07/11/2012

Clémence et Maxime ont de l'énergie à revendre


Complices depuis le lycée et à l’évidence amoureux, Clémence et Maxime abordent depuis deux ans le monde du travail avec courage, optimisme et de l’énergie à revendre. Ils n’expriment jamais le sentiment de vivre en galère. Pas facile, pourtant, à 26 ans, de se faire une place dans les métiers culturels ou artistiques qu’ils ont choisis.


Clémence Halais, gestionnaire de projet culturel
Clémence a été élevée seule par sa mère, travailleuse sociale. L’absence du père, chanteur lyrique, a-t-elle influencé son projet professionnel ? « J’ai rêvé très tôt d’être organisatrice de festival ! ». Elle s'est ainsi orientée vers un master de gestionnaire de projets culturels proposé par l’Université de Dunkerque et intitulé « Culture, création artistique et développement du territoire », tout un programme.

Au moment où elle se met en chasse d’une première mission, Clémence se rappelle que « cinq ou six universités préparent des masters semblables, aux quatre coins de la France. Nous sommes donc plus de 150 tous les deux ans à rechercher un poste de gestionnaire d’équipement, de production, de chargé de communication, de médiateur culturel. »
 
Maxime, lui, est resté à Rennes. « J’ai eu mon Bac "arts plastiques". Au lycée c’était la seule matière où les profs manifestaient un certain intérêt pour mon travail »,  commente-t-il avec l’ironie flegmatique qui le caractérise. En licence d’arts plastiques à l’Université. Il apprécie le bain de culture mais regrette le peu de formation aux techniques artistiques. En 2010, il met donc un terme à ses études.

«Je me suis aperçu que, dans mon domaine, si on s’accroche et que l’on a un peu de talent, il est possible de faire ses preuves. Les gens ne regardent pas les études… » Durant ses trois années à la fac, il a souvent réalisé des travaux à la demande d’association, il va donc exercer comme graphiste indépendant, sous statut d’artiste libre.
 

Contrat d'aide à l'embauche et petits boulots

De son côté, Clémence, son master en poche, enchaîne immédiatement les emplois qualifiés sur des contrats précaires. Sa première mission est passionnante. Elle collabore au projet LEM Utopia porté par un collectif d’artistes plasticiens, en liaison avec huit services de la ville de Lille.

Six mois en CAE (contrat d’aide à l’embauche) : « C’était un contrat déclaré et payé à temps partiel pour un travail à temps très complet » ironise-t-elle, sans s’en plaindre vraiment. « Ce fut une expérience très formatrice ». Au même titre que le seront les trois mois en CDD à Roubaix pour suivre la production de la tournée d’un spectacle de danse. Puis, à Bordeaux un contrat  d’attachée d’accueil puis de gestionnaire de production…
 
La première année, elle n’arrête pas. Elle acquiert une expérience et de la confiance en elle. Elle trouve les emplois en suivant les annonces et en s’appuyant sur le réseau qu’elle entretient : les anciens employeurs, les copains de promo : « On discute et on s’informe des opportunités… » Pour tous ces emplois, la base de rémunération est, au mieux, le smic amélioré. Bien sûr il y a des conventions collectives mais les études ne sont pas prises en compte. « Il faut dire que même le directeur n’est pas payé des mille et des cents. »
 

Bénévoles vraiment professionnels

Maxime Roy, graphiste indépendant
Rennes, et surtout Maxime, commencent à lui manquer. En Bretagne, l’emploi culturel n’est pas au rendez-vous. Il y a moins de structures, donc moins d’offres, et ceux qui ont les places les gardent. Clémence exerce les petits boulots alimentaires. Et surtout elle n’hésite pas – en jonglant avec les périodes de chômage grâce auxquelles elle a acquis quelques droits - à proposer ses services comme bénévole dans les festivals locaux, Traveling, Mythos…
 
Elle l’a appris en formation, « les festivals, ça ne fonctionnerait pas sans les bénévoles. » Avec Maxime - dont l’activité de graphiste indépendant ne couvre pas encore un temps plein - ils voient ça comme une manière de se faire remarquer. « Bien sûr, c’est un peu fatigant de se dire  "J’ai bac+ 5 et je suis encore bénévole" ». En même temps ils s’interrogent : « Autrefois, semble-t-il, les bénévoles proposaient leur temps contre de bon moments de convivialité. Aujourd’hui on leur demande d’avoir des compétences. » « Les associations leur font même remplir des fiches de compétences », renchérit Maxime.
 
