30/05/2011

Gigi enchante la vie, surtout celle des «laissés pour contes»


La conteuse Gigi Bigot a quitté la scène, samedi 28 mai à Redon, transportée par ses amis de Redon et d'ailleurs vers d'autres contrées de l'imaginaire. Elle a entamé une recherche universitaire : qu'est-ce que l'imaginaire fait-il donc aux gens pour qu'ils en aient ainsi besoin?


Vingt années de carrière, une dizaine de créations, des centaines d'amis, des milliers de spectateurs conquis et la voilà partie (voir notre vidéo ci-dessous).  Finie la scène. Pour une fois, la conteuse Gigi Bigot ne fait pas que des heureux. Elle ne fait que des malheureux. Mais tous ceux-là poursuivent leur vie avec l'énergie intacte communiquée par ses textes et spectacles. La conteuse haute bretonne, très enracinée et en même temps totalement universelle, a toujours parlé à tous, surtout aux "gens de peu".

«Tous les jours j'ai à comprendre »

Aujourd'hui, pour tout connaître ou se souvenir de l'artiste, le mieux est encore de se rendre sur le site gigibigot.fr.  Ou de se reporter à l'ouvrage "Peau d'âme" (Éditions Paradox, 10 €). On y trouve le texte du spectacle inspiré par l'histoire de femmes enfermées par les nazis au camp de Rieucros  et aussi une interview dans laquelle Gigi Bigot s'exprime longuement. Extraits.

« Ce que je trouve génial dans la vie, c'est vraiment comment on avance. On ne saura jamais pourquoi on est sur terre. Ce dont je suis sûre, c'est que pour moi-même, simplement pour moi-même, tout sert à quelque chose dans mon chemin. Tous les jours je me construis et tous les jours j'ai à comprendre. »

« Quelque chose que je trouve essentiel : que ce soit un bébé, quelqu'un en prison, un malade, un handicapé, un vieux, c'est comment faire pour que chaque personne ait le plus possible la maîtrise de sa vie. »

« L'art, c'est pour ne pas mourir »

À propos de " Peau d'âme" :
 
 « À force de lire des contes, de les entendre, je me disais que ce n'était pas possible que ces contes aient pu exister dans toutes les cultures sans qu'il y ait une conscience aigüe de l'enfermement que l'on vit sur terre, ne serait-ce que dans le temps puisque l'on sait que l'on va mourir.  »
 
« Globalement, dans mes spectacles de contes, j'espère que les gens en sortent plus vivants, plus concernés par leur vie, moins banalisant. L'art, pour moi, c'est ça : c'est donner du relief pour que les gens se sentent davantage acteurs de leur vie. Chacun n'en a qu'une à se mettre sous la dent, alors, tant qu'à faire, cherchons à ne pas la banaliser.   »
 
« L'art, c'est les soins palliatifs; on est condamné à mort dès la naissance. L'art, c'est pour ne pas mourir, c'est pour être plus vivant. C'est pour ça qu'on a besoin de l'imaginaire." »

« Une militante du droit au rêve »

« Je suis devenue une militante du droit au rêve. »
 
« On peut le dire comme ça : c'est beau, oui, les "laissés pour contes". »
 
« C'est vraiment par gourmandise que je suis devenue conteuse. »

  « On ne peut pas comprendre tout avec la réalité, avec l'informatif.  C'est bien d'aller  chercher des étoiles. »
 

À la question " Vos héros dans la vie? " Réponse : « Ceux qui ont "mal aux autres" » (comme dit Brel à propos des poètes).

Subversif l'imaginaire ?

"Peau d'âme" avec Michèle Buirette(Photo Richard Volante)
Désormais, Gigi Bigot va donc se consacrer à l'objet de sa recherche universitaire. Elle en a dit deux mots, l'autre soir, en partant. « Je veux creuser cette question : la parole de l'imaginaire, qu'est-ce-que ça fait aux gens ? Qu'est-ce que ça me fait à moi ? Quelle est cette parole dont tout le monde a besoin ? »

La grande question que se posent tous les conteurs. Elle a même fait l'objet d'un débat pendant la fête. L'imaginaire, a dit par exemple Pépito Matéo, le conteur et compagnon de Gigi, « c'est donner une autre version des faits, reconstruire les choses pour les rendre acceptables, donner cohérence au fracas qui est en nous ; créer l'image qui est absente, faire des écarts buissonniers, créer quelque chose qui n'existe pas ; c'est une ouverture interprétable par tout le monde, une invitation à continuer. »

Pépito Matéo a aussi cité Brecht : « Il faut garder l'idée intacte que le monde puisse changer. » En écho, un spectateur d'origine africaine a évoqué " Le viol de l'imaginaire" décrit par Aminata Traoré, l'ex-ministre malienne leader de l'altermondialisme en Afrique, à propos de la colonisation et du développement à l'européenne. Et de citer une anecdote : « Dans un village, on discute d'envoyer les enfants à l'école ; une femme s'approche : "Ils vont apprendre, oui, mais que vont-ils oublier ? " »

... Et c'est ainsi  que l'on est passé des contes du pays gallo à la révolte des jeunes "Indignés".

Michel Rouger

Images d'une sortie de scène



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