18/05/2014

La terre des paysans de Halhul résiste aux colons


Le raisin de la Bible venait en partie de là. « Il est cultivé dans la région depuis 4 000 ans », souligne Raed Abou-Youssef. C'est dire s'il ne lâchera pas sa terre aux colons et à l'armée israélienne. Et il n'est pas seul. La coopérative Al Sanabel qu'il préside réunit 350 paysans. Une force. Des gens se sont même mis à replanter, remportant autant de petites victoires stratégiques.



Raed Abou-Youssef lors d'un passage récent chez des amis paysans bretons
Pourquoi n'est-il pas parti chercher un avenir ailleurs, comme bien d'autres, avec son diplôme de machinisme agricole acquis à Montpellier ? Raed Abou-Youssef, qui est de passage chez un paysan breton, sourit, s'étonne de la question.  « J'ai eu plusieurs propositions de travail mais je suis d'une famille qui aime beaucoup la terre, son pays, et ce pays mérite qu'on reste ici. »
 
Le fils de paysan a grandi entre ces vignes de Halhul, près d'Hébron, généreuses. Sur un dunum (1000 m2), elles peuvent donner une tonne et demie de raisin de table.  Au total, ce petit coin de Palestine produit plus de 75 000 tonnes de raisin par an. Autrefois, en gros avant l'année 2000, « on gagnait notre vie normalement, indique Raed Abou-Youssef ;  le raisin était vendu dans les villes palestiniennes, à Gaza, sur les marchés israéliens, en Jordanie et même jusqu'au Koweit et en Arabie Saoudite. »

En 2006, 60 % du raisin perdu

Mais, avant même 2000, le ver était dans le fruit. « Lors des accords d'Oslo, en 1993, les dirigeants palestiniens ont accepté que beaucoup de produits agricoles soient  interdits à la vente en Israël : tomates, concombres, courgettes, œufs, lait, sauf si Israël en avait besoin. Le raisin n'était pas sur la liste mais le gouvernement israélien nous a rendu la vie de plus en plus compliquée. »
 
« À partir de 2000, poursuit-il, ça c'est dégradé. À la suite de l'intifada, Israël a commencé à frapper fort, multipliant les checkpoints, bloquant les routes. On ne savait plus quoi faire : cultiver ou pas cultiver ? En 2006, ça été catastrophique. Nous avons perdu 60 % du raisin : toutes les routes étant bloquées, le raisin a pourri dans les camions ou bien les paysans ne l'ont pas ramassé. C'est là qu'on a eu l'idée de créer la coopérative Al Sanabel. »
 
Raed Abou-Youssef et huit autres paysans se serrent alors les coudes. L'idée : faire du jus de raisin pour ne rien perdre en cas de problème. Une petite unité démarre, à la main, de jus de raisin pasteurisé, sans produits chimiques bien sûr. Pendant deux ans ils expérimentent. Deux viticulteurs vont se former à la coopérative Terrena à Ancenis. À partir de là,  le petit groupe de coopérateurs commence à travailler le produit, à mélanger les variétés, selon les taux d'acidité ou de sucre, pour satisfaire tous les goûts.

Les aides publiques : une arme contre l'indépendance économique

70 000 visiteurs de toute la Palestine sont venus au Festival du Raisin en octobre 2013 (Photo AFPS)
« Peu à peu, reprend le président d'Al Sanabel, les gens ont dit : "Qu'est-ce qui se passe ?" Maintenant, on est arrivé à 65 coopérateurs, on en reste là, davantage ce serait trop difficile à gérer, mais chaque coopérateur peut parrainer cinq autres paysans. Nous sommes donc 365 à bénéficer de la coopérative. »
 
En 2010, ils décident de passer à la vitesse supérieure. Un terrain est acheté. Bientôt, un bâtiment de 480 m2 sort de terre. Reste à l'équiper en pressoirs, en équipements de filtration, pasteurisation...  Et il faut de l'argent. Pas possible de compter sur les pays donateurs.  
 
