Délégué du collège au bac
C'est avec ces valeurs-là que le jeune immigré naît à la citoyenneté française. Il apprend les droits et devoirs du délégué et se pique à son rôle : « Le délégué doit surtout porter la parole de ceux qui ne parlent pas, les décrocheurs comme les bien notés que l'on traite de fayots ». En 4ᵉ, il est de nouveau délégué, il garde même de cette année-là l'un de ses meilleurs souvenirs :
« Un jour, les flics débarquent, un pote a été dénoncé : ils lui trouvent deux boulettes de canabis dans les poches. Au conseil de discipline, nous tout petits, avec ma collègue déléguée, on dit : " Il mérite une sanction mais il n'est pas que mauvais et il aurait de très bonnes notes, on lui trouverait des excuses." Rien à faire, exclu trois semaines. Alors, on s'est organisé, des élèves lui ont apporté les cours tous les soirs, il n'a rien raté. »
Délégué, en fait, il le sera toujours, jusqu'au bac. Au printemps 2006, le fameux conflit du CPE fait trembler les grilles du lycée Saint-Louis, les profs anti-grévistes d'un côté, les manifestants des autres lycées dehors. « Nous étions enfermés mais de toutes façons je n'aime pas trop ce genre de manif à cause des risques de manipulation : j'aime voir où je mets les pieds, j'évite d'aller là où va la masse. » Pragmatique, pas trop romantique, tel est le futur leader lycéen.
« Un jour, les flics débarquent, un pote a été dénoncé : ils lui trouvent deux boulettes de canabis dans les poches. Au conseil de discipline, nous tout petits, avec ma collègue déléguée, on dit : " Il mérite une sanction mais il n'est pas que mauvais et il aurait de très bonnes notes, on lui trouverait des excuses." Rien à faire, exclu trois semaines. Alors, on s'est organisé, des élèves lui ont apporté les cours tous les soirs, il n'a rien raté. »
Délégué, en fait, il le sera toujours, jusqu'au bac. Au printemps 2006, le fameux conflit du CPE fait trembler les grilles du lycée Saint-Louis, les profs anti-grévistes d'un côté, les manifestants des autres lycées dehors. « Nous étions enfermés mais de toutes façons je n'aime pas trop ce genre de manif à cause des risques de manipulation : j'aime voir où je mets les pieds, j'évite d'aller là où va la masse. » Pragmatique, pas trop romantique, tel est le futur leader lycéen.
À la tête du Conseil Régional des Jeunes
Car cette même année, Amadou Gueye grimpe une nouvelle marche. Les lycéens bretons doivent élire le Conseil Régional des Jeunes. Le directeur de Saint-Louis sollicite Amadou Gueye. Banco. Premier tour, pays de Lorient : « Tout le monde sortait son discours, nous, on a parlé direct, limite vulgaire, en demandant l'accès à la culture. » Élu. Second tour, département : élu. À Rennes, Amadou intègre logiquement la commission Culture : le voilà élu responsable. Puis vient le final, l'élection du jeune appelé à présider le conseil aux côtés des édiles : élu, l'ancien petit villageois parti six ans plus tôt de Kiniabour.
Durant deux ans, Amadou Gueye co-préside donc avec les politiques cette assemblée de 166 jeunes Bretons en apprentissage de la démocratie. « L'Expérience de ma vie. J'ai appris à prendre la parole en public, et plus encore à admettre qu'on n'a pas toujours raison, à débattre sans se taper dessus, à défendre mes idées mais pour l'intérêt général, que les 166 aient la parole, qu'on puisse écouter ceux qui s'expriment le moins... »
Durant deux ans, Amadou Gueye co-préside donc avec les politiques cette assemblée de 166 jeunes Bretons en apprentissage de la démocratie. « L'Expérience de ma vie. J'ai appris à prendre la parole en public, et plus encore à admettre qu'on n'a pas toujours raison, à débattre sans se taper dessus, à défendre mes idées mais pour l'intérêt général, que les 166 aient la parole, qu'on puisse écouter ceux qui s'expriment le moins... »
À l'Université sociale, l'« école de la vie »
En 2008, fort de cette expérience et de son bac sanitaire et social, Amadou Gueye part à Vannes s'inventer un avenir professionnel : il entre en BTS d'assistant de manager. Il connaît peu la ville, alors il part au contact des associations. Il entre dans un groupe de réflexion sur la culture et les jeunes. Il reste toutefois sur la réserve : « c'était trop politique ».
