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19/06/2014

Cédric Mametz : « Nous aussi on pense ! »


Comment répondre aux personnes handicapées intellectuelles, à leurs attentes à leurs besoins, à leurs désirs ? Comment construire des solutions accessibles, des politiques adaptées ? Peut-être simplement et d’abord en leur demandant leur avis ! C’est la conviction profonde et le combat de Cédric Mametz, 36 ans, président de l’association nationale dont le nom porte en lui-même le projet et l’intention : Nous Aussi…


Cédric Mametz : « Nous aussi on pense ! »
« Nous avons des difficultés de compréhension, de mémoire, pour remplir des papiers, pour compter, rendre la monnaie… Et pourtant, nous sommes capables de travailler et de faire plein de choses. » Depuis que Cédric Mametz a été élu président de l’association nationale Nous aussi, il ne cesse de sillonner la France, répondre aux interviews et aux sollicitations de plus en plus nombreuses des instances politiques, des tutelles, des associations de parents.

« Il était temps ! Pendant si longtemps, on nous a oubliés, on a parlé à notre place », s’indigne-t-il ! Grâce au soutien de l’association Unapei, Nous Aussi est aujourd’hui entendu. Les personnes handicapées intellectuelles ont gagné leur autoreprésentation et sont de plus en plus sollicitées. « Ce que nous voulons ? C’est avoir droit à la parole et nous exprimer sur le travail, la vie privée, les loisirs, les vacances, l’avancée en âge… C’est avoir un droit de décision sur ce qui fait notre vie, avec plus ou moins d'aide, selon nos capacités. »

Déclaré inapte au travail !

Cédric est né et a toujours vécu dans le Pas-de-Calais. Très tôt, il est orienté vers une école de perfectionnement. Il termine son cursus scolaire en obtenant un CAP d'horticulture en 1997. Commence alors la quête d’un emploi mais les portes restent fermées : « J'ai commencé par des petits boulots dans des agences d'intérim et ai dû passer devant la médecine du travail. Elle m’a déclaré "inapte au travail" ! »

Cédric rencontre alors un conseiller ANPE qui l’incite à demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. En 2000, il est orienté vers un atelier protégé de l’APEI de Lens : « J’ai dû à cette époque passer une visite médicale mais, rebelote, on m'a encore déclaré "inapte au travail" ! » C’est une rencontre avec un directeur de CAT, centre d’aide par le travail, aujourd’hui Esat, qui va changer la donne. Depuis le 9 juin 2000, Cédric travaille dans l’atelier de conditionnement de l’Esat Ernest Schaffner de Lens et vit, autonome, dans son appartement tout proche.

Ensemble on est plus forts

Cédric Mametz : « Nous aussi on pense ! »
En 1999, le Fonds social européen lance son projet « Strong together », forts ensemble, pour inciter à la participation et à l’expression des personnes handicapées. Pendant deux ans, une poignée de personnes handicapées intellectuelles, accompagnées par l’Unapei, rencontrent d'autres personnes en situation de handicap des pays du Nord de l'Europe.

Quatre rassemblements ont lieu en Angleterre, en Irlande, en Finlande et au Danemark : « Ces États étaient en avance sur la France, poursuit Cédric. Nous avons alors proposé d’organiser, au terme du projet, les journées internationales du Croisic, en Loire-Atlantique, en août 2001. »  Pendant deux jours, les revendications s’égrènent. Sont évoqués le droit aux loisirs, au travail, à la vie affective et sexuelle…  Les confidences se font jour et aussi les témoignages de solitude, de discrimination et d’exclusion. 
 

Engagé contre l’injustice

« Tout ce que tu fais pour moi, si tu le fais sans moi, alors tu le fais contre moi », disait Nelson Mandela. Forts de cette conviction, les participants créent leur association de personnes handicapées intellectuelles : « Nous aussi ». C’est une première en France : ne faites plus pour nous, sans nous ! « J'étais présent à l'assemblée générale constitutive de l'association ce 5 octobre 2002 à Angers », se souvient Cédric, plein d’enthousiasme et d’espérance.

