Vingt-sept visages de femmes, d’hommes et d’enfants sont peu à peu apparus aux sauveteurs mercredi après-midi flottant dans le bras de mer qui sépare deux des pays les plus riches du monde. Aussitôt, le Premier ministre de l’un s’est dit "choqué, révolté". Le Président de l’autre a lancé "C’est l’Europe dans ce qu’elle porte de plus profond, l’humanisme, le respect de la dignité de chacun, qui est endeuillée." Alors tout a changé. Les policiers ont cessé de détruire les maigres affaires des migrants ; les bureaucraties de les harceler, expulser ; les gouvernements de les rejeter sans fin d’un pays à l’autre. La répression, sur laquelle prospèrent les réseaux criminels de passeurs, s’est soudain figée. Et les peurs. Et la haine régurgitée sur télé Bolloré. Les candidats à la Présidentielle ont tous proposé de repeindre aux frontons des écoles et des mairies le mot "Fraternité". Le rêve des inlassables défenseurs des exilés allait enfin se réaliser. Quand il a tout aussitôt disparu, noyé comme les vingt-sept malheureux dans un océan d’hypocrisie.
Michel Rouger
Michel Rouger