« C'est vrai que la première image donne une vision un peu brutale du handicap », admet Yann.
Ce soir, le Cirque Inextrémiste joue à Saint-Brévin-l'Océan, au cœur d'un parc, à deux pas de la mer. A quelques heures du spectacle, Rémi Lecocq installe le matériel, zigzaguant allègrement entre les câbles avec son fauteuil. Pas du genre à demander de l'aide. Un petit sourire ironique au coin des lèvres, il semble ne prendre rien ni personne au sérieux, à commencer par lui-même. A 31 ans, il raconte son parcours avec beaucoup de recul.
Rémi a découvert sa vocation d'acrobate très tôt. Dès le lycée, il opte pour un bac littéraire option cirque à Châtellerault. « C'était le premier lycée à faire ça en France, et c'était la première année, se souvient-il. Maintenant, il y en a plein. » C'est là qu'il croise la route de Sylvain Briani-Colin, dit Basko, pour la première fois. « C'était un super acrobate », témoigne le Bayonnais, aujourd'hui membre du Cirque Inextrémiste.
Quatre ans après, son bac en poche, Rémi tente de monter une compagnie avec quelques amis rencontrés au lycée., malheureusement peu motivés. Il rentre à l'académie Fratellini, une école du cirque post-bac installée à La Plaine-Saint-Denis, au nord-est de Paris. « Dix mois après, j'ai eu mon accident. » Un accident bête, pendant l'entraînement. « Le grand regret, c'est de ne pas avoir été en spectacle pour terroriser des gens, ironise-t-il. A la place, j'ai terrorisé des copains. » Dix ans après, il s'en souvient comme si c'était hier.
« On faisait des acrobaties en ligne, au sol, tout ce qui est rondades, flips, saltos... C'était un enchaînement un peu compliqué. » C'est la fin de l'année, les examens approchent, profs et élèves sont sous pression. « Je m'étais engueulé avec le prof, j'ai fait tout le cours énervé, sans rien dire, en mangeant ma colère... et elle est sortie. Je me suis perdu en l'air, et je suis retombé sur la tête. »
Rémi a découvert sa vocation d'acrobate très tôt. Dès le lycée, il opte pour un bac littéraire option cirque à Châtellerault. « C'était le premier lycée à faire ça en France, et c'était la première année, se souvient-il. Maintenant, il y en a plein. » C'est là qu'il croise la route de Sylvain Briani-Colin, dit Basko, pour la première fois. « C'était un super acrobate », témoigne le Bayonnais, aujourd'hui membre du Cirque Inextrémiste.
Quatre ans après, son bac en poche, Rémi tente de monter une compagnie avec quelques amis rencontrés au lycée., malheureusement peu motivés. Il rentre à l'académie Fratellini, une école du cirque post-bac installée à La Plaine-Saint-Denis, au nord-est de Paris. « Dix mois après, j'ai eu mon accident. » Un accident bête, pendant l'entraînement. « Le grand regret, c'est de ne pas avoir été en spectacle pour terroriser des gens, ironise-t-il. A la place, j'ai terrorisé des copains. » Dix ans après, il s'en souvient comme si c'était hier.
