Connu comme l'un des fondateurs du mouvement maoïste en France, sociologue, philosophe, Robert Linhart a raconté dans "L’établi", publié en 1978, son expérience d'ouvrier à la chaîne à partir de septembre 1968, dans une usine Citroën. Le film L'Établi de Mathias Gokalp avec Swann Arlaud, vient de sortir au cinéma.
68/23
Tout à fait l’heure et bien le moment de relire Robert Linhart.
L’équation 1968-2023 a-t-elle du sens ? Par le cinéma, évidemment, par la fiction quand cette dernière s’extrait du réel et le transcende en réalité !
L’établi est en salle, de Mathias Gokalp avec Swann Arlaud, le délicieux éternel petit paysan, ici ouvrier, OS 2 dans le rôle de Robert, l’établi.
L’équation 1968-2023 a-t-elle du sens ? Par le cinéma, évidemment, par la fiction quand cette dernière s’extrait du réel et le transcende en réalité !
L’établi est en salle, de Mathias Gokalp avec Swann Arlaud, le délicieux éternel petit paysan, ici ouvrier, OS 2 dans le rôle de Robert, l’établi.
Swan Arlaud est donc Robert dans le rôle de Robert : OS 2 parce qu’il a le certif et le visage blanc. OS 1 c’est l’émigré sans rien d’autre que sa force de travail néocolonisée.
Retour en arrière, après mai 68. Contre la CGT alliée objective des contre-révolutionnaires et des patrons, les Mao ou les trotzko font de l’entrisme ! ça va ? Je recours au vocabulaire d’époque ! Les lexiques étant bien en place et les bouches de ces hommes, les lèvres de ces hommes, les nez-gorges-oreilles de ces femmes et de ces hommes dont beaucoup ne se remettront jamais.
Certains si. Beaucoup non.
Beaucoup d’intellectuels y perdront la santé, pas qu’elle, ne s’en remettront pas dont Robert Linhart. Certains, pire, se suicideront. D’autres retrouveront des équilibres. Politiquement en filant de gauche à droite, se suradaptant même au libéralisme, s’y logeant contre toute attente. Ne généralisons pas, certains conserveront leurs valeurs, fabriqueront 81 (on pense à Roland Castro, l’architecte fructueux mort il y a quinze jours), seront déçus en 83, et d’autres, aujourd’hui dans cette filiation descendent dans la rue, toutes générations confondues, attendant une gauche moins morcelée, un rêve toujours recommencé. Revenons au ciné non sans s’attarder à la porte Littérature. Edition de Minuit, un livre emblématique, comme on dit, un turning-point, l’établi. Le livre est publié en 1978, narre son expérience en usine. Littérature encore par un livre plus récemment paru de Virginie Linhart.
Son magnifique "Le jour où mon père s’est tu" de Virginie Linhart qu’on voit dans le film, petite fille de révolutionnaires aguerris. Les Linhart ont un nom qui résonne après l’expérience finale décidée par les nazis. Robert vit de cela et après cela et , bourgeois fils de, veut changer, transformer, il s’appuie sur l’expérience chinoise, il va entrer en révolution. Le film part et parle de ces aventuriers déçus d’avance, tristes à mourir, d’un malentendu originel qui ne passera pas entre les intellectuels et la base ouvrière.
Donc, la parentalité est révolutionnaire, aussi ! Virginie a sept ou huit ans, dort sur le paillasson quand ses parents ne rentrent pas et que la porte a claqué, attendant le lendemain que papa Robert lui lise une belle histoire Maoïste, avec des prolétaires en guise de fées ! Virginie a vécu ça et puis, paralysé du dedans, anesthésié de la foi, espoirectomisé, son père s’est tu.
Il tente de se suicider, le livre écrit. Coma long dont il sort. Silence à suivre de vingt ans.
L’établi, le film ! Olivier Gourmet très bon comme d’habitude en prêtre ouvrier délégué syndiqué CGT qui se désolidarise de son syndicat pour soutenir les établis, ces intellectuels qui vont en usine comme d’autres entrent en religion. Gourmet, en son nom propre, appuie l’établi un peu perdu, les mains en sang, surnommé par ses collègues la momie à cause des pansements aux mains. Bien-sûr, vous cous y attendiez, la base ouvrière se divise entre ceux qui se soumettent et les révoltés. Les patrons de Citroën ont décidé, vengeance de classe, de voler trois-quarts d’heure chaque soir, rattrapage, récupération de la concession gagnée de haute lutte dans le fameux Grenelle, le premier, le grand Grenelle de la recomposition pompidolienne et des compromis.
