07/03/2011

L'ancien délinquant devenu expert non violent en sécurité


Alors que Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen resservent leurs vieux discours sur la sécurité à l'approche de la Présidentielle 2012, il est utile d'écouter l'histoire et la parole de Yazid Kherfi, l'ancien délinquant devenu lui-même expert en sécurité. Le réel et l'humain face à la démagogie.


Il arrivait d'une intervention à Lille, toujours en cavale si l'on ose dire. Au Terminus, en face de la Gare du Nord, autour d'un café, Yazid Kherfi est revenu sur sa vie et ses combats, enchaînant les mots à toute allure, comme si le temps lui manquait, à 52 ans, pour l'ambition qu'il est donnée: reconstruire la vie, lui, l'ancien braqueur, dans les quartiers difficiles.

C'est là qu'il a grandi, au Val-Fourré, à Mantes-La-Jolie où il est arrivé à 8 ans, au milieu de sept frères et sœurs. Là où il s'est égaré: « Il  y a plus de risque de devenir délinquant dans le quartier du Val Fourré que dans un petit village de Bretagne... L'étiquette de nul, de bon à rien, qu'on te colle à l'école, les mauvaises fréquentations, des problèmes dans la famille, la pauvreté, tout ça additionné... En même temps, c'est une crise d'identité, et un appel au secours : occupez-vous de moi, voyez ce que je fais...»


La fuite en Algérie... et le retour

Personne n'a entendu ses appels. À 19 ans, il entre pour la première fois en prison: deux mois pour vol de voiture. L'engrenage. À 23 ans, il braque une station-service avec un ami. Les gendarmes s'élancent à leur poursuite. Barrage. Ils le forcent mais c'est le drame. «Mon meilleur ami s'est fait tuer, une balle en pleine tête. Je n'étais pas bien. Je me suis dit :  "Je vais me sauver en Algérie".»
 

Dans le pays de ses parents, les choses se passent plutôt bien. Il fait ses deux ans de service militaire puis s'installe dans la Kabylie familiale. Il se reconstruit et son identité devient claire: « Je n'arrivais pas à m'intégrer. Dans le village, ils parlaient de blé, de vaches, de tout ça, moi j'avais envie de parler de filles, de boites de nuit! Je me suis dit: "Je suis un mec de France". Il n'y a que les Français de souche qui ont un problème avec l'intégration, pas nous. C'est la France qui a du mal à reconnaître qu'on en Français...»
 



«C'était la première fois qu'on disait que j'étais intelligent»

À la fin 1984, le français Yazid Kherfi revient donc, à 26 ans, au pays natal. Et prend encore quatre ans de prison. Cette fois, il est très mal: les autorités françaises veulent l'expulser. La double peine. «Dans mon dossier, c'était marqué irrécupérable. Ils voulaient à tout prix m'expulser du territoire français. C'est alors que des gens ont bougé pour moi: ma famille, l'ancien maire de Mantes, des habitants. Ils sont allés à la Commission des expulsions et ont dit au juge que j'étais intelligent. Ça a produit un déclic chez moi: c'était la première fois de ma vie qu'on disait que j'étais un mec intelligent.»
 
Yazid Kherfi n'est pas expulsé. Mieux, il sort du gouffre. «Pour les remercier, j'ai décidé de changer de vie. Pas par conviction, j'ai même été tenté de redevenir délinquant mais j'ai été honnête avec moi-même: je devais tout faire pour devenir quelqu'un de bien.» Un homme l'accompagne, l'aide à tenir dans les moments difficiles: le directeur de la Mission locale: «C'est comme un second père pour moi.»

Contre ceux qui «vendent de la peur»

À 30 ans, "Repris de justesse" comme dit le livre qu'il a écrit en 2003, Yazid Kherfi entame pour de bon une nouvelle vie. Rattrapant le temps perdu, il obtient un diplôme d'animateur, entre à l'université de Nanterre, décroche la licence des Sciences de l'éducation avec une mention très bien, puis s'en va suivre les cours de Charles Rojzman, le spécialiste de la thérapie sociale. Il apprend à répondre une lourde question: «Comment communiquer avec les gens qu'on n'aime pas?» Titre de son DESS (master): «L'ingénierie de la sécurité ».

Désormais, Yazid Kherfi, l'ancien délinquant, est expert en sécurité. Un expert qui ne peut pas et ne veut pas ressembler à ceux qui «vendent de la peur»: «Ce n'est pas par plus de flics, plus de prisons, plus de caméras qu'on résoudra les problèmes mais en apprenant le vivre ensemble.» Depuis lors, Yazid Kherfi court la France pour défendre son projet qui prend à contre-pied les politiques. Il n'intervient pas à la demande des autorités mais par des rencontres, des réseaux: un commissaire, un responsable de formation, des juges, des surveillants de prison, des détenus, des jeunes... 

Quand un ancien délinquant forme les policiers

Que dit-il aux policiers?