« On faisait des acrobaties en ligne, au sol, tout ce qui est rondades, flips, saltos... C'était un enchaînement un peu compliqué. » C'est la fin de l'année, les examens approchent, profs et élèves sont sous pression. « Je m'étais engueulé avec le prof, j'ai fait tout le cours énervé, sans rien dire, en mangeant ma colère... et elle est sortie. Je me suis perdu en l'air, et je suis retombé sur la tête. »
« Faire de la danse tout nu »
A 21 ans, Rémi se retrouve paralysé des deux jambes. « Je l'ai très vite accepté, raconte-t-il. Quatre fois dans l'année, j'avais fait des cauchemars où j'étais paralysé. Donc quand c'est arrivé, je savais ce qui se passait. Je me suis dit ''ah merde, voilà, ça y est''. » Dès son réveil, il commence à anticiper la suite. « Je me suis dit que je ne pourrais jamais arrêter le cirque, donc j'ai cherché tous les moyens pour en refaire. »
Au début, toutes sortes d'idées lui passent par la tête, même les plus farfelues. « En réanimation, on est souvent dénué de toute pudeur, explique-t-il, parce qu'on n'a plus la possibilité de s'occuper de soi-même. J'ai pensé à faire de la danse tout nu en peignant des toiles, en trempant tout mon corps dans la peinture, dit-il en riant. Je ne l'ai jamais fait, mais c'étaient des trucs qui me flottaient dans la tête. »
Au bout d'un an de rééducation, Rémi quitte définitivement le milieu médical et décide de passer son permis. « Avant je ne voulais pas avoir de voiture pour ne pas polluer. Mais là, j'étais un peu obligé, pour l'autonomie. » Pour lui, pas question de rester à ne rien faire. En fait, il ne tient pas en place. « J'ai recommencé à faire des conneries, de la musique, de la vidéo... » Il filme des amis circassiens, sonorise un ami funambule. « Je captais les vibrations de ses pas avec des capteurs, et je les transformais en musique. Mais au bout d'un an, il est parti travailler avec d'autres gens », lâche-t-il, un peu amer.
« Je ne voulais surtout pas de fauteuil »
« J'aime bien provoquer le tremblement dans mon corps pour rajouter de la difficulté », confie Basko.
Acrobate dans l'âme, Rémi décide de se remettre au cirque, « la seule chose que je réussissais. Je faisais de la poubelle, du skate-board, de la contorsion, des acrobaties au sol... Un peu de tout. » Ou presque. Car Rémi est catégorique : pas d'acrobaties en fauteuil. « Je ne voulais surtout pas de fauteuil à cause de l'image que ça amène, et du regard des gens. »
Pourtant, il affronte ce regard tous les jours. « Au début, je disais bonjour à tout le monde dans la rue, comme avant. En fauteuil, le regard des gens change beaucoup. Il y a des gens qui changent de trottoir, qui détournent les yeux, qui ne répondent pas... Et puis l'inverse, il y a des gens qui vont venir, qui sont collants, qui veulent m'aider. »
Quoi qu'il arrive, Rémi garde le sens de l'humour. « Ils poussent [mon fauteuil] deux secondes, dit-il, et puis je prends un caillou, je tombe par terre. Du coup ils se sentent trop mal, et moi je suis mort de rire, parce ce que justement je ne voulais surtout pas que ça arrive. C'est assez marrant. »
Le jeune homme intègre une compagnie, mais là encore, il peine à trouver sa place. « C'était plutôt du cabaret, j'étais le seul vrai acrobate. » Jusqu'à cet hiver 2011 où il participe à un « laboratoire de recherche acrobatique » à Saint-Agil, un petit village du Loir-et-Cher, 260 âmes et une trentaine de circassiens, rassemblés au sein du Cheptel Aleïkoum. Là, enfin, Rémi s'y retrouve. « C'était exactement ce que je cherchais, c'était sous le chapiteau de Yann, c'est comme ça que je l'ai rencontré. »
« Dédramatiser le handicap »
Musicien de formation, Yann Ecauvre s'est reconverti dans le cirque un peu par hasard. « Le cirque était en plein essor. Les acrobaties, je trouvais ça marrant. Je suis d'abord tombé amoureux du trampoline, se souvient celui-ci, c'est comme ça que j'ai commencé le cirque. » Et que le cirque l' a happé, l'amenant jusqu'au Cheptel Aleïkoum où est né le Cirque Inextrémiste.