Amer compromis.
Robert Linhart n’en veut pas. Il veut avec d’autres, groupusculaires, (crépusculaire) fomenté la Révolution, la vraie, après l’entourloupe bourgeoise de mai. Il saisit l’injuste récupération.Il repère le rapport de classe, l’endroit d’un levier. Tout ça donnera Vincennes, l’université, la triade fabuleuse Derrida-Derleuze-Foucault, le renouvellement de la pensée, ça donnera l’aujourd’hui, où ça butte à nouveau.
Frontalement.
Ça donne l’inconfort d’aujourd’hui. Les rapports de force qui prennent prétexte d’un prix de l’essence, une taxe carbone qui reste en travers de la gorge de ceux dont la voiture est l’outil d’émancipation, de déplacement, bref de citoyenneté emblématique. Ça donne un report à 64 ans de l’âge de la retraite, l’étincelle qui met le feu sur un lit de braises – injustice, sentiment de mépris, humiliation ravalée, déclassement. L’âge de la retraite contre la récession des progrès sociaux. La retraite est le prétexte actuel, post-marxiste, post-moderne qui réveille les vieilles luttes jamais abouties, les Joints Français briochins mal digérés, les Bonnets-Rouges blessés, les Gilets jaunes blessés bref tous les doutes de la division de classe. Dans le film, à Citroën, c’est exemplaire, ces ouvriers que la chefferie divise – Podalydès en patron, visqueux et machiavélique comme il faut.
Les luttes reprennent, de toujours, de maintenant, sur un terreau de frustration incommensurable. Cumulatif.
Linhart s’est tu, a perdu la voix, la possibilité de l’ouvrir. Virginie, la documentariste de 68, mes parents et moi (2008) a perdu, dans les limbes de son coma traumatique un père. L’établi était une manière révolutionnaire, une façon de faire, d’opérer, proactive. Mathias Gokalp témoigne dans son film d’un chromo, ah les belles deuches qui brillent, emportées par les gros Saviem pimpants, et au-delà. Ah les portières qui se balancent au crochet que Robert attrape ou par moment qu’un ouvrier au désespoir macule. Le film est une crise qui monte, une colère qui gronde, un désespoir qui pointe, plus fort, plus dur, plus désespéré.
Que veut-on ? Où en sommes-nous ?
Nous réclamons une non-violence agressive comme le voudrait la philosophe américaine Judith Butler.
L’établi nous prouve s’il en est besoin qu’il faut jonctionner, réunir, allier les forces. On est mal partis car les pouvoirs sont puissants et toujours là pour cliver, diviser, disjoindre les intérêts.
C’est le cas aujourd’hui à gauche et l’extrême droite en profite.
Gilles Cervera
Retour en arrière, après mai 68. Contre la CGT alliée objective des contre-révolutionnaires et des patrons, les Mao ou les trotzko font de l’entrisme ! ça va ? Je recours au vocabulaire d’époque ! Les lexiques étant bien en place et les bouches de ces hommes, les lèvres de ces hommes, les nez-gorges-oreilles de ces femmes et de ces hommes dont beaucoup ne se remettront jamais.
Certains si. Beaucoup non.
Beaucoup d’intellectuels y perdront la santé, pas qu’elle, ne s’en remettront pas dont Robert Linhart. Certains, pire, se suicideront. D’autres retrouveront des équilibres. Politiquement en filant de gauche à droite, se suradaptant même au libéralisme, s’y logeant contre toute attente. Ne généralisons pas, certains conserveront leurs valeurs, fabriqueront 81 (on pense à Roland Castro, l’architecte fructueux mort il y a quinze jours), seront déçus en 83, et d’autres, aujourd’hui dans cette filiation descendent dans la rue, toutes générations confondues, attendant une gauche moins morcelée, un rêve toujours recommencé. Revenons au ciné non sans s’attarder à la porte Littérature. Edition de Minuit, un livre emblématique, comme on dit, un turning-point, l’établi. Le livre est publié en 1978, narre son expérience en usine. Littérature encore par un livre plus récemment paru de Virginie Linhart.
