Livres

Dominique Dussidour, La nuit de Gigi. Ed La table ronde 20€

Dominique Dussidour, qui fut une membre très active du collectif Remue.net (site de litterature comtenporaine) fondé par François Bon, a publié une quinzaine d’ouvrages, parmi lesquels un beau portrait de Munch, Si c’est l’enfer qu’il voit (Gallimard, 2006) et le remarquable S. L. E. Récits d’Algérie (La Table ronde, 2012), nourri de son expérience personnelle, puisqu’elle a, très jeune, enseigné le français à Saïda, dans les années 1970. Selon le préfacier, Laurent Grisel, elle avait noté dans son journal, à propos de La Nuit de Gigi : « Je crois que le roman que j’écris est le roman que je voulais écrire. »


La nuit et les jours

11/09/2023




Le livre La nuit de Gigi n’est pas à lire seulement parce que Dominique
Dussidour est morte peu après avoir posé son point final.
Pas non plus parce que le livre livre la mort, noyade infinie, fleuve sombre,
Léthé, Styx ou Seine, mais bel et bien à lire parce que le livre s’illumine du
vivant.
Les conversations nombreuses, infinies, adolescentes, futiles et sensibles sont
des dialogues qui vibrent l’aujourd’hui. On sent la vapoteuse tout parmi ou les
effluves par moment de joints qui flottent.
Les escarmouches sont vives, acides, les effusions l’emportent mais l’une et
l’autre sont surtout nimbées d’une fraternité, amoureuse, amicale, on aurait dit
bien avant camarade.
Le roman déroule une cour parisienne. Un quartier. La rue bien nommée des
Martyrs et ses bars-tabacs célèbres. Le récit est, c’est là que Dussidour innove,
jeune.
On dirait djeun si ce n’était carrément démodé !
Sans esbrouffe, sans malignité non plus, ni faux semblant.
Gabrielle est la fille de Gigi. Elle est puissante comme sa mère qui l’a engendrée
d’un trio compagnonnique adolescent. La fille d’un improbable père qui peut
avoir deux prénoms, deux sangs, deux origines, deux ADN ! Il est dit que les
mères sont trop jeunes quand elles accouchent, et alors ? Le duo mère-fille est
passé aussi au scanner de la vie ordinaire et Gigi aime trop, peut-on le dire, la
courée de Gabrielle et de ses camarades. Léo, Lola et Honoré. Sa couvée !

On est entrainé dans la ronde. Le lecteur est pris dans la bande, jusqu’à ce que
le vent tourne, par l’absence de Gabrielle.
Le vide que ça fait.
Et son mystère. L’installation du mystère est douce, comme suspendue aux
indices vitaux, au grand père notamment, le père de Gigi, amoureux des livres
et dont un bord du corps et de l’âme est resté dans la guerre d’Algérie. Lui est
vieux le vieil Henri, il meurt donc dans l’ordre et c’est là l’indice principal. Il y a
la mort comme le nez au milieu de la figure. La mort à fond dans la vie. Il y a la
peur dans la joie, on ne peut pas ne pas penser au cancer qui est en train
d’emporter l’auteure.
Gabrielle ne vient pas au vernissage d’Honoré. Léo et Lola étaient sûrs qu’ils
allaient l’y retrouver. Honoré, son amoureux, plus que sûr, certain ! Gigi va voir
les flics, pas de disparition à noter puisque Gabrielle est une jeune adulte et il y
a dans le monde des flics tellement de ruptures, de départs, tellement de
mystère pour les flics l’anormal est normal, ils se veulent rassurants. Donc, ils
inquiètent.
Gabrielle n’est pas là.
Le flip de Gigi est le nôtre.
Qu’est-ce qui se passe ?
On peut partir. On peut mourir aussi, même jeune adulte, même ado. Même
que la vie est désormais un livre qui contient au moins trois morts, celle de
l’auteure et celle des livres qu’elle n’écrira plus.
Le roman est une topologie : la cour donc, l’appartement, le rez-de-chaussée
avec une librairie fabuleuse, et autre topique, à suivre et lancinante : l’absence,
la disparition. Les chapitres !

Gilles Cervera

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