Un film dans le dos, de Sonia Kronlund
Gilles Cervera
Est-ce le film de l’arroseur arrosé ? Du coureur de jupons qui court jusqu’à bout de souffle ? Du
violeur violé ? Est-ce l’arracheur de dents édenté ? Le tueur tué ? Est-ce le rosseur rossé ? On
voudrait que L’homme aux mille visages, tienne de tout cela mais il tient de bien plus. Il nous
entraîne plus loin dans cette nouvelle qualité documentaire (Christine Angot, par exemple et sa
famille) de documenter plus loin que la fiction, plus large que l’imaginaire, plus puissamment que la
philo, plus avant que la psy, déployant au bout du compte une sorte de clinique anthropologique
inédite.
Sonia Kronlund est cette voix familière de Les Pieds sur terre à 13h 30 sur France-Culture.
Témoignages bruts assortis seulement de ses quelques mots introductifs, précis et simples. Donc,
une voix et maintenant un visage. Elle s’engage dans ce film de manière à la fois subjective et au nom
de toutes, pour la bonne cause, celle qui la dépasse et qu’elle interroge. Comme femme, comme
amante, comme artiste, comme journaliste.
Voilà la documentariste partie à la recherche de la vérité d’un homme. C’est un thriller, oui pas
moins, où le réel va être débusqué, non fictionnel. Aux trousses d’un détrousseur de jupons, d’un joli
cœur inconstant, un salaud, pas moins, que les modernités aident à trouver ses masques, trafiquer
ses identités, tricher. Nous voilà partis pour déjouer les pièges, ceux qu’un homme a tendu à tant de
femmes.
Est-ce Narcisse qui se filme au volant pour sa mère ou un schizo qui se montre en train d’atterrir en
avion ? Est-ce un pervers sans vergogne ou un carencé no-limit ?
Dom-Juan est aidé par Internet. Casanova maîtrise les réseaux. Il a des fichiers à jour, des
messageries séparées jusqu’au moment où trop c’est trop. Sonia Kronlund retrouve quatre femmes
que le beau Ricardo a abusées. C’est-à-dire les a enfumées, tissant autour d’elle des toiles roses, des
fils serrés, des ligotages psychiques. Le romantique Ricardo. Le beau brésilien, parfois argentin,
hispanisant, francophile et francophone, polonais aussi de Cracovie. Tout est séduisant chez Rico. Il
est médecin, photos à l’hôpital faisant foi, il est sur les lieux le soir du Bataclan, il sauve, il annonce la
mort de sa fille à un père, avec précaution. Il raconte, il s’en raconte. Il est ingénieur chez PSA,
photos faisant foi etc ? Son cynisme féconde son imaginaire, ou l’inverse. Tout est faux ! Le menteur
l’est-il ou ne peut-il faire autrement ? Lui-même, qui sait, ne se sait et ne se fait que dans ce discours
et ce lien de l’autre quand, l’autre le croyant sur parole, l’institue.
Peut-on croire autrement que sur paroles ?
L'écrivain Pessoa a ses hétéronymes. Il crée des destins de poètes, chacun sa biographie, chacun sa malle où il enferme l’œuvre. Pessoa les tient tous. Ricardo quant à lui a plusieurs noms aussi. Cinq enfants au
moins aux quatre coins du monde. Sonia Kronlund et sa collaboratrice font l’inventaire sur un
planisphère où elles piquent des épingles, tracent des routes, pistant l’amanteur. C’est d’autant
facile qu’il se raconte en selfies. Narcisse est perdu et, ce faisant, court-il à sa perte ?
Rico est moins Pessoa le poète qu’un Jean-Claude Romand qui ne serait pas passé à l’acte.
La première partie du film nous trace le portrait de l’hidalgo à travers la parole des femmes qui ont
été tellement séduites. Celle de Paris, de Montmartre, celle de la côte d’Azur ou des plages belges ou
celle du Brésil. Le dispositif filmique nous présente les femmes, les vraies, et des actrices jouant leur
témoignage. Qui est vrai, qui est faux, la vérité en forme de poupée russe.
