Cinéma

Château Rouge" est un documentaire réalisé par Hélène Milano, filmé dans un collège parisien pendant une année scolaire.
Le film suit des adolescents du collège Georges Clémenceau dans le quartier de la Goutte d'Or,


CHAPEAU ROUGE par Hélène Milano

07/02/2025


Prof à Château-Rouge

Le plus beau métier du monde, bien sûr et sans en douter, c’est prof, non ?
Prof dans un collège de quartier populaire. Voilà oui. À n’en pas douter voilà où le combat a
lieu. Tous les matins à la Vie-Scolaire. Appeler celui qui ne vient pas. Lui dire pourquoi tu n’es
pas là ? Lui dire qu’on l’attend.
L’accueillir quand il arrive.
Ne pas être dupe totalement de ses arguments foireux, c’est ma sœur qui ne m’a pas
réveillé ou le contraire, le croire juste assez.
Lui faire retrouver confiance.
Ah, confiance, le maître mot ! L’obsession du footeux.
Le métier de prof est de professer la confiance, l’instaurer, aller la chercher, la trouver
derrière l’immonde inégalité d’origine et de couleur, au fond des injustices de tout, de
salaire, de traitement, de reconnaissance et de naissance. Prof ou comment inverser le
stigmate !
Prof dans un film du réel intitulé Château-Rouge. Hélène Milano signe ce magnifique docu au
cœur de la Goutte d’Or à Paris.
Prof au Collège Clémenceau où l’on se demande quel effet peut faire une grande caricature
du Tigre affichée dans le bureau de la Principale à des enfants dont l’histoire personnelle se
perd dans le chaos racisé de l’Histoire contemporaine.
Prof, plus beau métier du monde car il les contient tous : sage-femme, assistant social,
formateur de conscience, régulateur d’humeur, psy, éduc, le prof est tout ça sans jamais
juger, sans jamais condamner.
La prof quand elle revient le soir et croise un élève vers 23h lui demande des comptes le
lendemain. La prof ne laisse rien tomber. Le môme est parti sur un coup de téléphone
retrouver une sorte de coach de foot qui lui ferait traverser la France pour être sélectionné
dans un miroir aux alouettes insensé dont les parents ne savent rien, la prof oui. La prof a
l’œil et l’empathie. Elle essaie d’instruire à ces collégiens qui disent que l’école les ennuie,
leur apprend des terminaisons, des conjugaisons, des déclinaisons qui n’ont pas plus de sens
que l’ouest ou l’est sur une carte.
Regarde-moi. Mais regarde-moi dit la prof au jeune qui tente devant le tableau un exposé.
En exposant, il s’expose, c’est le plus redoutable.

Vous savez bien dit en le vouvoyant la Principale aux jeunes déboussolés, Harim, Hakim,
Mohammed ou Mamadou, Mariam ou Leïla, vous savez qu’au passage au lycée on ne
retiendra pas toutes les bêtises que vous avez faites, toutes les âneries, dès lors que vous
faites l’effort de vous améliorer.
Profs, métier d’autant admirable et sacré qu’ils ont à escalader avec leur cordée l’Annapurna
de l’adversité, l’Everest des hontes jamais bues, le plus haut sommet de tous : soi.
Le film donne à voir, portraits fixes ou danseurs de cour de récré brillante de pluie, des
enfants si beaux. Si colorés comme la pub Benetton. Les profs si beaux aussi, blancs la
plupart évidemment. Ces derniers ont la grâce de trouver le mot qui réconcilie, qui touche,
qui réveille et révèle. On ne voit qu’une mère, celle de Bilal, laquelle dit qu’elle est bien
pareille que son fils, impulsive, énervée, sans confiance et qu’il lui faudrait bien quelqu’un
pour lui dire comment faire mieux, se retenir de répéter à Bilal qu’en faisant n’importe quoi
il va devenir n’importe qui.
Ce film est une leçon de République.
Un cours de Morale civique. De Laïcité bien comprise.
Ce film est une recommandation pour tous ceux qui doutent encore que le Service Public
d’éducation fait mieux que le job, il assure l’avenir.
Est-ce la prof ? Est-ce la CPE ? Est-ce l’AS ? Peu importe. Le docu ne nous donne jamais le
statut de qui parle et seuls les collégiens sont identifiés. En tout cas, on le voit plusieurs fois
ce garçon perdu, tout petit et très triste, boule de chagrin, bombe à fragmentation, il
revient, ne remplit jamais son contrat censé consister à venir dès qu’il sent monter en lui la
colère dans le bureau de la CPE. Bon. Une fois de plus il est assis face à elle. Dos arrondi,
parka couvrante, que son nez à dépasser de la tristesse. Il voudrait parler à sa maman. Voilà
ce qui pourrait le consoler, c’est ce qu’il dit. La CPE lui demande pourquoi il a fui la classe
pour aller sur l’acrotère. Parce qu’il regarde le chantier et que c’est le métier de son père de
construire des maisons.
Scène suivante. La CPE sur l’acrotère, et le garçon. Ils ne parlent pas. On les voit de dos, ils
regardent le chantier.
Prof, le plus beau métier de construction.
Gilles Cervera

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