© Jean-Yves Dagnet
Enfin, ça y est, rendez-vous est pris. Pas facile de voler deux heures à Laurent Prieur. Mais maintenant c'est bon. Nous voilà dans l'une des alvéoles de TAg 35, la pépinière d'entreprises ESS tapie dans un recoin du Haut-Blosne, le quartier sud de Rennes. On peut commencer et il ne faut pas traîner une fois servi le café. Trop à dire.
Un jour, il y a 55 ans, naît à Calais un petit Laurent. La famille est de milieu populaire : Mme Prieur est couturière, Mr Prieur employé dans la distribution. « Mon père, autodidacte, a gravi tranquillement les marches et fini directeur de magasin : l'ascenseur social. » A 8 ans : déménagement. La famille descend dans le Val de Loire et c'est à Orléans que Laurent Prieur décroche son bac puis peut-être son avenir : « Un BTS Electrotechnique, une erreur d'aiguillage, mes parents voulaient que j'aie un bon métier... »
Un jour, il y a 55 ans, naît à Calais un petit Laurent. La famille est de milieu populaire : Mme Prieur est couturière, Mr Prieur employé dans la distribution. « Mon père, autodidacte, a gravi tranquillement les marches et fini directeur de magasin : l'ascenseur social. » A 8 ans : déménagement. La famille descend dans le Val de Loire et c'est à Orléans que Laurent Prieur décroche son bac puis peut-être son avenir : « Un BTS Electrotechnique, une erreur d'aiguillage, mes parents voulaient que j'aie un bon métier... »
Un premier projet... qui a trop bien marché
Il a déjà esquissé malgré tout ses combats d'adulte en entrant à 16 ans dans le monde associatif à travers les centres de vacances et de loisirs. Il se découvre aussi une appétence pour l'Histoire qui l'amène à la sauvegarde du patrimoine. C'est ainsi qu'il se retrouve, quand arrive le moment du service militaire, à être objecteur de conscience dans une association qui restaure le château de Pontivy. Première rencontre avec la Bretagne.
Après un détour par des petits boulots à Paris, entre restauration rapide et supérette, le revoilà dans le Val de Loire, où un copain, docteur en Histoire à l'Université Rabelais de Tours le ramène au patrimoine. Ils montent un projet : proposer aux communes rurales des soirées d'animation autour de l'histoire et de l'architecture de leur église.
Après un détour par des petits boulots à Paris, entre restauration rapide et supérette, le revoilà dans le Val de Loire, où un copain, docteur en Histoire à l'Université Rabelais de Tours le ramène au patrimoine. Ils montent un projet : proposer aux communes rurales des soirées d'animation autour de l'histoire et de l'architecture de leur église.
« C'est le premier projet entrepreneurial associatif. Ça a super bien marché. Trop bien ! Nous avons été débordés par la demande. Mais on ne se faisait pas payer assez. On n'arrivait pas à en vivre. Au bout de six-huit mois mois, on s'est arrêté, j'ai recherché du boulot. »Laurent Prieur a alors 25 ans. Il vient de se marier. Pour vivre, il fait de l'intérim jusqu'au jour où il voit une annonce de la MNEF, la Mutuelle des étudiants : animer le réseau des agences sur la région Bretagne. Il répond, découvre le mutualisme. C'est cela qui lui convient. Rapidement, il se retrouve à gérer et à manager les départements Ille-et-Vilaine et Côtes d'Armor : « J'apprends aussi beaucoup des anciens formés par le militantisme et pour qui les étudiants sont des travailleurs intellectuels. »
Une rencontre majeure : les Coopératives sociales italiennes
Sept années passent. Il a fait le tour. Il s'en va voir et faire autre chose : c'est tout lui, ça, on va le constater souvent. Il est embauché à l'agence de Rennes du Crédit Municipal, le séculaire Mont-de-Piété, "Ma Tante", l'établissement de crédit social. Il y accorde des prêts mais aussi informe sur le surendettement qui ne cesse de croître.