Le visage de l’homme, longtemps désigné Lui, est caché jusqu’à ce que la documentariste rencontre
une avocate amie qui lui dit que oui, il faut cacher l’image.
Et que oui elle fait un boulot pour empêcher le prédateur de continuer sa prédation. Chaque femme
se croit unique, prise dans la belle histoire, qui est fausse.
C’est l’histoire d’un faussaire dont soudain le visage est dévoilé. L’histoire incroyable de Sonia
Kronlund qui part en Pologne, au Brésil, partout où l’homme vit, où il est passé, où il a laissé des
traces, voire celle d’un chandelier volé !
C’est tout pour les vols connus.
L’enquête se poursuit. Nous ne dirons pas comment le coureur s’épuise, comment le marathonien
des cœurs pourrait nous embarquer, face caméra : je commence à devenir amoureux de vous !
C’est plus fort que lui. En racontant un crack, un de plus, il affirme que oui cette histoire est vraie !
L’aplomb de l’instant. La vérité le constitue dans l’instant du lien. On le voit en train de se faire, face à
nous. Nous qui savons que c’est faux.
On voit cela, ce visage d’un homme qui ment. Et dont le nez ne bouge pas comme on le disait aux
enfants. Dont la voix est sûre et les mains ne tremblent pas.
Au détecteur de mensonges, Sonia Kronlund ne juge pas. C’est nous, les spectateurs du film qui
garantissant le droit d’avoir fait ce film-là, de garantir la sécurité des futures proies, ou de l’actuelle.
Déplaçons-nous l’instant où cette dernière va voir ça !
Aucun jugement sauf le nôtre. Sonia Kronlund dévoile, montre la vérité d’un homme qui ment
comme il respire, sauf que dans sa respiration, tant de femmes y ont cru, se sont laissées faire,
fausses fiches de paye, faux sur toute la ligne, est-ce qu’il y a un profil de femmes ?
La productrice des Pieds sur terre semble au final plutôt rassurée à ce sujet.
Voilà un garçon auquel elle a fait un beau film dans le dos.
violeur violé ? Est-ce l’arracheur de dents édenté ? Le tueur tué ? Est-ce le rosseur rossé ? On
voudrait que L’homme aux mille visages, tienne de tout cela mais il tient de bien plus. Il nous
entraîne plus loin dans cette nouvelle qualité documentaire (Christine Angot, par exemple et sa
famille) de documenter plus loin que la fiction, plus large que l’imaginaire, plus puissamment que la
philo, plus avant que la psy, déployant au bout du compte une sorte de clinique anthropologique
inédite.
Sonia Kronlund est cette voix familière de Les Pieds sur terre à 13h 30 sur France-Culture.
Témoignages bruts assortis seulement de ses quelques mots introductifs, précis et simples. Donc,
une voix et maintenant un visage. Elle s’engage dans ce film de manière à la fois subjective et au nom
de toutes, pour la bonne cause, celle qui la dépasse et qu’elle interroge. Comme femme, comme
amante, comme artiste, comme journaliste.
Voilà la documentariste partie à la recherche de la vérité d’un homme. C’est un thriller, oui pas
moins, où le réel va être débusqué, non fictionnel. Aux trousses d’un détrousseur de jupons, d’un joli
cœur inconstant, un salaud, pas moins, que les modernités aident à trouver ses masques, trafiquer
ses identités, tricher. Nous voilà partis pour déjouer les pièges, ceux qu’un homme a tendu à tant de
femmes.
Est-ce Narcisse qui se filme au volant pour sa mère ou un schizo qui se montre en train d’atterrir en
avion ? Est-ce un pervers sans vergogne ou un carencé no-limit ?