«Je commence par les faire travailler sur les préjugés. Je me présente. "Je suis arabe." Leurs visages deviennent déjà un peu bizarres. J'ajoute: "Je viens d'un quartier, j'ai fait de la taule..." Je le vois tout de suite: ils ne m'aiment pas. Mais à  la fin, ils m'applaudissent tous, ils viennent me voir, me serrent la main. Je leur ai expliqué des choses qu'on ne leur apprend pas dans les écoles de police. 90% des policiers viennent de la province, à 90% ça leur fait peur, à 90% ils cherchent à quitter, quelque chose ne va pas. Ils le disent eux-mêmes. Sarkozy demande aux policiers de ne pas comprendre mais d'arrêter les délinquants. C'est n'importe quoi. On avancera le jour où on connaîtra un peu mieux les gens d'en face.» 

Même chose pour les surveillants de prison. Yazid Kherfi tâche de convaincre aussi les éducateurs. Pas plus simple!  «Beaucoup font ça pour la sécurité de l'emploi.Ils ne sont pas très motivés.  Certains ont Bac + 10 mais ne vont même pas parler aux gosses. Pourquoi aucun animateur ou éducateur ne travaille-t-il le soir aujourd'hui? Pourquoi la nuit, n'y a-t-il que des policiers dans la rue? Où sont les travailleurs sociaux? A l'heure où la souffrance est la plus importante, ils ne sont pas là. Donc, j'essaie de trouver d'autres personnes: en prison, il y en a.»  

 


«Il faut mettre des guerriers non-violents sans les quartiers»

Car Yazid Kherfi revient souvent en prison. «Les détenus sont étonnés. Ils disent: "Tu as fait de la prison, ça se voit et tu reviens!" Je réponds: "Je viens pour vous". Et pour son grand projet: «J'aimerais ouvrir un centre de formation en prison. Il préparerait des gens à aller, à leur sortie, à la rencontre des jeunes des quartiers difficiles pour faire de la médiation, tenir un discours non-violent. Si Sarkozy entend ça, il va dire "Vous êtes fous!" mais il n'y a pas de gens irrécupérables. Des gens en prison sont en recherche d'un projet et ont envie de s'occuper des autres. Il y a plein d'exemples comme moi. Il faut mettre des guerriers non-violents sans les quartiers.»
 
Yazid Kherfi est déjà passé à l'acte. À Clichy-sous-Bois, où il est basé, 

 il vient de recruter quelqu'un qui sort de prison. «Il avait pris huit ans pour meurtre. J'ai réussi à le faire sortir au bout de quatre ans, aujourd'hui il travaille, il fait de la médiation dans les quartiers, il est non-violent. Je prends des personnes qui me ressemblent. Il faut une relève.» 



«Ce n'est pas gagné... »

Clichy est sûrement un lieu test intéressant.  «Regardez les émeutes de 2005. Plus de 10 000 voitures brûlées pour quels résultats? Si les gens des quartiers s'allongeaient tous sur les Champs-Élysées, on ferait beacoup plus peur au gouvernement! Dans les quartiers, on a plus de résultats par la non-violence que par la violence.»

Le drame, et Yazid Kherfi, s'en aperçoit chaque jour, c'est qu' «il y a tellement de gens à avoir la haine. Il y a aussi tellement de provocations. Les gens sont à bout. J'essaie de prêcher la non-violence mais c'est dur de convaincre ceux qui ont trop accumulé de rancœur.» Pour preuve le combat qu'il mène à Clichy à la tête de l'association «Pouvoir d'agir 93».

 «C'est difficile. Plein de gens ne m'aiment pas. Les gens sont dépassés. Je leur ai demandé ce qu'ils voyaient comme solution, plein ont répondu: "Faut tuer les jeunes". Même ceux qui sont passés comme moi par la prison disent: "Les jeunes, maintenant, c'est des fous". Avec des jeunes, on a rénové un appartement. Quand on a demandé à l'occuper, une pétition a été lancée. Les adultes détestent les jeunes parce qu'ils mettent le bazar et en ont marre de la vie, la précarité, tout ça: ils pensent que tout est de la faute des jeunes, ils sont les boucs-émissaires. Ce n'est pas gagné... »  

«Où sont les gens bien pensants?»

Il en faudrait beaucoup pour décourager Yazid Kherfi. À défaut d'appartement, la mairie de Clichy lui laisse à disposition un  terrain vague de 4 000 m2 en attente d'aménagement. Yazid Kherfi veut y construire un maison ouverte jour et nuit. «Ce serait la maison de tout le monde; quand les gens ne vont pas bien, ils viennent ici, boivent un café, le policier, le juge pourraient venir discuter aussi.» 

«Si ce n'est pas une maison, ajoute-t-il, on peut imaginer un camping-car allant de quartiers en quartiers. Mon rêve, c'est qu'à Clichy, on expérimente la non-violence en banlieue mais je manque de personnes qui me soutiennent, on n'a pas d'argent. La Fondation Abbé Pierre finance déjà mon travail, elle ne peut pas tout faire.»  
 
Nous nous sommes séparés sur un dernier message:  «Il faut réfléchir plus vite que ceux qui ne pensent que sécurité. Quand il y a des problèmes, les gens ne disent pas "il faut plus d'éducateurs" mais "il faut plus de flics." Réoccuper vite, déjà, l'espace public. Si on ne le fait pas, plein d'autres, les extrémistes religieux, les voyous, les caïds, vont prendre la place, ils ont une autoroute devant eux. Les gens vont mal, ils en profitent. Les jeunes peuvent écouter n'importe qui venant les voir. Où sont les gens bien pensants? »

Michel ROUGER.  

 


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