Autre forme de bénévolat,  valorisé cette fois-ci. Clémence va « s’engager » à Radio Campus, en « service civique »; « C’est pire que le CAE, ne peut-elle s’empêcher de dire, on n'est pas payé, mais indemnisé (570 € par mois plus cotisations retraite et sécu, sans droits au chômage) ».  Durant une année, en direct à l’antenne, elle animera plusieurs émissions : sur les enjeux santé des étudiants, pour valoriser les initiatives étudiantes, présenter l’agenda culturel, informer sur les festivals Bretons…
 
Mais ces engagements bénévoles et l’énergie déployée ouvrent-ils réellement des portes ?  « C’est surtout indispensable pour garder et reforcer notre compétence », s’accordent-ils à dire. « Pour nourrir notre connaissance, rester en veille, il est important de sortir, d’avoir une vie culturelle. Sans travail on n’en a pas l’occasion et encore moins les moyens. Le bénévolat permet de voir des spectacles, de fréquenter les artistes ».
 

Vivre heureux, en couple, avec 850 € par mois

Maxime et Clémence vivent depuis quelques mois en couple et, malgré une activité intense, ils doivent toujours se débrouiller avec des revenus très faibles. « Il nous faut 550 € pour nous loger - dans un appartement de 60 M2 au centre de Rennes - et nous nous nourrissons avec 40 € par semaine, en cherchant les bons coups et surtout en cuisinant, ce que nous aimons faire tous les deux. On se paie un week end à Paris tous les mois et cet été nous sommes allés en vacances en Ardèche. Tout en co-voiturage bien sûr, et accueillis par des copains. C’est pas Byzance mais on vit bien et heureux ». 
 

Désir d'entreprendre

Clémence et Maxine présentent leur "objet/désir"
Maxime se voit bien poursuivre son activité de graphiste. En accumulant les références, les clients seront de plus en plus nombreux localement mais aussi sur un marché plus large grâce à internet. Il lui reste sans doute à  mieux se vendre, ne pas oublier de facturer, oser mieux valoriser son travail. « Une question de self estime » pense-t-il.
 
Clémence doute parfois qu’elle trouvera un emploi durable répondant à ses aspirations et à sa qualification dans le secteur culturel. Mais elle connaît ses compétences et n’hésitera pas à ouvrir son champ d’activité. « Je ne vais pas attendre qu’on m’offre un travail. J’envisage sérieusement de créer mon entreprise ». Elle étudie la faisabilité d'exploiter à Rennes une boutique vendant des produits d’économie solidaire, sous franchise d’une grande organisation humanitaire.
 
Finalement Maxime et Clémence, comme un nombre croissant de jeunes de leur génération longtemps tenus en marge du « travail établi » se projettent aisément en « entrepreneurs », au service d’un projet créatif et socialement utile, avec une vision économique alternative qui privilégie le bonheur de vivre. 
 
Et puis, en parallèle, il y a le projet d'édition d'art « Objet / désir », initié lors de ses études par Maxime et mené depuis deux ans au sein de l’association Morphosyntaxe qu’ils ont créé. Ils ont établi une collaboration avec L’association Factotum de Nantes, animée par leur ami de lycée Damien et par Lucie. Une vrai histoire dans leur histoire à découvrir dans  ce reportage.
 
Alain Jaunault (photos Christophe Lemoine)


POUR ALLER PLUS LOIN


Sur Rennes et Nantes, un livre d'art « altruiste » pour 15 artistes

Un rendez-vous avec les jeunes entrant dans la vie active

Ils ont 26 ans. Sont nés l’année de Tchernobyl. Sont classés par les sociologues patentés de l’entreprise dans la fameuse génération Y, objet d’intérêt/répulsion pour managers tantôt effarouchés, tantôt séduits par leur insolente insouciance et leur irrépressible désir d’épanouissement. D'aucuns, moins savants, pourraient penser qu'il s'agit là des attributs de la jeunesse, non ?
 
Ils ont plus souvent que leurs ainés fait des études, de longues études même parfois. Pas toujours très définies au plan professionnel. Tout ce temps, ils ont été soutenus par les parents s’ils en ont les moyens, ou bien se sont financés eux mêmes, à l’aune des petits boulots.

Les dieux de la démographie s’étaient penchés sur leur berceau et leur promettaient une entrée massive et triomphante dans l’entreprise enfin vidée des babyboomers. Hélas c’était avant la crise, avant le rallongement des durées de cotisation pour le départ à la retraite.

À suivre dans notre blog-dossier : "Jeunesse sensible"

Que font-ils pour s’ouvrir les portes de l‘entreprise ? Comment se débrouillent-ils pour tester, exprimer, stabiliser leurs compétences ? Comment vivent-ils quand les revenus ne sont pas là, pas réguliers, insuffisants ? Comment voient-ils leur avenir ?
 
C’est pour le savoir, et ainsi tenter d'esquisser un portrait de génération que nous avons entrepris de publier régulièrement des histoires ordinaires de jeunes, sur le seuil du travail et de la vie adulte dans le blog dossier jeunesse sensible.



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