10/04/2014

Le conteur Pépito Matéo ouvre sa porte secrète


Une petite maison de vacances à Damgan, en Bretagne. Pépito Matéo a grimpé le petit escalier escamotable qui mène sous les toits. C'est là, au plus près de l'imaginaire, qu'il travaille. Et qu'il reçoit aujourd'hui la rédaction d'Histoires Ordinaires.



Pepito Mateo.mp3  (33.7 Mo)


Extraits

« Mon grand fantasme c'est d'avoir un bureau où je pourrais mettre toutes mes affaires ce serait mon atelier d'alchimie ou je pourrais créer tout ce que je voudrais, puisque j'invente plutôt des histoires dans ma tête. Je suis un rêveur. Un rêveur depuis tout petit (…)
 
Je suis né à Rommilly-sur-Seine, une ville où on fabriquait des chaussettes.Ma grand-mère faisait les raccords des chaussettes, elle était payée à la pièce et tous les gens de la ville travaillaient dans la bonneterie. On vivait au rythme des usines, des sirènes d'usines et des 3 x 8. On voyait les ouvriers qui sortaient de l'usine à vélo  (…) 
 
Mon père, lui, travaillait dans les fruits et légumes. Il venait d'Espagne. Il était venu avec ses mains, comme il disait. Ça toujours été une interrogation pour moi, mon père. Il racontait toujours des choses de son enfance. Et nous les enfants ça nous fascinait. Ça faisait comme une sorte de mythologie. Mais d'où vient-il ? Et nous, d'où venons-nous ? (…)
 

On est allé vivre à Troyes. Mon père m'emmenait au catch ou au football, je ne connaissais pas le théâtre, je ne connaissais pas les livres, il n'y avait pas de livres à la maison, pas de musique. (…)

Mon envie, c'était toujours de m'amuser à parler parce que j'étais le petit, je comptais pour du beurre, j'étais au milieu de mes deux grandes sœurs qui avaient un beau bagout, ma mère et ma grand-mère parlaient beaucoup. Sont nées dans ma tête deux choses importantes : d'une part, il faut pouvoir intéresser les autres pour se faire écouter, et d'autre part que la parole permet des rêves.(…)
 
Moi, je n'ai jamais été tout à fait bien dans le réel. Je vivais dans des milieux quand même défavorisés. Quand on inventait des histoires, c'était mieux que le réel. (…)
 
A partir de 15-16 ans, j'ai travaillé comme peintre en bâtiment. Un jour, voulant faire mon tour du monde, je suis parti en Angleterre apprendre l'anglais. Je suis tombé sur une représentation de théâtre, je me suis trompé de porte. Quand on ouvre une porte, il peut nous arriver plein de choses. C'était une pièce de Brecht. Il fallait un mort. Ils m'ont demandé « veux-tu faire le mort ». A partir de ce moment, il a été évident pour moi que mon tour du monde passerait par les planches.(…)
 
Je suis revenu en France. Ma cousine m'a intéressé à la fac de Vincennes, une fac issue de mai 68, ouverte aux non bacheliers. Je me suis inscrit en philo, avec mon certificat d'études, et comme il y avait un département théâtre très fort, j'ai basculé dans le théâtre et là, je suis allé jusqu'au doctorat.
M'est toujours apparue cette question-là : le langage t'engage. Tu prends des risques en prenant la parole. (…)

Il n'y a pas de démarcation entre ce que tu vis et ce que tu fais, ce que tu fabriques, même si c'est du théâtre, du rêve, il faut que ce rêve corresponde à quelque chose qui est important pour toi et que tu as envie de partager avec les autres.(…)
 
Pour moi, si la tradition existe, c'est parce que justement elle a pris la forme du présent au cours des temps, de telle sorte qu'on retrouve le Petit Chaperon Rouge en Chine, en Italie, en Afrique sous des formes différents. Je n'ai pas été bercé par les contes traditionnels. Je suis venu à cette parole racontante par l'imagination. (…)
 
La liberté du rêve est déjà en soi, pour moi, un outil de révolution et d'émancipation.(…)
 
On est dans un monde aujourd'hui où tout est clair, on a les informations du monde, tout nous est donné, tout est plat. Lorsqu'on a affaire à quelqu'un qui parle mal ou qui dit des choses qu'on n'a pas l'habitude d'entendre, on doit faire un chemin pour aller jusqu'à lui. (…)

Ce qui me passionne aujourd'hui, c'est cette question : il faut faire un effort pour aller vers l'autre.(…)
 
L'étrange et l'étranger c'est pareil. Mon père, par exemple, sa parole était un peu étrange, étrangère, donc nous, les enfants, ça nous faisait rire. Il disait parfois des mots qui faisaient deux images. J'ai entretenu cette question là que les mots disaient autre chose que ce qu'ils voulaient dire. (…)
 
Quand on écoute quelqu'un, des fois, on fait l'école buissonnière, on a entendu un truc et hop, c'est parti. (…)
 
Mon père n'avait pas été à l'école, je ne savais pas si j'étais moi-même au bon endroit. Je pense que beaucoup de jeunes, notamment issus de l'immigration, sentent qu'ils ne doivent pas apporter leur culture à l'école et ça c'est une grande erreur : il faut apporter ce que l'on est. (…)
 
Dès que vous allez dans un quartier populaire et que vous commencez à raconter une histoire, ils se mettent à raconter eux-mêmes, ils rigolent, vous sentez que ça leur fait du bien parce qu'ils prennent de la distance par rapport à leurs difficultés ; le réel devient presque imaginaire . (…)
 
Quand on faisait des ateliers en prison, les mots avaient une importance énorme. Ils poussaient les murs, les mots. Ils sont très étonnés que leur parole soit entendue, que les mots aient du poids. Il y en a qui se révèlent à travers ça.   »

Recueilli par Marie-Anne Divet et Michel Rouger
 




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