Un jour Basko a rejoint Yann puis Rémi a débarqué sous le chapiteau. Une sorte de coup de foudre artistique. Rémi raconte : « On a passé toute la nuit à discuter, et le lendemain, on a essayé des trucs. » Yann convainc Rémi d'amener son fauteuil sur scène. « Toutes les idées qu'il avait, c'était avec le fauteuil, pour dédramatiser le handicap, pour rentrer dans l'image que les gens en ont ; il m'a dit qu'on ne ferait s'apitoyer personne sur mon sort. J'ai accepté. »
« On voulait montrer les galères que c'est d'être en fauteuil, ajoute-t-il, mais aussi montrer qu'en fauteuil on peut être un gros connard comme quelqu'un de super bien, qu'en fait on est des gens normaux. Ça dédramatise plein de choses. »
Ni une ni deux, les trois acrobates se mettent au travail. Un mois plus tard, ils partent en résidence dans l'Ariège, chez Stéphane Filloque, du collectif Carnage Productions. Deux semaines après, ils présentent un premier spectacle d'une quinzaine de minutes. Le Cirque Inextrémiste est né. Un an et plus d'une trentaine de présentations plus tard, c'est la première du spectacle Extrêmités au festival Janvier dans les étoiles, à La-Seyne-sur-Mer dans le Var.
« Les chutes, on s'ennuie quand il n'y en a pas »
« Le pistolet d'hôpital, dit Rémi, ça parle à beaucoup de gens... »
Pendant près d'une heure, les trois acrobates évoluent sur d'étroites planches de bois, en équilibre précaire sur des bouteilles de gaz. C'est un périlleux exercice de poids et de contrepoids, car au moindre faux pas, le précaire édifice s'écroule avec fracas. « Les chutes, c'est marrant en fait, lance Rémi. On s'ennuie quand il n'y en a pas. »
Avec plus de deux-cents dates au compteur, Rémi, Yann et Basko ont appris à gérer les chutes. « Avant, ils me sautaient dessus à chaque chute, se souvient Rémi. Ils essayaient de me rattraper avant que je tombe, sauf qu'ils tombaient aussi. Donc on a fait des règles : chacun pour soi, on essaie d'éviter les bouteilles et les planches, c'est tout. Ils vont quand même vachement plus haut que moi, donc ils se mettent plus en danger. »
« Au début on avait très peur, raconte Basko. Ça jouait vraiment sur la tension, il n'y avait pas beaucoup d'humour. Petit à petit, on s'est détendus sur les planches. Maintenant j'aime bien provoquer le tremblement dans mon corps, pour que ça tremble, et rajouter de la difficulté. J'aime bien quand le sol est un peu instable aussi, ça remet du piquant. J'aime bien chercher à me faire peur. »
De vives réactions
Pour lui, « la plus grande peur, c'est la réaction du public, que ça ne réagisse pas, que tout le monde s'en aille. Ce n'est jamais arrivé, mais on ne sait jamais. » L'entrée en scène a de quoi déranger : Rémi gît par terre, appelant à l'aide, son fauteuil renversé, un pistolet à urine déversant son contenu sur la scène.
« C'est vrai que le début, on se demande un peu si c'est du lard ou du cochon, admet Yann, et il y a des gens qui ont l'air choqués de cette vision du handicap assez brute et brutale. Ça heurte la bonne pensée, la bienséance française. Il y a des gens qui ne trouvent vraiment pas ça drôle, et puis après ça se renverse complètement. » Chez les enfants, une question est sur toutes les lèvres : « Dis, tu crois qu'il est vraiment handicapé ou qu'il fait semblant ? »
A l'issue du spectacle, petits et grands se pressent autour du fauteuil de Rémi pour lui dire leur admiration, lui poser des questions ou même se faire photographier avec lui. « Il y a beaucoup de personnes handicapées, physiques ou mentales, qui sont bouleversées, touchées, raconte-t-il. Il y a aussi beaucoup de gens à qui ça rappelle quelqu'un : un ami en fauteuil, une tante... »
Parfois, ils restent discuter pendant des heures. « Ça ouvre beaucoup le dialogue, témoigne-t-il. Ça permet à des gens de s'exprimer sur un truc, peut-être, qu'ils enfouissaient, ou des gens qui ne trouvaient personne à qui en parler. Le monde du handicap est quand même encore un peu caché en France. Donc au début, les réactions étaient très vives. »
« Ma vengeance »
Avec ses deux fils Nino, 4 ans, et Leni, 6 ans, Rémi a monté un petit spectacle humoristique.