Et puis, un beau jour, il démissionne, en désaccord sur la stratégie mais pas seulement : pour aussi formaliser et concrétiser le vrai projet qui au fond le mène. Il arrive à faire valider son BTS pour entamer un DESS (aujourd'hui master) au Mans sur la gestion des entreprises de l'économie sociale. Cette fois, le voilà dans le grand bain de l'ESS.
Un stage de trois mois à Brescia lui fait découvrir les Coopératives sociales italiennes. Rencontre majeure. « C’est le début de l’engrenage, il faut toujours aller voir ce qui se passe ailleurs. » Suivent à Rennes, DESS en poche, d'autres rencontres, celles de précurseurs de l'emploi et de l'insertion : les responsables de la Feuille d'Érable, pionnière dans le recyclage des papiers de bureau dès 1983 ; Envie 35, la réparation et recyclage de l'électroménager depuis 1993...
L' Union régionale des Scop lui propose un contrat de trois mois pour travailler sur les SCIC (sociétés coopératives d'intérêt collectif), filles des coopératives italiennes et sur les CAE, les coopératives d’activité et d’emploi : une précurseure, Elisabeth Bost vient de lancer à Lyon en 1995, la première CAE, Cap Services, avec une « idée de génie », comme dit Laurent Prieur : l'entrepreneur-salarié. (Voir sur la vidéo l'interview d'Elisabeth Bost, 25 ans après).
Et puis, un beau jour, il démissionne, en désaccord sur la stratégie mais pas seulement : pour aussi formaliser et concrétiser le vrai projet qui au fond le mène. Il arrive à faire valider son BTS pour entamer un DESS (aujourd'hui master) au Mans sur la gestion des entreprises de l'économie sociale. Cette fois, le voilà dans le grand bain de l'ESS.
Un stage de trois mois à Brescia lui fait découvrir les Coopératives sociales italiennes. Rencontre majeure. « C’est le début de l’engrenage, il faut toujours aller voir ce qui se passe ailleurs. » Suivent à Rennes, DESS en poche, d'autres rencontres, celles de précurseurs de l'emploi et de l'insertion : les responsables de la Feuille d'Érable, pionnière dans le recyclage des papiers de bureau dès 1983 ; Envie 35, la réparation et recyclage de l'électroménager depuis 1993...
L' Union régionale des Scop lui propose un contrat de trois mois pour travailler sur les SCIC (sociétés coopératives d'intérêt collectif), filles des coopératives italiennes et sur les CAE, les coopératives d’activité et d’emploi : une précurseure, Elisabeth Bost vient de lancer à Lyon en 1995, la première CAE, Cap Services, avec une « idée de génie », comme dit Laurent Prieur : l'entrepreneur-salarié. (Voir sur la vidéo l'interview d'Elisabeth Bost, 25 ans après).
Il y a vingt ans, les premiers entrepreneurs-salariés bretons
Embauché pour étudier les CAE en Bretagne, Laurent Prieur cible trois territoires : Nantes, Brest et Rennes, qui répond la plus vite. C'est donc en Ille-et-Vilaine qu'il lance en 2001 avec Michel Foucher un premier CAE, Elan Créateur, qui a accompagné depuis des centaines d’entrepreneurs-salariés dans la création de leur entreprise. Le développement d’Elan Créateur amène d’autres CAE tel Elan Bâtisseur. Confidence du militant salarié Laurent Prieur :
« La chose que j’aime faire, c’est une alchimie. Je ne sais pas travailler tout seul. Je fais avec les autres, j’entreprends avec les autres. Nous sommes des êtres humains entiers. On nous coupe en tranches : salarié, membre d’une famille, citoyen le week-end. Tu es bien la même personne même s'il faut faire la part des choses. »Il dit aussi :
« L’Economie sociale n’est pas un monde parfait mais j’y retrouve la liberté, l’égalité, la solidarité, l’émancipation : la devise républicaine ! L’éducation populaire participe du même mouvement, le droit à la biodiversité s’applique aussi à l’économie ! »
Une "troisième voie" toujours à défricher
En d'autres termes, entre le privé lucratif - le capitalisme - et le secteur public, l’ESS d'aujourd'hui poursuit la "Troisième voie", représente ce "Tiers secteur" qui inverse les priorités du capitalisme financier en rajeunissant le vieux slogan « "Travail, Capital, Talent ". Le travail est « un élément d’émancipation », rappelle Laurent Prieur en se souvenant que ses origines familiales ne le destinaient pas à ce qu'il a décidé de faire. Et c'est bien aussi ce que pensaient les ouvriers qualifiés qui ont lancé les premières coopératives ouvrières à la fin du 19e siècle pour se libérer du capitalisme industriel.
