En près de quarante ans de mise en scène, les souvenirs s’accumulent. Les dossiers aussi. Christophe les a tous rapatriés dans son petit bureau de Fégréac dont la grande baie vitrée donne sur la vallée de la Vilaine : « Mon histoire est là, dit-il, le regard plongeant au lointain. Là-bas, c’est Rieux, dans le Morbihan. En clignant les yeux, je vois le Poirier, village de mes parents et de mes grands-parents. J'y suis né. Ici, c’est Fégréac, en Loire-Atlantique, la terre qu’ont choisie de travailler mes parents… je n’avais alors que 3 ans. » Et dans chacune des boîtes en carton, soigneusement classées, il y a une pièce de théâtre, une écriture, une histoire, des coupures de journaux aussi, des rencontres beaucoup…
Dans l’idéal d’après 1968…
La première de ces pièces est montée en 1979, "Grand-peur et misère du IIIe Reich", écrite par Bertolt Brecht entre 1935 et 1938 avec Margarete Steffin. Christophe aime le théâtre depuis toujours et le pratique en amateur. Il propose la pièce de l’auteur allemand à quelques habitants de la commune et c’est un premier succès. Jusqu’alors, il a suivi comme un élève discipliné le cursus d’électrotechnicien qui se profile. DUT de génie électrique en poche, qu’il a obtenu à Poitiers, il décide de se consacrer entièrement à la pratique du théâtre.
Il rencontre des amateurs qui ont monté en Auvergne la compagnie professionnelle du Pélican pour le jeune public. Dans l’idéal d’après 68, ils ont tous lâché leur carrière de médecin, pharmacien ou leurs études littéraires pour ne plus se consacrer qu’au théâtre, avec cette idée que chacun pouvait tour à tour être acteur, metteur en scène, auteur… Christophe les rejoints à Clermont-Ferrand : « C’est là que ma carrière professionnelle démarre, sans aucune formation, en septembre 1979. Enfin, j’allais faire ce dont je rêvais depuis toujours. »
Il rencontre des amateurs qui ont monté en Auvergne la compagnie professionnelle du Pélican pour le jeune public. Dans l’idéal d’après 68, ils ont tous lâché leur carrière de médecin, pharmacien ou leurs études littéraires pour ne plus se consacrer qu’au théâtre, avec cette idée que chacun pouvait tour à tour être acteur, metteur en scène, auteur… Christophe les rejoints à Clermont-Ferrand : « C’est là que ma carrière professionnelle démarre, sans aucune formation, en septembre 1979. Enfin, j’allais faire ce dont je rêvais depuis toujours. »
Une création populaire de retour au pays
C’est la mise en scène qui l’intéresse. Christophe engloutit les représentations, relit les grands classiques, ne rate pour rien au monde le festival d’automne à Paris ni celui d’Avignon, mettant les bouchées doubles pour être à la hauteur. Au bout d’un an, il quitte l’Auvergne et revient en Bretagne, travaille pendant quelques temps avec des compagnies comme le Théâtre de l’écume, le Théâtre du manteau. Mais ce qu’il souhaite plus que tout, c’est faire du théâtre dans son pays natal. Alors, en 1980, il propose aux habitants de Rieux, comme un défi, une création en milieu rural, grande fresque théâtrale, "Si Rieux m’était conté".
Des fouilles archéologiques sont menées dans le château de la petite commune morbihannaise et toute la population s'émeut de découvrir le riche passé de son terroir. Il faut dire que le village est le siège de l’ancienne cité gallo-romaine Durétie qui commandait le passage de l’axe très fréquenté qui relie Blain à Vannes. Il faut dire aussi que c’est à Rieux, qu’au IXe siècle, Alain Le Grand, puissant chef breton, établit sa résidence avant d’être nommé roi de Bretagne en 888 après avoir vaincu les Normands à Questembert. L’histoire est riche, transpire à fleur de sol et l’idée de Christophe séduit.
Des fouilles archéologiques sont menées dans le château de la petite commune morbihannaise et toute la population s'émeut de découvrir le riche passé de son terroir. Il faut dire que le village est le siège de l’ancienne cité gallo-romaine Durétie qui commandait le passage de l’axe très fréquenté qui relie Blain à Vannes. Il faut dire aussi que c’est à Rieux, qu’au IXe siècle, Alain Le Grand, puissant chef breton, établit sa résidence avant d’être nommé roi de Bretagne en 888 après avoir vaincu les Normands à Questembert. L’histoire est riche, transpire à fleur de sol et l’idée de Christophe séduit.
