27/04/2021

Le désarroi de Touré Vakaba, victime d'un fait divers

Texte : Alain Jaunault


L'histoire, hélas un peu trop ordinaire, d'un travailleur émigré africain en France, en 2021. Jeudi dernier, Touré Vakaba apprenait la noyade en Méditerranée d'un jeune cousin très proche. Lui même sortait de vingt-quatre heures de garde à vue suite à la dénonciation calomnieuse d'un automobiliste suivie d'une arrestation par huit policiers plutôt violents...


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Touré Vakaba est arrivé de Côte d'Ivoire à Paris, il y a tout juste vingt et un ans. Il avait alors 30 ans, croyait à la France et à son contrat d'intégration. Quand nous l'avons rencontré la première fois il vivait à Saint-Malo
« En Bretagne, nous disait-il alors, J’ai trouvé un environnement  tellement différent de celui de la région parisienne."
Il y rencontra sa compagne Alexandra et ensemble ils ont élevé leur petite fille Kady, âgée aujourd'hui de 11 ans et Robin, son beau-fils. Mais pas si simple de vivre et travailler durablement à Saint Malo malgré les efforts faits pour adapter sa qualification aux emplois locaux. Touré a suivi une formation de technicien de maintenance aéronautique mais n'a trouvé que des contrats temporaires.

Il décide il y a deux ans de repartir à Paris. Au delà du travail peut-être plus facile à trouver, il va jouer un rôle social bénévole important notamment auprès d'une population de jeunes immigrés, souvent clandestins, vivant dans des squats de la banlieue parisienne.

Sensibilisation aussi en Côte d'Ivoire

Une action de l'association Assid
Il fonde l'association Assid (association de sympathisants solidaires des ivoiriens de la diaspora).  Il assure aussi,dans ce cadre, des missions au pays pour informer les jeunes Ivoiriens des difficultés d’intégration en France et du danger du voyage à travers Sahara et Méditerranée, par les filières d’immigration clandestines.
" Je vais régulièrement sensibiliser les jeunes élèves et leur montrer que l'eldorado européen est un leurre... Et je n'ai même pas pu convaincre mon jeune cousin ! 

Les médias, constate-t-il amer,  ont baissé les bras, ils n'en parlent plus suffisamment, pourtant ça continue ! Et le Sahara tue encore plus que la Méditerranée !"

Victime d'un fait divers à Argenteuil

Ce qui vient de m'arriver, je ne le souhaite pas à mon pire ennemi, c'est un cauchemar : se retrouver menotté, en cellule, personne pour écouter et comprendre, à jeun depuis le matin, accusé d'un délit que l'on n'a pas commis, quand on a comme moi toujours respecté la loi et joué un rôle d'éducateur sportif apprécié auprès d'adolescents, que l'on est président d'une association au rôle reconnu.

Le ciel te tombe sur la tête. Heureusement que j'ai un mental d'acier, mais je comprends mieux maintenant ce qui arrive quand des jeunes subissent de telles situations répétées et se mettent à douter de la police et de la justice et ne parviennent pas à maîtriser leur énervement, même s'ils ont tort !
 
Et Touré Vakaba raconte en détail ce qui s'est passé, cette soirée d'avril à Argenteuil :
Je contribue à créer une boite de livraison avec un ami. Le 21 avril j'étais en plein travail à Argenteuil. En fin d'après-midi, avec la camionnette, à fond dans mon application GPS, je cherche l'adresse de mon client. Je m'engage dans une rue étroite qui est barrée. En face de moi arrive un véhicule qui ne semble pas me voir. Je fais des appels de phares et il veut forcer le passage. Je tâche de me replier le plus possible sur le côté de la voie mais un plot de signalisation gène. Je descends pour le pousser. Et l'automobiliste m'insulte : "Dégage, tu as eu ton permis au bled ou quoi ?... Je suis fatigué par mon jeûne et je lui réponds maussade, "tais-toi ou je te botte les fesses". Et là il appelle la police. Je ne m'en occupe pas et je repars continuer ma tournée, mais lui se met à me poursuivre et je n'arrive pas à m'en débarrasser.

Quelques rues plus loin un camion de police me barre la route. " Garez-vous mettez les mains sur le volant". Ils sont huit, me sortent sans ménagement du camion, m'entravent les mains dans le dos avec une paire de menottes très serrées qui me font très mal. Tout cela sans vouloir écouter ma douleur ni aucune de mes explications et je me retrouve au commissariat d'Argenteuil, accusé de délit de fuite et de menace de mort pour une garde à vue de 24 h.
 
Le lendemain l'automobiliste qui m'a accusé, sans doute pris de remords, vient retirer sa plainte... L'officier de police judiciaire fait son travail et organise la confrontation en présence de mon avocate, commise d'office.  Et mon accusateur s'emmêle dans ses explications. L'histoire qu'il raconte, lui en héros, moi dans le rôle du méchant est vite démontée par ma jeune avocate et les photos que lui même a prise pour appuyer ses propos prouvent le contraire de ce qu'il dit. Le policier classe sans suite l'affaire et me laisse partir.

L'affaire finit bien, la garde à vue  dont on peut cependant mettre en doute la pertinence, s'étant finalement déroulée dans les règles et le droit à la défense étant respecté. Mais Touré Vakaba ne peut s'empêcher de ressentir un sentiment profond d'injustice et d'insécurité : comment le traitement par la police d'un banal différent entre automobiliste peut-il à ce point déraper, mettant en péril son travail et atteignant profondément sa confiance en lui et en la société.

Le fait d'avoir été accusé par une personne d'origine tunisienne, de même confession musulmane que lui et pratiquant en même temps que lui le ramadan a ajouté à son trouble, réveillant le souvenir des relations historiquement tendues entre les Arabes et les Africains noirs et qui émaille aussi les épisodes douloureux actuels des migrations trans-sahariennes. 
Je me sens fragilisé psychologiquement par l'évènement, insiste Touré. Je n'avais jamais senti ainsi la peur et l'impuissance. Hier je roulais tranquillement sur une route quand j'ai vu deux motards dans mon rétroviseur. Je me suis mis à trembler et ai ralenti pour les laisser passer, terrorisé à l'idée qu'ils allaient m'arrêter !  

Touré Vakaba qui il y a six ans nous racontait, avec espoir, son énième combat administratif pour obtenir sa naturalisation semble aujourd'hui avoir renoncé à cette perspective.
Je me contente de mon permis de séjour, tant que je peux travailler ici conclut-il, désabusé !
Témoignage recueilli et rédigé par Alain Jaunault



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