Cette interview mensuelle est réalisée en lien avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE. Retrouvez ci-dessous, après l'article, les thèmes sur l'exclusion analysés par nos précédents invités.
Le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, révèle pour la première fois les effets de la crise économique de 2008 sur le mal-logement. Que nous disent vos données ?
Les chiffres du mal-logement, analysés pour la première fois d’une manière approfondie depuis la dernière enquête sur le logement de 2006, sont particulièrement alarmants. Ce sont 3,8 millions de personnes qui sont mal logées en France et 12 millions qui sont fragilisées par une situation de logement particulièrement inconfortable. Au total, ce sont 15 millions de personnes directement touchées par la crise du logement. Sur à peu près tous les sujets, nous observons une aggravation de la situation. Parmi les chiffres les plus inquiétants, nous notons que le nombre de personnes sans domicile a augmenté d’environ 50 % entre 2001 et 2012, soit 141 500 personnes : c’est dramatique ! Nous savons que le logement est un facteur majeur dans l'approfondissement des inégalités.
Qu’est-ce qui a changé ?
Parmi les personnes privées de logements personnels, il y a celles qui sont hébergées de manière contrainte, chez des tiers, parents ou amis. Effectivement, ces personnes ne vivent pas dans la rue et ne sont donc pas comptées habituellement puisqu’elles sont invisibles. Ces tiers jouent comme un rôle d’amortisseur social de la crise du logement. Heureusement qu’il y a cette solidarité mais ce ne sont pas des conditions favorables pour se lancer dans la vie. Or ce nombre a augmenté de 20 % durant cette même période. C’est un phénomène que nous avions repéré bien sûr mais qui n’était pas mesuré.
Habituellement, le nombre de mètres carrés disponible par personne, tend à augmenter. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Pour la première fois, on assiste à une nouvelle augmentation du surpeuplement. Ce sont des ménages à qui il manque une ou deux pièces par rapport à la norme définie par l’Insee. Soit, ces personnes cohabitent dans la même chambre qu’un autre couple ou avec un autre adulte qui n’est pas le conjoint, soit elles dorment dans le salon ou la cuisine, soit les enfants occupent à trois ou quatre la même pièce… Ce nombre a augmenté de 17 % entre 2006 et 2013. Cela signifie que, dans les grandes villes, il y a une pénurie de logements accessibles financièrement et que cette pénurie est subie en particulier par les ménages à bas revenu qui sont obligés de s’entasser dans de petits logements. Les incidences sur la vie de famille, la santé, le bien-être sont innombrables.
Les chiffres du mal-logement, analysés pour la première fois d’une manière approfondie depuis la dernière enquête sur le logement de 2006, sont particulièrement alarmants. Ce sont 3,8 millions de personnes qui sont mal logées en France et 12 millions qui sont fragilisées par une situation de logement particulièrement inconfortable. Au total, ce sont 15 millions de personnes directement touchées par la crise du logement. Sur à peu près tous les sujets, nous observons une aggravation de la situation. Parmi les chiffres les plus inquiétants, nous notons que le nombre de personnes sans domicile a augmenté d’environ 50 % entre 2001 et 2012, soit 141 500 personnes : c’est dramatique ! Nous savons que le logement est un facteur majeur dans l'approfondissement des inégalités.
Qu’est-ce qui a changé ?
Parmi les personnes privées de logements personnels, il y a celles qui sont hébergées de manière contrainte, chez des tiers, parents ou amis. Effectivement, ces personnes ne vivent pas dans la rue et ne sont donc pas comptées habituellement puisqu’elles sont invisibles. Ces tiers jouent comme un rôle d’amortisseur social de la crise du logement. Heureusement qu’il y a cette solidarité mais ce ne sont pas des conditions favorables pour se lancer dans la vie. Or ce nombre a augmenté de 20 % durant cette même période. C’est un phénomène que nous avions repéré bien sûr mais qui n’était pas mesuré.
