28/03/2022

Dans les monts d'Arrée, une oasis d'humanité pour de jeunes migrants

Reportage : Rémi Mer


A Pleyber-Christ, dans le Finistère, vient de s'ouvrir une drôle d'école. Une école alternative dédiée à une bonne quinzaine de migrants, arrivés là par hasard. Car rien, vraiment rien, ne les prédestinait à se retrouver ici, après des itinéraires cabossés sur les routes de l'exil.


De gauche à droite : Mohamad, Sandrine, Majid, Mohamed, Awenn, Florence, Nadine

20220407 Dans les monts d'Arrée.mp3  (8.35 Mo)

Cette belle histoire collective commence en  2015. « Nous étions plusieurs amis de la région à nous indigner de ce qui se passait dans "la jungle" de Calais », rappelle Sandrine Corre. Avec un groupe d'amis et une autre association de Lorient (Utopia 56), elle participe à la collecte de vêtements destinés aux migrants. La mise en place de friperies solidaires permet de collecter de l'argent pour financer le transport de plusieurs camions. Mais le groupe des « Utopistes en action » (c'est leur nom) ne peut en rester là. Utopistes ? Peut-être, mais surtout en action !

Le festival des utopies autour du Cloître Saint-Thégonnec fait émerger l'idée d'accueillir des jeunes migrants. Dans le même temps, l'Etat lance à la hâte des Centres d'accueil et d'orientation un peu partout en France pour désengorger Calais. Un centre s'ouvre dans un ancien hôtel  à Lampaul Guimiliau, une commune fortement affectée par la fermeture de l'abattoir Gad.

Accueillir dignement

Pas de programmes établis, mais le souci de s'adapter - © Ecole alternative des monts d'Arrée
« Les conditions d'hébergement étaient rudimentaires et l'accueil plutôt froid », s'indigne Sandrine. Des contacts sont assez vite pris pour les sortir de là et les accueillir dans des familles. Mais pour quoi faire ? L'idée d'ouvrir une école s'impose alors d'elle-même. Dans un premier temps, elle s'ouvre au Cloître St Thégonnec dans la maison des associations et même la salle du Conseil municipal. « La maire et son équipe municipale soutiennent le projet. On a fait appel à des profs bénévoles. La réponse a été positive et rapide, grâce au réseau constitué suite à l'expérience des friperies solidaires », précise Sandrine qui conduit désormais le projet en lien avec l'équipe d'animation et de bénévoles qui assure, outre l'enseignement, l'intendance, l'hébergement, la nourriture, la logistique...

A l'issue des dernières élections municipales, l'école doit quitter le Cloître. Heureusement, la communauté de communes du Pays de Morlaix leur propose les anciens locaux de la maison de retraite de Pleyber-Christ. Enfin un vrai lieu d'accueil et des locaux attribués pour "scolariser" les jeunes. Ici pas de programmes établis, mais le souci de s'adapter aux spécificités de chacun des migrants.

C'est le travail de Florence, une autre bénévole, titulaire d'un master Français - Langues étrangères (FLE). Depuis 2018, elle fait le planning de la semaine et s'occupe aussi des transports des jeunes. Ceux-ci doivent en priorité maîtriser la langue française pour se débrouiller dans la vie et régulariser leur "situation administrative". Curieuse expression pour désigner ici un statut de réfugié, là de demandeur d'asile ou de mineur isolé. Tous veulent échapper au statut de  "sans-papiers", et se mettre à l'abri d'une expulsion. Et l'angoisse de la menace d'une "sortie sèche" qui les conduirait à reprendre la route...

Une école pour se reconstruire

100% de réussite au diplôme de français - © Ecole alternative des monts d'Arrée
« Ils veulent aller à l'école, apprendre un métier et surtout sortir de l'isolement », affirme Sandrine qui n'hésite pas à en accueillir chez elle. Certains sont des mineurs isolés, d'autres sont même menacés d'expulsion, en raison de la directive dite de Dublin, qui peut les renvoyer au pays d'entrée en Europe. Avec retour à la case départ !  Les jeunes sont originaires d'Afrique de l'Ouest pour la plupart : Ben du Sénégal, Maurice de Côte d'ivoire, Abdoulaye de Guinée, mais Maged, lui, vient d'Iran. Un monde en soi avec « des parcours de dingue ».