Retour à la dynamique enclenchée depuis une trentaine d'années. Reconnaissance en 1981 avec la première délégation gouvernementale créée par la gauche revenue au pouvoir. Secrétariat d'Etat en 1997. La Loi Hamon, surtout, en 2014. Et des groupements, des réseaux, à tous les niveaux : local, national, mondial. Laurent Prieur accompagne tout cela sur le terrain. Fidèle à lui-même : toujours prêt à s'en aller défricher d'autres chemins.
Retour à la dynamique enclenchée depuis une trentaine d'années. Reconnaissance en 1981 avec la première délégation gouvernementale créée par la gauche revenue au pouvoir. Secrétariat d'Etat en 1997. La Loi Hamon, surtout, en 2014. Et des groupements, des réseaux, à tous les niveaux : local, national, mondial. Laurent Prieur accompagne tout cela sur le terrain. Fidèle à lui-même : toujours prêt à s'en aller défricher d'autres chemins.
"Je suis un opérationnel de terrain, dans la réflexion et l'action"
Au moment où sort la Loi Hamon, Laurent Prieur n'est d'ailleurs plus à Elan Créateur.
« En 2009, j'y suis depuis presque dix ans, c'est super chouette. J'annonce que je pars. A moitié par réflexion, à moitié par instinct. Je travaille aussi sur les CAE au niveau national, au niveau européen : je touche mes limites. Je suis un opérationnel de terrain, dans la réflexion et l'action. J'ai besoin des deux. J'ai maintenant 45 ans, j'ai enchaîné sans respiration, il y a une nouvelle énergie à trouver. »Après s'être impliqué aussi en 2008-2009 dans les premiers pôles de développement de l'ESS en Bretagne, dont Réso-Solidaire à Rennes, il part donc respirer, humer davantage l'air du temps. Il est disponible, ce qui n'échappe pas à un Costarmoricain lancé sur un projet de garage solidaire. Mobilité + insertion = émancipation par le travail, voilà bien une équation adaptée au centre-Bretagne. Laurent Prieur prend la route de Carhaix. Le garage démarre bien, si bien que très vite l'inlassable bâtisseur ESS propose d'en créer un second dans les Côtes d'Armor. Ça ne marche pas, alors il se rapatrie sur Guichen, en Ille-et-Vilaine.
Du "propulseur" TAg au Quadri, un phare de l'ESS en quartier populaire
Le Quadri (© Coop de Construction)
Ce deuxième garage marche... donc Laurent Prieur ne peut s'en satisfaire : « Je suis plutôt dans la création de projet, quand il n'y a plus qu'à gérer, je m'emm... », dit-il. On s'en doutait un peu. Tout en s'occupant des garages, il travaille d'ailleurs partiellement à Réso-Solidaire. Il bifurque pour de bon : deux grosses opérations sont en cours de lancement.
La première, c'est TAg35, là où nous discutons en ce moment. Ouvert en octobre 2016, TAg35, qui a essaimé en Bretagne, est un lieu où l'on détecte des idées d'activités économiques que l'on "propulse" avec des candidats créateurs, toujours bien sûr dans le cadre de l'ESS. Comme le dit l'annonce sur le site "Les Trajectoires Agiles (TAg) de nos bonnes idées évoluent autour de 3 fonctions : le Révélateur, l'Idéateur et l'Incubateur". (On jargonne aussi dans le milieu ESS, attention danger...)