Bien accueilli par le public, le spectacle effraie parfois certains programmateurs. « Il n'y a pas longtemps, un type m'a quand même sorti qu'il voulait vraiment nous programmer, mais que la mairie était passée un peu à droite et que, comme on est une compagnie très engagée, il sentait que ça pouvait être compliqué, s'esclaffe Yann. Souvent les gens ont cette pensée, mais le spectacle est quand même universel, donc ça balaie leurs peurs. »
Mais la plupart du temps, ce sont des considérations bien plus pragmatiques qui font obstacle : l'accessibilité de la scène. Le théâtre de Grasse (Alpes-Maritimes) a même annulé le spectacle faute d'accès handicapé. « Ils n'ont même pas discuté avec nous pour voir comment on pouvait s'y prendre pour que Rémi puisse monter sur scène, déplore Yann. Ils ont juste envoyé un mail pour dire qu'ils annulaient tout. »
En deux ans et demi, les trois comparses ont déjà un joli tour d'Europe à leur actif : Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Autriche, Suisse, Espagne, Portugal et bientôt République tchèque. Et ils ont même fait des émules, comme la compagnie tchèque Cirk La Putyka, rencontrée lors de la première du spectacle, et Michiel, un jeune Belge de 28 ans, en fauteuil depuis peu. Au début de l'année, il a croisé leur route lors d'un spectacle à Anvers ; pas du tout acrobate à la base, il s'est pris au jeu et est parti une semaine avec eux cet été en tournée.
Les dates se multiplient. En février 2014, les trois acrobates tournent avec un deuxième spectacle baptisé Extension. « C'est ma vengeance, annonce Rémi. Dans Extrêmités, je m'en prends un peu plein la figure, et dans Extension c'est moi qui me venge. Ils me font une autre grosse crasse dès le début, et je reviens avec un tractopelle pour les mettre en équilibre tout en haut. »
Une revanche symbolique sur la vision du handicap dans notre société. « Les handicapés, ils peuvent être aussi méchants que tout le monde, martèle Yann. Effectivement ils sont plus faibles, on peut plus facilement profiter d'eux, mais ils peuvent aussi bien se venger ! »
Marion Bastit
Marion Bastit
POUR ALLER PLUS LOIN
Le festival Fadoli's circus
Né en 2007 à Marseille, le festival de cirque différent Fadoli's circus propose chaque année des spectacles créés par et avec des artistes déficients mentaux. Itinérant en 2011, le festival voyage à travers différentes communes de la région Provence Alpes Côte d'Azur. En mai 2014, il a planté ses yourtes et ses chapiteaux à La Tour d'Aigues, dans le Vaucluse.
Reportage d'Handi.tv, réalisé lors de l'édition 2009 du festival Fadoli's circus
Le festival Méli Mélo
Depuis 2010 à Balma, au sud de Toulouse, l'Association des paralysés de France et l'association de cirque Par Haz'Art organisent le festival de cirque extraordinaire Méli Mélo. Au programme, des spectacles avec des artistes en situation de handicap – le Cirque inextrémiste s'y est produit en 2012
– mais aussi des ateliers, des conférences et des expositions pour réfléchir sur la place des personnes en situation de handicap dans le spectacle vivant.
Conférence filmée lors de l'édition 2012 du festival Méli Mélo, intitulée « Du mal-être vers l'épanouissement : comment utiliser le handicap comme argument artistique et créatif ? »