« Le premier défi est de les aider à se reconstruire, car ils sont démolis après des périples périlleux depuis leur pays ou village d'origine. Ils ont  souffert de violences physiques de toute nature (viols, esclavages ou travail forcé, expulsions...)» Il faut donc les rassurer et les protéger pour régulariser leur situation, accéder aux fameux papiers qui leur donneront leur "titre de séjour" pour une durée assez longue.

Dans l'école, ils apprennent tout autant à se connaître, à vivre en communauté, avec des règles de vie collective et le respect de chacun, religion comprise. Pour constituer ce collectif et les aider à s'épanouir, les formateurs proposent des cours de mathématiques, d'histoire, de SVT mais surtout des ateliers de peinture, de couture, de mécanique, des cours d'informatique...et même de breton !

« Nous avons eu un taux de réussite de 100% au diplôme de français », clame Sandrine. C'est une reconnaissance pour tous, les jeunes d'abord mais aussi pour l'équipe en place. Tout est fait pour qu'ils s’intègrent dans le territoire local, en continuant par une formation qualifiante, type Bac pro, pour trouver du travail sur place. C'est le cas d'Abdoulaye et de Ben. Le premier termine son Bac pro "aide a la personne" et aimerait bien devenir aide-soignant ; le second vient de passer son permis de conduire et travaille de nuit dans une usine locale, à Saint-Thégonnec. Une belle récompense qui vaut tous les diplômes !

Vers un projet d'école au Sénégal

L'école alternative des monts d'Arrée s'est désormais installée dans le paysage local avec à la clé la reconnaissance des élus et l'appui des citoyens comme du monde économique. L'expérience reste encore isolée au niveau national, même si un réseau des rares expériences similaires commence à se constituer. Aujourd'hui l'école est même sollicitée pour accueillir des réfugiés ukrainiens.

Mais Sandrine rêve de monter un jour une autre école alternative, cette fois en Afrique, précisément au Sénégal, un pays quelle a visité à plusieurs reprises. Elle s'y verrait bien : « C'est là qu'il faut être pour donner aux jeunes des raisons de rester au pays », affirme Sandrine. Certains de ces jeunes seraient prêts à la suivre pour faire le chemin en sens inverse. Histoire d'alerter les petits frères des dangers qui les guettent à fuir leur village. Le projet serait donc de les former pour inciter à monter leur petite entreprise sur place. D'autres sont tellement bien intégrés qu'ils préfèrent rester en Bretagne. Chacun sa route...
 
Pratique
École alternative des monts d’Arrée, Pleyber-Christ. Tél. 06 02 29 27 18, blog, page Facebook   et courriel
Soutien : Helloasso

« C'est notre "tata" »
 
Dans ce travail d'accompagnement, Sandrine tient un rôle particulier. Elle a toujours connu chez elle et dans sa famille, l'accueil sous toutes ses formes :  toxicomanes, femmes battues, et autres cassées de la vie. Ce n'est pas pour rien que les jeunes l'appellent «Tata ». Une marque universelle d'affection et de respect. En Afrique de l'Ouest, au Pakistan... comme en Bretagne ! Elle parle d'ailleurs de ses jeunes comme de ses propres enfants (elle en a trois). Elle n’hésite pas à aller au secours de ceux qui doutent ou même désespèrent, de ceux qui doivent prouver de leur bonne volonté d'intégration.

Sandrine est bénévole à temps plein et même plus ! Elle recueille leur « récit de vie », au long d'étapes hors du commun à travers des déserts et de traversées comme celle de La Méditerranée à bord de canots pneumatiques. Le tout, au prix de peurs et silences, de souffrances, contenues ou non. Cela passe par ce fameux droit de séjour pour 10 ans acquis devant des instances officielles, comme l'OFPRA*. Une épreuve de plus qui leur servira de passeport pour être reconnu pour ceux qu'ils sont et ce qu'ils ont vécu. Sandrine veut être là pour les écouter et ils le lui rendent bien !

*Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides 

Un documentaire de 52 mn (disponible en replay jusqu'au 24 avril)

Un documentaire vient d'être réalisé par Jean-François Castell : "Entre les peuples" - " Etre ar pobloù ". (Coproduction : Aligal Production / France Télévisions. 2022). A voir en replay.


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