En 2010, son BTS (et sa nationalité française) en poche, il se teste encore en faisant deux mois à Majorque chez Air Europa et son patron gagneur, puis chez un vendeur de cuisine mais là, c'est trop : « On apprend à raconter des histoires, tu vends ton âme au diable ! »
Logiquement, il revient à un métier « en lien avec (ses) convictions » : l'animation sociale et culturelle. Il décroche un contrat en service civique à l'Université sociale à Hennebont qu'il a prolongé depuis sous d'autres formes. « Une école de la vie ». Il met en place une action de mobilité solidaire, acompagne des gens en RSA ou des jeunes décrocheurs... Il conforte surtout ses convictions : les plus démunis ont des compétences que l'on peut faire valoir par la solidarité et l'échange.
En 2010, son BTS (et sa nationalité française) en poche, il se teste encore en faisant deux mois à Majorque chez Air Europa et son patron gagneur, puis chez un vendeur de cuisine mais là, c'est trop : « On apprend à raconter des histoires, tu vends ton âme au diable ! »
Logiquement, il revient à un métier « en lien avec (ses) convictions » : l'animation sociale et culturelle. Il décroche un contrat en service civique à l'Université sociale à Hennebont qu'il a prolongé depuis sous d'autres formes. « Une école de la vie ». Il met en place une action de mobilité solidaire, acompagne des gens en RSA ou des jeunes décrocheurs... Il conforte surtout ses convictions : les plus démunis ont des compétences que l'on peut faire valoir par la solidarité et l'échange.
Bientôt, au village, « La Maison du partage »
Cet été au village, discussion sur le projet
Et cela le fait repenser un peu plus aux gens du village, là-bas. C'est simple : il leur faut un centre social pour répondre aux besoins en formation, santé, éducation ; un centre s'appuyant sur les compétences locales pour déclencher une dynamique de développement. Au début 2012, avec sa responsable directe à l'Université, Gaëlle Le Stradic, il crée une association : « Wa Esquemm ». "Wa" signifie "chez" en wolof et "EsKemm" "partager" en breton. « La Maison du partage », ainsi donc s'appellera le centre social de Kiniabour.
Cet été, Amadou Gueye est retourné au pays. Il est resté un bon mois, a rencontré les uns et les autres. Le chef de village a mis un terrain à disposition. Au retour, il a aussitôt couché le projet : des objectifs (promouvoir l'éducation et le développement, créer des passerelles avec la Bretagne en mariant les compétences des deux territoires...) au calendrier (première pierre au printemps 2013, ouverture au printemps 2014, début de la coopération en janvier 2016) en passant par le budget prévisionnel : 125 000 € pour lesquels vont étre sollicitées les collectivités bretonnes.
Cet été, Amadou Gueye est retourné au pays. Il est resté un bon mois, a rencontré les uns et les autres. Le chef de village a mis un terrain à disposition. Au retour, il a aussitôt couché le projet : des objectifs (promouvoir l'éducation et le développement, créer des passerelles avec la Bretagne en mariant les compétences des deux territoires...) au calendrier (première pierre au printemps 2013, ouverture au printemps 2014, début de la coopération en janvier 2016) en passant par le budget prévisionnel : 125 000 € pour lesquels vont étre sollicitées les collectivités bretonnes.
De la graine de politique
À 25 ans, le « Breton-Sénégalais » Amadou Gueye est devenu le pur produit d'une double culture : « J'ai acquis la culture française sans renier la sénégalaise, je suis un mixte des deux. » Et il en tire une confiance à soulever des menhirs. Est-ce cela ? Est-ce son charisme naturel ? Ou bien ses fréquentations au Conseil Régional : douze ans après son arrivée en France, Amadou Gueye semble en tout cas fait pour la politique : « Mon moteur, c'est la chose publique », dit-il aussi.
Les partis, dit-il, ne le branchent pas trop. « Je ne suis pas du genre à dire "J'ai la vérité", je veux surtout que tout le monde exprime ses idées. » Mais sa sensibilité est affirmée, celle de la gauche réaliste, autant dire qu'il est plutôt proche du PS. Donc, on en reparlera...
Michel Rouger
Les partis, dit-il, ne le branchent pas trop. « Je ne suis pas du genre à dire "J'ai la vérité", je veux surtout que tout le monde exprime ses idées. » Mais sa sensibilité est affirmée, celle de la gauche réaliste, autant dire qu'il est plutôt proche du PS. Donc, on en reparlera...
Michel Rouger