Mais autrement plus gigantesque est la seconde opération : le Quadri. Un immeuble de 5 000 m2 et 12 millions d'euros pour rassembler une vingtaine de structures, les principaux acteurs "des innovations économiques, sociales et environnementales " sur la métropole rennaise. Construit au cœur du quartier populaire du Blosne, cet emblème de l'ESS dont l'ouverture est prévue le 6 avril (avec deux ans de retard) est le fruit de huit ans de travail, souligne Laurent Prieur qui y a mis tout son savoir-faire au sein de Réso-Solidaire qui en organise l'usage.
La première, c'est TAg35, là où nous discutons en ce moment. Ouvert en octobre 2016, TAg35, qui a essaimé en Bretagne, est un lieu où l'on détecte des idées d'activités économiques que l'on "propulse" avec des candidats créateurs, toujours bien sûr dans le cadre de l'ESS. Comme le dit l'annonce sur le site "Les Trajectoires Agiles (TAg) de nos bonnes idées évoluent autour de 3 fonctions : le Révélateur, l'Idéateur et l'Incubateur". (On jargonne aussi dans le milieu ESS, attention danger...)
Mais autrement plus gigantesque est la seconde opération : le Quadri. Un immeuble de 5 000 m2 et 12 millions d'euros pour rassembler une vingtaine de structures, les principaux acteurs "des innovations économiques, sociales et environnementales " sur la métropole rennaise. Construit au cœur du quartier populaire du Blosne, cet emblème de l'ESS dont l'ouverture est prévue le 6 avril (avec deux ans de retard) est le fruit de huit ans de travail, souligne Laurent Prieur qui y a mis tout son savoir-faire au sein de Réso-Solidaire qui en organise l'usage.
Après la librairie coopérative, un resto-bistrot participatif
Pas tout, non. Car Laurent Prieur est devenu entre-temps libraire. En septembre dernier a ouvert, toujours sur le quartier du Blosne, la librairie coopérative "L'Etabli des mots " qu'il dirige à tiers temps. Lancé par un trio, Laurent Prieur, pour la librairie associative de Bécherel, Benjamin Roux des Éditions du Commun et Claire-Agnès Froment de la conciergerie du P’tit Blosneur, la librairie a conquis d'emblée cent-cinquante coopérateurs. Elle est aujourd'hui en cours de déménagement au Quadri.
Une autre réalisation est sur le feu dans un autre quartier populaire, Maurepas : un resto-bistrot coopératif. Le lieu est trouvé, au cœur du quartier là aussi, la Dalle du Gros Chêne. « Il y aura un restaurant d'insertion et un bistrot participatif », prévoit Laurent Prieur qui, bien sûr, s'en remet aux citoyens et citoyennes du quartier. Prévue en septembre prochain mais retardée pour cause de Covid, l'ouverture est maintenant espérée pour janvier 2022.
"Je fais toujours des choses en parallèle", avoue Laurent Prieur qui a sûrement d'autres idées derrière la tête. Et on ne vous a pas tout dit...
Michel Rouger
Une autre réalisation est sur le feu dans un autre quartier populaire, Maurepas : un resto-bistrot coopératif. Le lieu est trouvé, au cœur du quartier là aussi, la Dalle du Gros Chêne. « Il y aura un restaurant d'insertion et un bistrot participatif », prévoit Laurent Prieur qui, bien sûr, s'en remet aux citoyens et citoyennes du quartier. Prévue en septembre prochain mais retardée pour cause de Covid, l'ouverture est maintenant espérée pour janvier 2022.
"Je fais toujours des choses en parallèle", avoue Laurent Prieur qui a sûrement d'autres idées derrière la tête. Et on ne vous a pas tout dit...
Michel Rouger