Habituellement, le nombre de mètres carrés disponible par personne, tend à augmenter. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Pour la première fois, on assiste à une nouvelle augmentation du surpeuplement. Ce sont des ménages à qui il manque une ou deux pièces par rapport à la norme définie par l’Insee. Soit, ces personnes cohabitent dans la même chambre qu’un autre couple ou avec un autre adulte qui n’est pas le conjoint, soit elles dorment dans le salon ou la cuisine, soit les enfants occupent à trois ou quatre la même pièce… Ce nombre a augmenté de 17 % entre 2006 et 2013. Cela signifie que, dans les grandes villes, il y a une pénurie de logements accessibles financièrement et que cette pénurie est subie en particulier par les ménages à bas revenu qui sont obligés de s’entasser dans de petits logements. Les incidences sur la vie de famille, la santé, le bien-être sont innombrables.
En 2015, les conséquences des reniements
Est-ce que la politique du logement prend en compte cette aggravation ? Les mesures sont-elles à la hauteur ?
Force est de constater que ce n’est pas le cas. Des actions ont bien été menées et vont plutôt dans le bon sens mais cela ne suffit pas. On a subi en 2015 les conséquences des reniements de l’année précédente. Le quinquennat avait commencé de manière ambitieuse avec l’idée de réguler les marchés de l’immobilier, d’encadrer les loyers, d’offrir une garantie des loyers à tous les citoyens même à ceux par exemple, qui ne disposent pas de caution parentale. Or, il y a eu l’an passé un retournement idéologique du gouvernement et les personnes les plus précaires en subissent aujourd’hui les conséquences avec un encadrement des loyers qui se fait a minima : seule la ville de Paris l’a mis en place alors que la loi prévoyait l’engagement de 1 149 communes.
Que pensez-vous du nouveau dispositif Visale, Visa pour le Logement et l’Emploi, qui a remplacé en janvier dernier la garantie des risques locatifs ?
C’est un dispositif beaucoup moins ambitieux sans compter que c’est une fois encore un désengagement de l’Etat puisque Visale est financé par les partenaires sociaux. Ce dispositif, mis en place en ce début d’année, propose aux locataires du parc locatif privé, une garantie remboursable, assurant ainsi le paiement du loyer et des charges locatives en cas d’impayés. Sauf qu’il ne s’adresse qu’aux salariés précaires entrant dans l’emploi. On est donc dans cette situation aberrante d’une garantie qui doit aider les plus précaires à accéder au logement mais qui ne concerne plus les chômeurs ! La seule réponse qui nous est donnée est que cela coûterait trop cher… Pourtant, les 400 millions d’euros estimés pour cette mesure auraient pu être récupérés par les bailleurs privés puisque c’est une garantie gratuite qui leur est offerte. Il y a eu ce refus politique de taxer les bailleurs et la décision de ne pas augmenter les dépenses publiques de l’Etat. On se retrouve donc avec des politiques a minima faute de volontarisme budgétaire.
Force est de constater que ce n’est pas le cas. Des actions ont bien été menées et vont plutôt dans le bon sens mais cela ne suffit pas. On a subi en 2015 les conséquences des reniements de l’année précédente. Le quinquennat avait commencé de manière ambitieuse avec l’idée de réguler les marchés de l’immobilier, d’encadrer les loyers, d’offrir une garantie des loyers à tous les citoyens même à ceux par exemple, qui ne disposent pas de caution parentale. Or, il y a eu l’an passé un retournement idéologique du gouvernement et les personnes les plus précaires en subissent aujourd’hui les conséquences avec un encadrement des loyers qui se fait a minima : seule la ville de Paris l’a mis en place alors que la loi prévoyait l’engagement de 1 149 communes.
Que pensez-vous du nouveau dispositif Visale, Visa pour le Logement et l’Emploi, qui a remplacé en janvier dernier la garantie des risques locatifs ?
