C’était le 11 octobre dernier, en fin de matinée. Nous avions pris rendez-vous, pour Histoires Ordinaires, avec Gaï Elhalan. Gaï et sa compagne Noa vivent à Tel Aviv, dans le quartier historique de Neve Tzedek qui se cache derrière les buildings clinquants du bord de mer.
Nous voulions connaître Gaï, l’artiste, le militant pacifiste, l’animateur de la radio israélo-palestinienne «All for Peace». Pendant que Noa continuait à fabriquer les marionnettes de leur prochain spectacle, Gaï s’est assis près de ses deux guitares et, de sa voix posée, paisible, a raconté.
Nous voulions connaître Gaï, l’artiste, le militant pacifiste, l’animateur de la radio israélo-palestinienne «All for Peace». Pendant que Noa continuait à fabriquer les marionnettes de leur prochain spectacle, Gaï s’est assis près de ses deux guitares et, de sa voix posée, paisible, a raconté.
Un grand père général et pacifiste
Son histoire est d’abord une grande histoire de famille. Par son père, Rami Elhanan, Gaï appartient à une « neuvième génération » de juifs israéliens. Ses aïeux «sont arrivés fin 18e – début 19e parmi quelques milliers de juifs fuyant les pogroms tsaristes. » Certains, dans la famille, prétendent d’ailleurs à une sorte de pureté originelle : ils appartiennent aux « Neiturei Karta », ces ultra-orthodoxes pour lesquels l’État actuel d’Israël est une insulte à Dieu, le Messie pouvant seul recréer le royaume perdu.
Par sa mère, Nurit Peled, Gaï a surtout hérité d’un grand-père à l’immense personnalité, Matti Peled, professeur de littérature arabe, général et député constamment engagé dans le dialogue avec les leaders palestiniens. Gaï s’en va chercher une photo. Elle date de 1976 : autour de Yasser Arafat, on découvre son successeur Mahmoud Abbas ; le célèbre pacifiste israélien Uri Avnery, Matti Peled…
C’est dans cette famille que Gaï nait en 1979 et grandit tranquillement, artiste déjà dès le lycée, avant d’affronter plus que d’autres, à 18 ans, le tourment des jeunes adultes israéliens : les trois ans d’armée. «Je ne voulais pas mais la pression était forte : “Tu ne pourras pas faire ceci, faire cela… ” On ne fait pas l’armée pour aller au front, pour battre l’ennemi, pour la gloire mais par peur de ne pas pouvoir accéder aux bonnes universités, aux bons postes, à l’excellence. »
Par sa mère, Nurit Peled, Gaï a surtout hérité d’un grand-père à l’immense personnalité, Matti Peled, professeur de littérature arabe, général et député constamment engagé dans le dialogue avec les leaders palestiniens. Gaï s’en va chercher une photo. Elle date de 1976 : autour de Yasser Arafat, on découvre son successeur Mahmoud Abbas ; le célèbre pacifiste israélien Uri Avnery, Matti Peled…
C’est dans cette famille que Gaï nait en 1979 et grandit tranquillement, artiste déjà dès le lycée, avant d’affronter plus que d’autres, à 18 ans, le tourment des jeunes adultes israéliens : les trois ans d’armée. «Je ne voulais pas mais la pression était forte : “Tu ne pourras pas faire ceci, faire cela… ” On ne fait pas l’armée pour aller au front, pour battre l’ennemi, pour la gloire mais par peur de ne pas pouvoir accéder aux bonnes universités, aux bons postes, à l’excellence. »
Smadar Elkhalan, 14 ans, tuée dans un attentat du Hamas
Le jeune Gaï Elhalan enfile donc le treillis. Pendant un mois. C’est alors que sa vie, celle de sa mère, Nurit Peled, de son père, Rami Elhalan, et de toute la famille, bascule. L’après-midi du jeudi 4 septembre 1997, leur fille et sœur, Smadar, 14 ans, est tuée dans un attentat-suicide du Hamas, rue Ben Yehuda à Jérusalem. Les Elhalan transcendent leur douleur : le combat contre la haine devient pour eux une affaire personnelle.
À l’armée, relégué à des postes subalternes en raison du drame, Gaï réfléchit de plus en plus à la société dans laquelle il vit. Dans les mois qui suivent, ses parents intègrent le «Forum des familles endeuillées» lancé deux ans plus tôt et qui réunit cinq-cents familles, moitié israéliennes moitié palestiniennes. Nurit Peled et Rami Elhalan s’engagent de plus en plus et revivent. Leur fils aussi. Lors de sa troisième et dernière année d’armée, Gaï sympathise avec les «Noirs », les Juifs séfarades venus des pays arabes ainsi désignés par les Ashkénazes, les « Blancs » venus d’Europe centrale. Il les défend et aiguise sa critique.
À l’armée, relégué à des postes subalternes en raison du drame, Gaï réfléchit de plus en plus à la société dans laquelle il vit. Dans les mois qui suivent, ses parents intègrent le «Forum des familles endeuillées» lancé deux ans plus tôt et qui réunit cinq-cents familles, moitié israéliennes moitié palestiniennes. Nurit Peled et Rami Elhalan s’engagent de plus en plus et revivent. Leur fils aussi. Lors de sa troisième et dernière année d’armée, Gaï sympathise avec les «Noirs », les Juifs séfarades venus des pays arabes ainsi désignés par les Ashkénazes, les « Blancs » venus d’Europe centrale. Il les défend et aiguise sa critique.
