mortel au village qui me sont tout de suite revenus à l’esprit. »
C’est justement l’un de mes anciens élèves, installé depuis en Angleterre, qui, le lendemain du séisme, a pris contact avec moi pour avoir de mes nouvelles. « Quand j’ai appris que le Haouz a été violemment secoué, me dit-il, ce sont vos mots sur la forte possibilité d’un séisme mortel au village qui me sont tout de suite revenus à l’esprit. »
Comme si un monstre s'était mis à secouer le village
Ma prévision n’avait rien d’extraordinaire, Les sismologues s’accordant tous sur le fait que le Haut-Atlas se situe à la jonction de deux plaques tectoniques : l’eurasienne et l’africaine ; ce qui fait de lui un territoire à sismicité très élevé.
Comment décrire le séisme de cette nuit du 8 septembre 2023 ? C’était comme si un monstre de la taille de King-Kong, le célèbre gorille géant de fiction, s’était saisi du village et s’était mis à le secouer avec toute la force de ses bras, et dans tous les sens. Impossible de se tenir debout, ni même de garder un quelconque équilibre. Une terrible épreuve.
Ma famille et moi, nous en sommes tirés avec des dégâts matériels et un traumatisme psychique que nous garderons sûrement le restant de nos jours ici-bas.
Les médias internationaux se sont focalisés sur Marrakech, ville légèrement touchée. L’épicentre du séisme, lui, se situe à une cinquantaine de km au sud-est, du côté du Haut-Atlas, à la commune nommée Talate N’Iâkoub, plus exactement. Le lieu est désormais un champ de ruines ; on dirait Bakhmout le lendemain du retrait de la milice Wagner.
Les douars reculés, construits exclusivement avec du pisé et des pierres sèches, très souvent sans fondations, ont été complètement rasés de la carte. Les morts s’y comptent par centaines, les blessés aussi. Une hécatombe. De l’autre côté de la rivière, une piste pentue, caillouteuse et glissante par endroits mène à des villages durement affectés. C’est la piste de la mort.
Au village nommé Aderg, la moitié des habitants loge dans un campement, l’autre moitié avait péri sous les décombres.
Comment décrire le séisme de cette nuit du 8 septembre 2023 ? C’était comme si un monstre de la taille de King-Kong, le célèbre gorille géant de fiction, s’était saisi du village et s’était mis à le secouer avec toute la force de ses bras, et dans tous les sens. Impossible de se tenir debout, ni même de garder un quelconque équilibre. Une terrible épreuve.
Ma famille et moi, nous en sommes tirés avec des dégâts matériels et un traumatisme psychique que nous garderons sûrement le restant de nos jours ici-bas.
Les médias internationaux se sont focalisés sur Marrakech, ville légèrement touchée. L’épicentre du séisme, lui, se situe à une cinquantaine de km au sud-est, du côté du Haut-Atlas, à la commune nommée Talate N’Iâkoub, plus exactement. Le lieu est désormais un champ de ruines ; on dirait Bakhmout le lendemain du retrait de la milice Wagner.
Les douars reculés, construits exclusivement avec du pisé et des pierres sèches, très souvent sans fondations, ont été complètement rasés de la carte. Les morts s’y comptent par centaines, les blessés aussi. Une hécatombe.
Les deux-tiers de ses élèves ne sont plus de ce monde
Au village nommé Aderg, la moitié des habitants loge dans un campement, l’autre moitié avait péri sous les décombres.
Au village Oukhribine, les maisonnettes construites sur le flanc de la montagne donnaient l’impression d’avoir été éventrées. Un peu plus loin, la petite école, pourtant récemment construite, a été réduite en gravats. L’instituteur, un jeune homme frais émoulu, était parti quelques heures avant le séisme au souk hebdomadaire d’Asni pour y faire ses emplettes. Il échappera ainsi à la mort. Trois jours plus tard, il revient au village, où une terrible nouvelle l’attendait : les deux tiers de ses élèves ne sont plus de ce monde.
Arghen est le nom de deux douars, à peu près de la même taille : l’un au nord de la montagne éponyme ; l’autre au sud. Arghen nord a été rayé de la carte : Arghen sud est resté intact. Pourquoi ? Mystère. Un peu plus loin, les habitants d’un douar, dont j’ai oublié le nom, doivent la vie à une fête de mariage organisée sur la place du village. Tous les habitants y ont été conviés : hommes et femmes, jeunes et vieux. Ils échapperont ainsi tous à la mort, un pied-de-nez aux islamistes qui se pressent d’expliquer que le séisme est un châtiment d’Allah destiné aux humains qui se sont fourvoyés. Allah épargnerait-Il donc les fêtards ?
A l’orée du village nommé Tarraoute (« la petite » en berbère) une tente unique avec, à l’intérieur un couple d’octogénaires : Dda Lahcen et lla Zayna. Ils sont les deux seuls survivants du village. Tarraoute n’a jamais si bien porté son nom.
Les sinistrés vivent sous des tentes fournies par l’Etat, au rythme des répliques, car la terre continue de bouger depuis le 8 septembre, quatre à cinq fois par jour.