C’est un dispositif beaucoup moins ambitieux sans compter que c’est une fois encore un désengagement de l’Etat puisque Visale est financé par les partenaires sociaux. Ce dispositif, mis en place en ce début d’année, propose aux locataires du parc locatif privé, une garantie remboursable, assurant ainsi le paiement du loyer et des charges locatives en cas d’impayés. Sauf qu’il ne s’adresse qu’aux salariés précaires entrant dans l’emploi. On est donc dans cette situation aberrante d’une garantie qui doit aider les plus précaires à accéder au logement mais qui ne concerne plus les chômeurs ! La seule réponse qui nous est donnée est que cela coûterait trop cher… Pourtant, les 400 millions d’euros estimés pour cette mesure auraient pu être récupérés par les bailleurs privés puisque c’est une garantie gratuite qui leur est offerte. Il y a eu ce refus politique de taxer les bailleurs et la décision de ne pas augmenter les dépenses publiques de l’Etat. On se retrouve donc avec des politiques a minima faute de volontarisme budgétaire.
Une valse de ministres du Logement
© Fondation Abbé Pierre
L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) vient de présenter son nouveau programme national de renouvellement urbain qui devrait permettre de rénover 400 quartiers en 10 ans avec un budget de 5 milliards d’euros. Est-ce suffisant ?
C’est plus de deux fois moins que la somme attribuée durant la première décennie pour le programme de rénovation urbaine. Là encore, l’Etat se désengage et compte sur la mobilisation des collectivités territoriales. Comment dans ces conditions, poursuivre la rénovation urbaine, remodeler les quartiers populaires, reconstruire des logements qui soient réellement accessibles aux ménages à bas revenus ?
Voilà des années que vous soulevez le problème du mal-logement. Qu’espérez-vous de ce nouveau rapport ?
Nous l’avons remis à Silvia Pinel, ministre du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité… mais elle a quitté le gouvernement une semaine après ! Nous avons eu trois ministres du logement dans un seul quinquennat… Cette valse ne sert pas une politique durable du logement et ce sont à chaque fois, des mois qui sont perdus. Personne, jusqu’à présent, ne conteste nos chiffres ni nos analyses. Silvia Pinel, qui a constaté la défaillance des bailleurs privés, a chargé la fondation abbé Pierre d’une mission sur la mobilisation du parc locatif privé, parent pauvre depuis des années de la politique du logement. Il ne suffit pas de faire des logements sociaux, il faut aussi mobiliser le parc privé et faire de l’intermédiation locative. Les bailleurs privés doivent donc mettre à disposition leurs logements en échange de moyens financiers. Nous ferons des propositions dans les mois qui viennent mais nous arrivons à la fin du quinquennat… Il y a un risque à ce que cette préconisation ne tombe aux oubliettes… Nous devons rencontrer très prochainement la nouvelle ministre du Logement et de l'Habitat durable, Emmanuelle Cosse, et espérons qu’elle reprenne le flambeau. Elle nous a assuré s’inscrire dans les pas de ce qui constituait la loi Alur, avec cette ambition de réguler le marché de l’immobilier. Nous la jugerons sur ses actes.
Un projet de loi est en cours, Egalité et citoyenneté, avec notamment une incitation à reloger les ménages à bas revenus dans les quartiers aisés. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons l’impression que ce projet de loi va dans le bon sens. Nous avons toujours milité pour tenter de concilier mixité sociale et droit au logement. En janvier dernier, le Premier ministre a annoncé qu’il pénaliserait les ménages à bas revenus qui ne pourraient plus avoir accès au parc social dans les quartiers dits "politique de la Ville" ! Or, c’est le parc auquel ils ont le plus facilement accès puisque c’est le moins cher. Au nom de l’habitat social, cette décision aurait donc pénalisé les mal-logés ! Nous avons réagi et avons obtenu gain de cause. Ce nouveau projet de loi est une incitation à accueillir les ménages pauvres là où il n’y en a pas beaucoup. Il y a eu aussi la tentation du gouvernement d’amoindrir la portée du droit au logement opposable... Cela a été heureusement supprimé. Ce qui reste n’est pas extrêmement ambitieux mais va plutôt dans le bon sens. Nous espérons donc qu’il sera voté au sénat et au parlement… avant la fin du quinquennat. C’est vrai que devant de tels constats, le mot d’ordre de la Fondation est clair : le combat doit plus que jamais continuer.
Interview recueillie par Tugdual Ruellan
C’est plus de deux fois moins que la somme attribuée durant la première décennie pour le programme de rénovation urbaine. Là encore, l’Etat se désengage et compte sur la mobilisation des collectivités territoriales. Comment dans ces conditions, poursuivre la rénovation urbaine, remodeler les quartiers populaires, reconstruire des logements qui soient réellement accessibles aux ménages à bas revenus ?
