Aucun oiseau ou insecte n'échappe au vif regard d'Evelyne
Ainée de cinq enfants, Evelyne est originaire de Saint-Malo, dans le quartier de Saint-Servan. Son père était employé d'épicerie et jardinier sur ses temps de loisirs. Son enfance fut marquée par la maladie de sa maman.
J'étais une enfant rêveuse, poétique, plus intéressée par la lecture, la musique que par l'école. J'ai compris très vite que j'avais besoin de la nature où je pouvais me réfugier.Mais c'est chez sa grand-mère qui vivait à la campagne qu'Evelyne a nourri sa connaissance et sa passion pour la nature. Enfant, son père l'emmenait là-bas le jeudi ou le dimanche et elle passait des heures à regarder la mère et son fils jardiner. Mais c'est à l'adolescence, quand elle put faire le trajet seule à vélo, que s'est nouée une grande complicité entre la vielle dame aimante et la jeune fille sensible et contemplative.
Avec ma grand-mère, je plantais, je désherbais, je binais, j'arrosais et en s'activant elle me racontait des histoires. Celle des coccinelles qui savent protéger les plantes de l'attaque des vilains pucerons ; celle du ver de terre qui n'a pas son pareil pour remuer et favoriser l'aération de la terre. Elle n'employait pas le terme mais pratiquait déjà la permaculture. J'allais déposer les déchets de la cuisine sur le compost qu'elle savait entretenir et utiliser. Elle confectionnait un purin d'orties comme désherbant naturel.Sa grand-mère lui a appris aussi à regarder et ressentir la nature.
Elle m'apprenait les merles, les mésanges... elle a exercé mon regard, mon écoute, développé mes sensations olfactives, tactiles... Je ne sais pas comment elle avait appris tout ça. Elle n'avait pas fait d'études.
Les universités communautaires d'Evelyne
Les études, ça n'a pas non plus été le fort d'Evelyne. En fin de cinquième elle intègre un collège technique dont elle ne se rappelle même plus la spécialité.
Je n'étais pas mauvaise élève mais je n'avais pas ma place à l'école, j'étais trop sensible. Je n'étais pas bien là.Alors, fille de 68, ses universités ont été le militantisme et la vie communautaire.
J'ai laissé tomber l'école et, pour survivre, j'ai fait plein de petits boulots. J'étais assez renfermée et j'avais en moi plein de colère. Je cherchais ma place et je l'ai trouvée en militant dans des mouvements politiques et en étant très active dans les luttes : Lip, Le joint Français, Le Larzac, Plogoff ... On allait chanter et danser pour soutenir les ouvriers et les paysans et ça m'a construite. A cette époque, j'ai fait aussi beaucoup de sport, de la course à pied, ça me sert beaucoup aujourd'hui pour mes longues marches dans la nature.Pendant plus de dix ans, jusqu'à ses 30 ans, Evelyne, la jeune rebelle qui se cherchait, va vivre une vie communautaire dans une grande malouinière, en bordure de la ville;
Je n'avais pas l'intellect des gens qui vivaient là : des profs , des psys. J'étais la prolétaire du groupe. Mais je savais autant de choses qu'eux sur la nature. On était des écolos, des avant-gardistes... mal vus par le voisinage qui s'effrayait, entre autres, de nos séances de "cri primale". Dans cet univers intellectuel et créatif très ouvert je me suis épanouie. Mes amis férus de psychologie m'ont encouragée à faire une analyse qui m'a beaucoup servie.
Le temps de la transmission
L'enseignement de son père et de sa grand-mère, les acquis de son engagement et de son expérience communautaire, les compétences acquises dans ses "petits boulots", en colonies de vacances ou comme bénévole aux Eclaireurs de France, Evelyne les a réinvestis pendant plus de trente-cinq ans dans son métier d'éducatrice, animatrice nature. Elle était directrice du Centre de Loisirs sans hébergement (CLSH) géré par le CCAS de Saint Malo. Grace à elle des générations d'enfants des quartiers de Saint-Malo ont pu s'initier à l'environnement et au patrimoine. Elle a aussi formé beaucoup de jeunes animateur et animatrices nature.
J'imaginais des projets pédagogiques pour amener les enfants à sentir, découvrir, regarder... à base d'ateliers nature : construction d'éoliennes, de nichoirs, de sifflets en bois, confection d'herbiers, observations à la jumelle et à la longue vue, prise de vue.
Mon plaisir était d'accueillir les enfants du quartier populaire de la Découverte pour leur faire faire de la voile à Rothéneuf, arriver ainsi à mélanger les enfants défavorisés et favorisés. Aujourd'hui, je rencontre ces enfants, ils ont 25 ou 30 ans et ils me reconnaissent. Et là c'est que du bonheur !
Photographe et poète naturaliste
Son premier appareil photo est un compagnon de jeunesse et dans la communauté de la Malouinière il y avait un labo photo. Là un ami l'a initiée au tirage et à la prise de vue. Mais c'est à la retraite qu'elle a pu entreprendre une activité de photographe de niveau professionnel.
En 2015, au décès de ma maman, j'ai pu m'offrir l'appareil de mes rêves et un bel objectif : 4,9 kg au bout des bras.Ainsi, au travers de son art, Evelyne trouve-t-elle un aboutissement à la fois à sa quête de sérénité et de recherche d'elle même et à sa volonté de transmettre sa connaissance et son amour de la nature. Son rêve : une belle édition d'un livre de ses photos et poèmes.
Je ne suis pas trop technique, je travaille au ressenti. Je suis dans un état second. Je suis en osmose, en communication avec l'oiseau, l'insecte que j'observe des heures. La photo pour moi c'est un yoga des yeux : j'inspire, j'expire, je déclenche et la photo arrive, magnifique. Je suis en parfaite unité avec mon sujet, en communion avec ce que je photographie et j'oublie tout le reste. La photo a aussi sur moi un effet thérapeutique. Et je prolonge cela en écrivant des poèmes.
Sur le site Natura 2000 de la Varde, une exposition.
Militante toujours, mais apaisée.
Au moment où on s'alarme de la disparition des espèces, je pense utile de transmettre ce que je sais et observe. En photographiant et en montrant les oiseaux et les insectes je constitue comme une mémoire.Evelyne n'a pas perdu la fibre militante de sa jeunesse mais cela s'exprime sous d'autres formes.
Peut être qu'on aurait dû écouter les écolos, non ? On nous a pris pour des rigolos, des rêveurs alors qu'on était dans la réalité. Aujourd'hui je suis plus paisible, moins en colère sans doute... Je préfère m'impliquer dans des associations qui mènent des actions très concrètes comme Bretagne vivante ou les Marteaux du Jardin. Au jardin que nous animons au cœur du quartier de la Découverte je retrouve un peu ce que je vivais chez ma grand mère.
C'est drôle, quand j'en parle comme ça, je m'aperçois qu'il y avait un fil conducteur à ma vie. Finalement c'était assez bien ficelé, non ?
Interview, portrait photo et reportage vidéo par Alain Jaunault.
La galerie des photos d'Evelyne Brunet
Photos d'Evelyne Brunet, droits réservés