Dom-Juan est aidé par Internet. Casanova maîtrise les réseaux. Il a des fichiers à jour, des
messageries séparées jusqu’au moment où trop c’est trop. Sonia Kronlund retrouve quatre femmes
que le beau Ricardo a abusées. C’est-à-dire les a enfumées, tissant autour d’elle des toiles roses, des
fils serrés, des ligotages psychiques. Le romantique Ricardo. Le beau brésilien, parfois argentin,
hispanisant, francophile et francophone, polonais aussi de Cracovie. Tout est séduisant chez Rico. Il
est médecin, photos à l’hôpital faisant foi, il est sur les lieux le soir du Bataclan, il sauve, il annonce la
mort de sa fille à un père, avec précaution. Il raconte, il s’en raconte. Il est ingénieur chez PSA,
photos faisant foi etc ? Son cynisme féconde son imaginaire, ou l’inverse. Tout est faux ! Le menteur
l’est-il ou ne peut-il faire autrement ? Lui-même, qui sait, ne se sait et ne se fait que dans ce discours
et ce lien de l’autre quand, l’autre le croyant sur parole, l’institue.
Peut-on croire autrement que sur paroles ?
L'écrivain Pessoa a ses hétéronymes. Il crée des destins de poètes, chacun sa biographie, chacun sa malle où il enferme l’œuvre. Pessoa les tient tous. Ricardo quant à lui a plusieurs noms aussi. Cinq enfants au
moins aux quatre coins du monde. Sonia Kronlund et sa collaboratrice font l’inventaire sur un
planisphère où elles piquent des épingles, tracent des routes, pistant l’amanteur. C’est d’autant
facile qu’il se raconte en selfies. Narcisse est perdu et, ce faisant, court-il à sa perte ?
Rico est moins Pessoa le poète qu’un Jean-Claude Romand qui ne serait pas passé à l’acte.
La première partie du film nous trace le portrait de l’hidalgo à travers la parole des femmes qui ont
été tellement séduites. Celle de Paris, de Montmartre, celle de la côte d’Azur ou des plages belges ou
celle du Brésil. Le dispositif filmique nous présente les femmes, les vraies, et des actrices jouant leur
témoignage. Qui est vrai, qui est faux, la vérité en forme de poupée russe.
Le visage de l’homme, longtemps désigné Lui, est caché jusqu’à ce que la documentariste rencontre
une avocate amie qui lui dit que oui, il faut cacher l’image.
Et que oui elle fait un boulot pour empêcher le prédateur de continuer sa prédation. Chaque femme
se croit unique, prise dans la belle histoire, qui est fausse.
C’est l’histoire d’un faussaire dont soudain le visage est dévoilé. L’histoire incroyable de Sonia
Kronlund qui part en Pologne, au Brésil, partout où l’homme vit, où il est passé, où il a laissé des
traces, voire celle d’un chandelier volé !
C’est tout pour les vols connus.
L’enquête se poursuit. Nous ne dirons pas comment le coureur s’épuise, comment le marathonien
des cœurs pourrait nous embarquer, face caméra : je commence à devenir amoureux de vous !
C’est plus fort que lui. En racontant un crack, un de plus, il affirme que oui cette histoire est vraie !
L’aplomb de l’instant. La vérité le constitue dans l’instant du lien. On le voit en train de se faire, face à
nous. Nous qui savons que c’est faux.
On voit cela, ce visage d’un homme qui ment. Et dont le nez ne bouge pas comme on le disait aux
enfants. Dont la voix est sûre et les mains ne tremblent pas.
Au détecteur de mensonges, Sonia Kronlund ne juge pas. C’est nous, les spectateurs du film qui
garantissant le droit d’avoir fait ce film-là, de garantir la sécurité des futures proies, ou de l’actuelle.
Déplaçons-nous l’instant où cette dernière va voir ça !
Aucun jugement sauf le nôtre. Sonia Kronlund dévoile, montre la vérité d’un homme qui ment
comme il respire, sauf que dans sa respiration, tant de femmes y ont cru, se sont laissées faire,
fausses fiches de paye, faux sur toute la ligne, est-ce qu’il y a un profil de femmes ?
La productrice des Pieds sur terre semble au final plutôt rassurée à ce sujet.
Voilà un garçon auquel elle a fait un beau film dans le dos.
Gilles Cervera