Voilà des années que vous soulevez le problème du mal-logement. Qu’espérez-vous de ce nouveau rapport ?
Nous l’avons remis à Silvia Pinel, ministre du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité… mais elle a quitté le gouvernement une semaine après ! Nous avons eu trois ministres du logement dans un seul quinquennat… Cette valse ne sert pas une politique durable du logement et ce sont à chaque fois, des mois qui sont perdus. Personne, jusqu’à présent, ne conteste nos chiffres ni nos analyses. Silvia Pinel, qui a constaté la défaillance des bailleurs privés, a chargé la fondation abbé Pierre d’une mission sur la mobilisation du parc locatif privé, parent pauvre depuis des années de la politique du logement. Il ne suffit pas de faire des logements sociaux, il faut aussi mobiliser le parc privé et faire de l’intermédiation locative. Les bailleurs privés doivent donc mettre à disposition leurs logements en échange de moyens financiers. Nous ferons des propositions dans les mois qui viennent mais nous arrivons à la fin du quinquennat… Il y a un risque à ce que cette préconisation ne tombe aux oubliettes… Nous devons rencontrer très prochainement la nouvelle ministre du Logement et de l'Habitat durable, Emmanuelle Cosse, et espérons qu’elle reprenne le flambeau. Elle nous a assuré s’inscrire dans les pas de ce qui constituait la loi Alur, avec cette ambition de réguler le marché de l’immobilier. Nous la jugerons sur ses actes.
Un projet de loi est en cours, Egalité et citoyenneté, avec notamment une incitation à reloger les ménages à bas revenus dans les quartiers aisés. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons l’impression que ce projet de loi va dans le bon sens. Nous avons toujours milité pour tenter de concilier mixité sociale et droit au logement. En janvier dernier, le Premier ministre a annoncé qu’il pénaliserait les ménages à bas revenus qui ne pourraient plus avoir accès au parc social dans les quartiers dits "politique de la Ville" ! Or, c’est le parc auquel ils ont le plus facilement accès puisque c’est le moins cher. Au nom de l’habitat social, cette décision aurait donc pénalisé les mal-logés ! Nous avons réagi et avons obtenu gain de cause. Ce nouveau projet de loi est une incitation à accueillir les ménages pauvres là où il n’y en a pas beaucoup. Il y a eu aussi la tentation du gouvernement d’amoindrir la portée du droit au logement opposable... Cela a été heureusement supprimé. Ce qui reste n’est pas extrêmement ambitieux mais va plutôt dans le bon sens. Nous espérons donc qu’il sera voté au sénat et au parlement… avant la fin du quinquennat. C’est vrai que devant de tels constats, le mot d’ordre de la Fondation est clair : le combat doit plus que jamais continuer.
Interview recueillie par Tugdual Ruellan
ETAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE, LE RAPPORT
LA FONDATION ABBÉ PIERRE ACCUSE…
Au lieu des 150 000 logements sociaux attendus, seuls 109 000 ont été́ financés en 2015, en baisse annuelle de 9 %.
Un même bilan décevant concerne la production de logements très sociaux à bas niveau de quittance (« PLAI adaptés ») : à peine plus de 700 ont été́ programmés alors que 3 000 étaient promis en 2015...
Malgré́ le lancement salué, au début de l’année 2015, d’un plan de réduction des nuitées hôtelières, le recours à l’hôtel, coûteux et inadapté́ aux familles, poursuit sa hausse : + 23 % en 2015 après des hausses de 27 % en 2013 et en 2014, pour atteindre 40 000 nuitées quotidiennes à la fin de l’année. La volonté́ affichée de privilégier le logement pérenne plutôt que l’hébergement d’urgence ne se traduit pas clairement dans les actes ou dans le budget...
Le nombre de ménages reconnus prioritaires au Droit au logement opposable (Dalo) restant à reloger ne cesse d’augmenter.
MANUEL DOMERGUE, ENGAGÉ DE LA PREMIÈRE HEURE