25/02/2017

Beaucoup d'exclus n'accèdent pas à ce qu'ils ont droit

Une interview de Gisèle Biémouret, rapporteure à l’assemblée nationale


Complexité des documents administratifs, non-recours aux prestations sociales auxquelles les personnes ont droit, manque de coordination entre les organismes…Tous ces constats, connus, aggravent la pauvreté et l’exclusion sociale. Certains élus proposent de confier le pilotage des différentes mesures aux conseils départementaux. C’est le sens du rapport "L’accès aux droits sociaux : un objectif majeur de la lutte contre l’exclusion". Rencontre avec sa rapporteure, Gisèle Biémouret, députée du Gers.




Cette interview mensuelle est réalisée en lien avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE    . Retrouvez ci-dessous, après l'article, les thèmes sur l'exclusion analysés par nos précédents invités.

Comment est née votre démarche ?

Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a été créé sous la mandature précédente pour évaluer les politiques. Le groupe socialiste à l’assemblée nationale a demandé au CEC d’évaluer en particulier l’accès aux droits sociaux dans le droit fil du Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, mis en place par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Nous avons donc lancé cette évaluation qui a donné lieu au rapport dont je suis la porte-parole, avec mon collègue, Jean-Louis Costes : « L’accès aux droits sociaux : un objectif majeur de la lutte contre l’exclusion ». Pour mener cette évaluation, nous avons entendu près de 130 personnes à Paris et en région durant plus de six mois. Un prestataire a été mandaté pour réaliser une étude spécifique dans deux départements.
 
Que constatez-vous ?

Bien évidemment, les moyens déployés ne sont pas à la hauteur des enjeux ! D'après l'Insee, près de 8,6 millions de personnes, soit l'équivalent de 14% de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 60% du niveau de vie médian soit environ 1000 €. Notre pays a su développer un ensemble de minimas sociaux qui, loin des caricatures lancées par certains, ne favorisent pas l'assistanat, mais au contraire permettent tous les jours aux populations les plus fragiles de vivre. Nous avons pu constater que ces prestations ne sont pas toutes perçues par les personnes qui y ont droit à cause d’un manque d'information, de la complexité des dossiers à constituer ou simplement, de la non-connaissance des dispositifs.

Le non-recours demeure une réalité méconnue : le taux varie en fonction des prestations de 30 à 60%. Par exemple, 35% des personnes qui ont droit au RSA "socle", revenu minimum pour personnes sans ressources, ne le demandent pas, selon une évaluation de 2011. Cette proportion atteignait 68% pour le RSA "activité", complément à un petit salaire, qui a été fondu dans la prime d'activité créée début 2016. De plus, l’action en faveur de l’accès aux droits sociaux n’est pas confiée à un chef de file clairement identifié et les résultats des dispositifs en place sont insuffisamment suivis. Cette situation n'est plus acceptable. 

Rendre les droits plus accessibles

En quoi consistent ces 16 préconisations ?

Il convient de faire de l’accès aux droits sociaux un objectif majeur de la lutte contre l’exclusion. Nos propositions s’organisent autour de deux axes. D’abord, il convient de mieux identifier les bénéficiaires potentiels, en allant au-devant des non-recourants et en utilisant les outils de lutte contre la fraude pour détecter le non recours. Ensuite, il convient de rendre les droits plus accessibles en faisant du numérique un outil d’inclusion sociale, en développant l’accompagnement personnalisé et en simplifiant les prestations. Ces préconisations passent par une plus grande simplification des papiers à fournir, par une plus grande stabilité des droits en évitant ainsi l'incertitude du montant de perception, par un meilleur accueil des personnes en formant les personnels mais aussi en permettant d'utiliser les nouvelles technologies pour faire valoir ses droits, en améliorant les concertations entre les administrations.

Pourtant, plusieurs de ces mesures ont été mises en place en 2013 dans le cadre du plan pauvreté…

Oui mais beaucoup ont été abandonnées sans compter que bon nombre de dispositifs restent confus et peu efficients. Le but de notre rapport est double. Il invite d'abord à dissocier le lien entre exclusion et pauvreté. La pauvreté s'alimente de l'exclusion. Il est de notre devoir de proposer les mesures permettant d'éviter que des personnes les plus fragiles ne tombent dans un cercle de pauvreté alors qu'elles pourraient recevoir des aides de la collectivité. Il propose enfin, une plus forte équité dans le système de protection sociale, non pas au détriment des cotisants, mais en ciblant l'effort vers les populations les plus fragiles.

Un changement de regard

En lisant vos préconisations, on découvre que vous invitez à un changement de regard…

Effectivement, plutôt que de lutter contre la fraude, nous préconisons d’utiliser les moyens au service de la diminution des non-recours, de mesurer annuellement le coût et les conséquences sociales du non-recours sous l’égide du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE). Plutôt que les procédures, nous souhaitons favoriser l’accompagnement et donc, sensibiliser les élus locaux aux enjeux de politique sociale et d’équité. Finalement, nous proposons de développer davantage l’accompagnement personnalisé et la médiation avec les usagers, de confier la mission aux départements pour permettre l’accès aux droits sociaux avec un guichet unique, référent de parcours et élaboration du schéma départemental de domiciliation.
 
Quelles suites concrètes espérez-vous désormais ?
Il est vrai que la période n’est guère propice à la prise en compte de nos préconisations. D’autant que nous soulevons de nombreuses contradictions : d’un côté, on demande aux caisses de faire des économies dans la gestion, d’un autre côté on demande un accès aux droits amplifié… La question de l’accès au droit demeure un problème difficile à régler. Je compte beaucoup sur le soutien du CNLE pour faire avancer cette question. Dans l’ombre, cette instance fait un travail remarquable et bon nombre de ses propositions ont permis de lutter réellement contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Nous avons déjà lancé plusieurs pistes de travail avec notamment la mise en place de ce qui pourrait être un dossier unique pour les bénéficiaires.

Le département, échelon pertinent pour agir

Sur quel aspect faut-il prioritairement porter une attention demain pour lutter contre la pauvreté ?

La question de la gouvernance me paraît fondamentale. Il existe une multitude d’organismes en France, de collectivités, d’acteurs qui interviennent auprès des personnes en exclusion mais il n’y a pas de lien entre eux. Avec une gouvernance plus coordonnée, des rencontres entre l’ensemble des acteurs, on parviendrait à rendre l’action plus efficiente. Et pour cela, le bon échelon territorial pertinent est le département. Sans doute les responsables des départements vont pousser de hauts cris mais c’est bien leur compétence principale, historique. C’est dans cette proximité que l’on peut espérer lutter efficacement contre la pauvreté l’exclusion sociale.
 
Propos recueillis par Tugdual Ruellan.

Pour aller plus loin :
Télécharger le rapport « L’accès aux droits sociaux : un objectif majeur de la lutte contre l’exclusion » ICI.
 
Voir la vidéo ICI.
 
Gisèle Biémouret, ardente défenseure de la cause féminine
Après avoir été exploitante agricole et commerçante pendant 14 ans, Gisèle Biémouret a travaillé pour le syndicat agricole Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) puis comme secrétaire médicale à l'hôpital d'Agen. Adhérente au parti socialiste depuis 1974elle est une ardente défenseure de la cause féminine. D’abord conseillère municipale de Mas-d'Auvignon, elle est élue député de la deuxième circonscription du Gers depuis 2007. Elle est également vice-présidente du conseil départemental du Gers en charge de la solidarité et a présidé la Maison départementale de l'enfance et de la famille. Elle fait partie du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. 


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