Après le déblayage des routes et pistes, les secours et l’aide alimentaire sont arrivés jusqu’au fin fond de la montagne. Les sinistrés n’y manquent de rien, ou presque. Le pays a connu un élan de solidarité sans précédent dans son histoire.
Arghen est le nom de deux douars, à peu près de la même taille : l’un au nord de la montagne éponyme ; l’autre au sud. Arghen nord a été rayé de la carte : Arghen sud est resté intact. Pourquoi ? Mystère. Un peu plus loin, les habitants d’un douar, dont j’ai oublié le nom, doivent la vie à une fête de mariage organisée sur la place du village. Tous les habitants y ont été conviés : hommes et femmes, jeunes et vieux. Ils échapperont ainsi tous à la mort, un pied-de-nez aux islamistes qui se pressent d’expliquer que le séisme est un châtiment d’Allah destiné aux humains qui se sont fourvoyés. Allah épargnerait-Il donc les fêtards ?
A l’orée du village nommé Tarraoute (« la petite » en berbère) une tente unique avec, à l’intérieur un couple d’octogénaires : Dda Lahcen et lla Zayna. Ils sont les deux seuls survivants du village. Tarraoute n’a jamais si bien porté son nom.
Les sinistrés vivent sous des tentes fournies par l’Etat, au rythme des répliques, car la terre continue de bouger depuis le 8 septembre, quatre à cinq fois par jour.
Après le déblayage des routes et pistes, les secours et l’aide alimentaire sont arrivés jusqu’au fin fond de la montagne. Les sinistrés n’y manquent de rien, ou presque. Le pays a connu un élan de solidarité sans précédent dans son histoire.
Des dizaines de sources à l'eau abondante sont réapparues
Des quatre coins du Maroc, des caravanes arrivent tous les jours avec des vivres, des tentes, des vêtements chauds, des couvertures, des médicaments, des ustensiles de cuisines, des fournitures scolaires, des jouets…
Cependant, l’heure est désormais à la reconstruction ; les sinistrés ne peuvent rester longtemps sous des tentes, dans ces régions montagneuses où les nuits deviennent glaciales dès les premiers jours d’octobre. C’est une épine dans le pied des sinistrés. L’Etat marocain vient de la leur retirer en annonçant une aide financière pour la reconstruction : 140 000 DH (14 000 Euros) pour les maisons totalement effondrées ; 80 000 DH (8 000 Euros) pour la restauration des maisons partiellement touchées.
Terminons cet article par deux notes positives : la première est la reprise hier des cours sous des tentes montées à la hâte par les éléments des Forces Armées Royales. La deuxième est l’apparition, dès le lendemain du séisme, des sources au pied des montagnes et dans les vallées, des dizaines de sources à l’eau abondante, fraîche et cristalline, autant dire une douce consolation pour les petits paysans du Haut-Atlas en cette période de l’année où les ruisseaux s’épuisent et les sources tarissent.
(Photos Mohamed Nedali)
Cependant, l’heure est désormais à la reconstruction ; les sinistrés ne peuvent rester longtemps sous des tentes, dans ces régions montagneuses où les nuits deviennent glaciales dès les premiers jours d’octobre. C’est une épine dans le pied des sinistrés. L’Etat marocain vient de la leur retirer en annonçant une aide financière pour la reconstruction : 140 000 DH (14 000 Euros) pour les maisons totalement effondrées ; 80 000 DH (8 000 Euros) pour la restauration des maisons partiellement touchées.
Terminons cet article par deux notes positives : la première est la reprise hier des cours sous des tentes montées à la hâte par les éléments des Forces Armées Royales. La deuxième est l’apparition, dès le lendemain du séisme, des sources au pied des montagnes et dans les vallées, des dizaines de sources à l’eau abondante, fraîche et cristalline, autant dire une douce consolation pour les petits paysans du Haut-Atlas en cette période de l’année où les ruisseaux s’épuisent et les sources tarissent.
(Photos Mohamed Nedali)
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© CC BY-SA 3.0 (2015)
Mohamed Nedali
Mohamed Nedali vit à Tahanaoute, sur les contreforts du Haut-Atlas.Il a été professeur de français dans le lycée de cette petite ville dont il est originaire.C’est un écrivain très connu au Maroc, édité aux éditions marocaines du Fennec et aux éditions de l’Aube en France. Il a publié une dizaine de romans, touchant des sujets assez « chauds » : la justice, la santé, l’éducation, les islamistes, etc…Quelques titres : « le bonheur des moineaux », « Grâce à Jean de La Fontaine », « La maison de Cicine », « Evelyne ou le djihad », »Morceaux de choix : les amours d’un apprenti-boucher », « Le jardin des pleurs » etc… Il publie prochainement un nouveau roman écrit en langue tamazight, « le temps de l’école », où il raconte son arrivée à l’école de tahanaoute, l’instituteur parlant arabe et français, alors que lui ne parle que le tamazight, le berbère…Situation analogue à celle que vivaient les petits bretons… Il va publier aussi en français un autre roman: « Il fait nuit chez les berbères », sur la menace islamiste dans la montagne.
Mohamed Nedali, un grand auteur marocain, très attaché à la culture berbère.
Nono