En 2000, quand il arrive en France pour ses études, Gaï est prêt à franchir un nouveau cap. Il se met à apprendre l’arabe, fréquente les militants français qui l’invitent à témoigner, lâche un jour le fond de sa pensée et dans la foulée signe la lettre des « Refuzniks », l’appel à l’objection de conscience pour les jeunes israéliens. Le voilà dans le mouvement « Le Courage de refuser ». Sur les scènes de France, Gaï le militant retrouve Gaï l’artiste : «Petit à petit, j’ai transformé les conférences en séances de contes contemporains puis former un groupe avec des Palestiniens. »
Un spectacle satirique et philosophique
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C’est un artiste pacifiste qui signe, en 2006, son retour sur la terre d’Israël. Son art mûrit. Il introduit des marionnettes et surtout le contenu devient «beaucoup plus satirique, philosophique aussi. » Il crée une troupe qui se produit dans les festivals de théâtre alternatif à défaut d’avoir accès aux scènes nationales. Il décrit les « fragments d’identité » de la société israélienne qui semble n’avoir pour seul ciment que la peur de l’autre et la guerre qui va avec. Il « lutte contre la propagande » et ce que « beaucoup de gens appellent, dit-il, la fascisation » qui menace Israël.
Pendant ce temps, ses parents parcourent aussi le pays. Et parlent, parlent encore. Au printemps dernier, à la veille de la « Nakba », la « catastrophe » que représentent pour les Palestiniens la défaite et l’exode de 1948, Nurit Peled, prix Sakharov pour les droits de l’Homme, a fait une longue déclaration commençant ainsi : «Je porterai le deuil pour la Nakba. Je porterai le deuil pour la Palestine disparue que, dans sa plus grande partie, je ne connaîtrai jamais. Je porterai le deuil pour la terre sainte qui perd son humanité, son paysage, sa beauté et ses enfants sur l'autel du racisme et du mal… »
Deux « frères », Rami l’Israélien et Bassam le Palestinien
En avril, dans un long discours que l’on peut retrouver sur le site d’UAVJ (Une autre voix juive), Rami Elhalan est revenu sur ses treize années de deuil, en insistant sur «le point culminant de cette traversée » : «La rencontre entre moi et mon frère le « terroriste » qui a passé sept ans dans les prisons israéliennes, le combattant pour la Paix Bassam Aramin. » Et de citer la lettre de ce dernier :
«“Chers Nurit et Rami, je voulais vous dire combien je m’identifie à vous, comme un frère, en ce triste anniversaire de la mort de votre pure et belle enfant Smadar (…) ; depuis que nous nous sommes rencontrés, je n’ai pas eu le courage de vous écrire à ce propos par peur d’ajouter encore plus de chagrin et de souffrance dans vos cœurs. Je pensais que le temps, petit à petit soignerait cette profonde blessure. (…) Mais quand ma fille Abir a été assassinée par un soldat israélien le 16 janvier 2007, j’ai compris que les parents n’oublient jamais, ne serait-ce qu’un seul instant. Nous vivons nos vies d’une manière spéciale que les autres ne connaissent pas et j’espère qu’aucun autre être humain, qu’il soit Palestinien ou Israélien, ne sera jamais forcé de la connaître.”»
«“Chers Nurit et Rami, je voulais vous dire combien je m’identifie à vous, comme un frère, en ce triste anniversaire de la mort de votre pure et belle enfant Smadar (…) ; depuis que nous nous sommes rencontrés, je n’ai pas eu le courage de vous écrire à ce propos par peur d’ajouter encore plus de chagrin et de souffrance dans vos cœurs. Je pensais que le temps, petit à petit soignerait cette profonde blessure. (…) Mais quand ma fille Abir a été assassinée par un soldat israélien le 16 janvier 2007, j’ai compris que les parents n’oublient jamais, ne serait-ce qu’un seul instant. Nous vivons nos vies d’une manière spéciale que les autres ne connaissent pas et j’espère qu’aucun autre être humain, qu’il soit Palestinien ou Israélien, ne sera jamais forcé de la connaître.”»
Un voilier contre le blocus de Gaza
Rami Elhalan et Bassam Aramin ont créé ensemble une émission sur la radio «All for Peace». Elle est animée par Gaï qui, chaque semaine, y donne la parole à divers groupes militants, à des jeunes, des artistes. Elle s’appelle, traduit en français, «On change de direction».
Avant de nous quitter, nous avons évoqué avec Gaï la dernière action de son père quinze jours plus tôt. Dans la sillage de la fameuse flotille pour Gaza arraisonnée dramatiquement le 31 mai, Rami Elkhalan a embarqué sur une voilier avec une dizaine de militants israéliens et européens pour tenter de forcer à leur tour le blocus contre Gaza. Ils ont été bien sûr arrêtés. L’ancien député a subi huit heures d’interrogatoire. Il en faudrait bien plus pour décourager cet homme et cette famille…
Michel ROUGER.
Avant de nous quitter, nous avons évoqué avec Gaï la dernière action de son père quinze jours plus tôt. Dans la sillage de la fameuse flotille pour Gaza arraisonnée dramatiquement le 31 mai, Rami Elkhalan a embarqué sur une voilier avec une dizaine de militants israéliens et européens pour tenter de forcer à leur tour le blocus contre Gaza. Ils ont été bien sûr arrêtés. L’ancien député a subi huit heures d’interrogatoire. Il en faudrait bien plus pour décourager cet homme et cette famille…
Michel ROUGER.