« Si tu dis aux Américains "J'ai besoin d'une machine pour la mise en bouteille", ce sera non, non, non. Les Américains financent des routes, des hôpitaux, des écoles mais l'argent a un prix politique, il est donné pour que les Palestiniens n'obtiennent jamais l'indépendance économique. La Palestine est, par habitant, le pays le plus aidé du monde et la situation économique est de plus en plus mauvaise. Les pays donateurs veulent que l'Autorité Palestinienne suive leur politique, c'est comme ça aussi qu'ils laissent faire la corruption. »

Une solidarité entre les peuples, entre paysans

Al Sanabel, c'est donc « un projet de solidarité entre les peuples » comme dit son président. La coopérative est soutenue par les comités bretons  de l'Association France Palestine Solidarité (AFPS) dont celui de Rennes qui a résumé sur son blog l'aventure de la coopérative. Raed Abou-Youssef est en France ces temps-ci pour trouver l'équipement. Le système de parrainage de l'AFPS et l'aide des collectivités bretonnes ne permettent pas cependant d'aller vite. 
 
Le nouvel atelier ne devrait pas ouvrir avant 2017, peu importe : « On va attendre, on va continuer de la même façon, on ne va pas baisser la tête. » Et ça n'empêche pas de voir loin : « On a le projet de presser jusqu'à 30 % de la production de la région ; si Israël bloque les villes et les villages, on a une solution : les bouteilles à remplir. »
 
Une sorte de confiance est revenue sur les pentes de Halhul. Il se trouve déjà qu'ici  le colonisateur ne peut guère subtiliser l'eau à son profit : par leur technique et leur travail, les paysans parviennent à cultiver sans irrigation d'autant que les terres sont à 1000 m d'altitude. Et voilà qu'ensemble ils se sont donnés des perspectives.  

Des gens cultivent de nouveau

Et on en parle. Le Festival du Raisin a connu un gros succès en octobre 2013 : 70 000 visiteurs venus de toute la Palestine se sont retrouvés sur la place de la mairie de Halhul. Tant et si bien que « des gens ont commencé à reprendre le métier de leurs parents », signale Raed Abou-Youssef, plutôt que d'aller quémander un travail et subir mille tracas en Israël. « Une vingtaine de nouveaux paysans sont arrivés, 300 000 pieds ont été replantés : on préserve nos terres et même la surface augmente. »
 
Face à la colonisation qui pèse sur eux, les paysans d'Halhul ont sans doute trouvé avec la coopérative une arme plus forte que la violence car elle dérange davantage. « C'est un combat. Le gouvernement israélien, les colons, l'armée veulent notre terrre. Comment, disent-ils, se débarrasser de ces gens-là ?  Donc,  ils veulent rendre la vie impossible aux paysans palestiniens, jusqu'à tuer, pour qu'ils partent. Les paysans qui ont des parcelles au bord des colonies, des routes ou du Mur ont toujours des problèmes. Parfois, les colons arrachent nos vignes ou mettent le feu ; une année, ils ont mis de l'herbicide. Les colons, c'est comme un cancer qui se développe. »

« Si on cultive la terre, on la protège »

Partir, c'est donc céder à la pression, c'est la Palestine un peu plus amputée : « Israël prend un prétexte datant de la période ottomane qui donne le droit au gouvernement de confisquer une terre non utilisée pendant trois ans. Il faut que les gens comprennent bien que si on cultive la terre, on la protège. » La coopérative, c'est ainsi à la fois « un projet économique et de la résistance politique. » Une résistance qui se manifeste aussi dans les nombreux procès engagés contre les colons ou l'armée avec l'aide d'avocats israéliens progressistes, arabes ou juifs, ou d'associations quand il s'agit de procès collectifs. 
 
Pour Raed Abou-Youssef, le pur résistant arrêté une dizaine de fois pendant la première intifada, ce combat paysan exige des sacrifices. Notamment la séparation d'avec sa famille. « Ma femme est de Jérusalem. Si elle vit avec moi, elle  perd sa carte d'identité et elle est expulsée pour mettre à sa place des gens qui peuvent venir d'un peu partout. » 
 
Elle vit donc à Jérusalem avec leurs trois enfants de 17, 15 et 14 ans. Ils viennent quand il n'y a pas d'école, du jeudi soir au vendredi en fin d'après-midi et pendant les vacances. Parfois, il obtient une autorisation, il va les voir, et il revient à Halhul retrouver ses 5 ha de vignes, les paysans dont il répare les tracteurs pour compléter ses revenus, la coopérative avec ses projets et son slogan : « Cultiver c'est résister. »

Michel Rouger


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