Deux ans plus tard, il intègre le conseil d'administration et est élu vice-président en novembre 2005, puis président en novembre 2006 : « Ma mère était handicapée intellectuelle et pourtant, elle m’a élevé comme il fallait ; grâce à elle, j’ai pu devenir un homme responsable et apprécié de tous. J’ai vu tant d’injustices qu’une fois devenu adulte, j’ai voulu m’engager. »

415 adhérents

Depuis, les chantiers défilent. Ils concernent le travail, l’avancée en âge, l’information facile à lire et à comprendre, la reconnaissance des acquis de l'expérience mais surtout, l'accessibilité de la société. Finalement, un changement de regard. Cédric ne craint plus de s’exprimer face à de grandes assemblées : des personnes en situation de handicap, des parents, des professionnels, des femmes et des hommes politiques…

Elu administrateur de l’Unapei, il a tiré des larmes à bon nombre de congressistes en 2013 alors que Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l'exclusion lui remettait, elle aussi très émue, la médaille d’honneur de la Santé et des Affaires sociales. C’était la première fois que cette distinction était remise à une personne déficiente intellectuelle.

Cravaté comme un ministre, Cédric  lance à qui veut l’entendre les revendications patiemment recueillies et collectées auprès des quatre cent quinze adhérents, présents dans les vingt-sept délégations locales de Nous Aussi. Les relais se transmettent dans une traînée de poudre. Aux quatre coins de France, on pense, on écrit, on ose.

Parfois, on ne dort pas la nuit qui précède la douloureuse intervention publique… parfois, on éclate en sanglot face au micro tellement la tension est forte. Et pourtant, partout, l’auditoire est silencieux, subjugué, accroché à ces paroles simples, pleines de bon sens et tellement évidentes. « Ce que vous nous dites là sera notre feuille de route », déclarent bon nombre de responsables politiques. Comment a-t-on pu si longtemps ne pas les entendre ?…

Tous dans le même bateau !

​L’association Nous Aussi poursuit ses missions avec conviction : « J'ai l'espoir, confie Cédric, que notre société prenne en compte les personnes handicapées intellectuelles, qu'elle les considère à leur juste valeur. Nous souhaitons être reconnus comme des citoyens à part entière car nous faisons partie du même monde.

Le tableau n'est pas noir et il y a eu beaucoup de chemin déjà de fait. Nous incitons les personnes handicapées intellectuelles à prendre la parole, à occuper les espaces comme les conseils à la vie sociale, présents dans les établissements. Nous allons continuer à mettre tout notre cœur et notre détermination pour que les choses évoluent davantage, pour combattre les idées reçues. Nous sommes tous dans le même bateau et pouvons apporter beaucoup à la société. C’est du donnant-donnant. »


Tugdual Ruellan



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Avec le témoignage vidéo de Chantal Le Galliotte et Gérard Guillouët à Plumelec (Morbihan) :

« Vivre chez nous, ensemble, le plus longtemps possible »
 
 

                                        LE SOUTIEN DE L'UNAPEI À L'AUTOREPRÉSENTATION

L’Unapei soutient l’Association Nous Aussi depuis sa création en 2002 : « Une convention unit les deux organisations, explique Céline Simonin, chargée de projets pour Nous Aussi. L’Unapei met à disposition des moyens humains, matériels et financiers via une subvention annuelle. Elle s’engage à inclure Nous Aussi dans tous ses travaux et, de manière réciproque, Nous Aussi s’engage à contribuer aux travaux de l’Unapei. Nous exprimons ainsi notre volonté de  soutenir réellement l’autoreprésentation sans empêcher Nous Aussi de cultiver son indépendance de point de vue, respectée par l’Unapei. Au niveau local, certaines associations parentales ont également conclu des conventions ou chartes avec les délégations locales. » (Photos : Unapei).

Tags : handicap

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