Son magnifique "Le jour où mon père s’est tu" de Virginie Linhart qu’on voit dans le film, petite fille de révolutionnaires aguerris. Les Linhart ont un nom qui résonne après l’expérience finale décidée par les nazis. Robert vit de cela et après cela et , bourgeois fils de, veut changer, transformer, il s’appuie sur l’expérience chinoise, il va entrer en révolution. Le film part et parle de ces aventuriers déçus d’avance, tristes à mourir, d’un malentendu originel qui ne passera pas entre les intellectuels et la base ouvrière.
Donc, la parentalité est révolutionnaire, aussi ! Virginie a sept ou huit ans, dort sur le paillasson quand ses parents ne rentrent pas et que la porte a claqué, attendant le lendemain que papa Robert lui lise une belle histoire Maoïste, avec des prolétaires en guise de fées ! Virginie a vécu ça et puis, paralysé du dedans, anesthésié de la foi, espoirectomisé, son père s’est tu.
Il tente de se suicider, le livre écrit. Coma long dont il sort. Silence à suivre de vingt ans.
L’établi, le film ! Olivier Gourmet très bon comme d’habitude en prêtre ouvrier délégué syndiqué CGT qui se désolidarise de son syndicat pour soutenir les établis, ces intellectuels qui vont en usine comme d’autres entrent en religion. Gourmet, en son nom propre, appuie l’établi un peu perdu, les mains en sang, surnommé par ses collègues la momie à cause des pansements aux mains. Bien-sûr, vous cous y attendiez, la base ouvrière se divise entre ceux qui se soumettent et les révoltés. Les patrons de Citroën ont décidé, vengeance de classe, de voler trois-quarts d’heure chaque soir, rattrapage, récupération de la concession gagnée de haute lutte dans le fameux Grenelle, le premier, le grand Grenelle de la recomposition pompidolienne et des compromis.
Amer compromis.
Robert Linhart n’en veut pas. Il veut avec d’autres, groupusculaires, (crépusculaire) fomenté la Révolution, la vraie, après l’entourloupe bourgeoise de mai. Il saisit l’injuste récupération.Il repère le rapport de classe, l’endroit d’un levier. Tout ça donnera Vincennes, l’université, la triade fabuleuse Derrida-Derleuze-Foucault, le renouvellement de la pensée, ça donnera l’aujourd’hui, où ça butte à nouveau.
Frontalement.
Ça donne l’inconfort d’aujourd’hui. Les rapports de force qui prennent prétexte d’un prix de l’essence, une taxe carbone qui reste en travers de la gorge de ceux dont la voiture est l’outil d’émancipation, de déplacement, bref de citoyenneté emblématique. Ça donne un report à 64 ans de l’âge de la retraite, l’étincelle qui met le feu sur un lit de braises – injustice, sentiment de mépris, humiliation ravalée, déclassement. L’âge de la retraite contre la récession des progrès sociaux. La retraite est le prétexte actuel, post-marxiste, post-moderne qui réveille les vieilles luttes jamais abouties, les Joints Français briochins mal digérés, les Bonnets-Rouges blessés, les Gilets jaunes blessés bref tous les doutes de la division de classe. Dans le film, à Citroën, c’est exemplaire, ces ouvriers que la chefferie divise – Podalydès en patron, visqueux et machiavélique comme il faut.
Les luttes reprennent, de toujours, de maintenant, sur un terreau de frustration incommensurable. Cumulatif.
Linhart s’est tu, a perdu la voix, la possibilité de l’ouvrir. Virginie, la documentariste de 68, mes parents et moi (2008) a perdu, dans les limbes de son coma traumatique un père. L’établi était une manière révolutionnaire, une façon de faire, d’opérer, proactive. Mathias Gokalp témoigne dans son film d’un chromo, ah les belles deuches qui brillent, emportées par les gros Saviem pimpants, et au-delà. Ah les portières qui se balancent au crochet que Robert attrape ou par moment qu’un ouvrier au désespoir macule. Le film est une crise qui monte, une colère qui gronde, un désespoir qui pointe, plus fort, plus dur, plus désespéré.
Que veut-on ? Où en sommes-nous ?
Nous réclamons une non-violence agressive comme le voudrait la philosophe américaine Judith Butler.
L’établi nous prouve s’il en est besoin qu’il faut jonctionner, réunir, allier les forces. On est mal partis car les pouvoirs sont puissants et toujours là pour cliver, diviser, disjoindre les intérêts.
C’est le cas aujourd’hui à gauche et l’extrême droite en profite.
Gilles Cervera