Du vrai théâtre populaire en plein-air
120 comédiens amateurs répondent à l’appel. Le maire et conseiller général, Joseph Rouxel, apporte son soutien ainsi qu’un grand nombre d’élus et de structures associatives réunies au sein de la Macep, maison d’animation culturelle et d’éducation populaire. Jean-René Marsac, passionné d’histoire locale et co fondateur du Groupement culturel breton des pays de Vilaine, écrit avec Christophe le synopsis : un siècle du Moyen-Âge à partir de l'histoire locale vue par une famille de paysans.
Du vrai théâtre populaire en plein-air, mixant comédiens amateurs et professionnels : « C’était nouveau à l’époque, lance Christophe, encore tout ému de cet élan populaire. J’avais proposé des improvisations sur des thèmes pour faire émerger chez les comédiens amateurs, une parole spontanée et authentique. Tout était enregistré avant d’être réécrit. Un boulot de fou mais qui a permis de conserver la couleur de l’expression. »
Du vrai théâtre populaire en plein-air, mixant comédiens amateurs et professionnels : « C’était nouveau à l’époque, lance Christophe, encore tout ému de cet élan populaire. J’avais proposé des improvisations sur des thèmes pour faire émerger chez les comédiens amateurs, une parole spontanée et authentique. Tout était enregistré avant d’être réécrit. Un boulot de fou mais qui a permis de conserver la couleur de l’expression. »
15.000 spectateurs en deux ans !
Vient le jour de la première représentation. Les comédiens qui occupent les deux rives jouent plus de 250 personnages. Christophe a mis le paquet et ne trompe pas son monde, sollicitant de nombreux talents pour accompagner les amateurs. On se souvient de la voix off, délicieusement contée par Guy Parigot de la Comédie de l’ouest et Pierre Gondard, comédien. Les spectateurs ont pris place dans les gradins au pied des ruines du château. Le spectacle se joue devant eux mais aussi de l’autre côté de la Vilaine, sur les rives de Fégréac pour les grandes scènes spectaculaires. Une vingtaine de chevaux et un grand nombre d'animaux en tout genre complètent les tableaux. Le spectacle est un succès local. Il est présenté à nouveau l’année suivante réunissant en tout, quelque 15 000 spectateurs. « Si j’avais écouté les comédiens, confie en riant Christophe, on y serait encore ! »
Le metteur en scène opte pour la création et le défi du renouveau. Il propose de mener un autre travail autour du texte de Roger Planchon, "La Remise". L’histoire qui, pour l’auteur se déroule en Ardèche, est transposée en Bretagne. Privat devient Vannes, le village de Borée devient Terdieu (anagramme de Durétie), la Remise devient La Rançon… Le maire Michel Mahéas propose de jouer cette nouvelle pièce dans le village du Bochet. Elle est présentée en 1984 et 1985 pour le plus grand plaisir des habitants dont le théâtre fait désormais partie du quotidien.
Le metteur en scène opte pour la création et le défi du renouveau. Il propose de mener un autre travail autour du texte de Roger Planchon, "La Remise". L’histoire qui, pour l’auteur se déroule en Ardèche, est transposée en Bretagne. Privat devient Vannes, le village de Borée devient Terdieu (anagramme de Durétie), la Remise devient La Rançon… Le maire Michel Mahéas propose de jouer cette nouvelle pièce dans le village du Bochet. Elle est présentée en 1984 et 1985 pour le plus grand plaisir des habitants dont le théâtre fait désormais partie du quotidien.
Happé par sa compagnie, le Théâtre Icare
Parallèlement, dès 1981, Christophe est invité à rejoindre Alexis Chevalier qui dirige les Ateliers-théâtre du centre de culture populaire de Saint-Nazaire. Il y anime des ateliers, monte des spectacles et ne tarde pas à créer sa propre compagnie, le Théâtre Icare, qu’il installe dans la ville portuaire. Pour un temps, il délaisse les créations en pays de Redon, en promettant d’y revenir. Sa nouvelle création, Port-Nazaire, qu’il monte avec Anne Bihan, capte toute son énergie.
L’œuvre, hommage aux ouvriers des chantiers navals, est grandiose. Présentée en 1986, elle rassemble quelque 9 000 spectateurs entre l’ancienne gare et la base sous-marine. Comme promis, il revient à Rieux en 1988 et propose une troisième édition de "La Rançon" qui connaît un nouveau succès. En 1989 et 1990, il met en scène "La Porteuse de pain" et dit au revoir à tous les fidèles compagnons... mais pas adieu. Pendant trente-cinq ans, il enchaîne à travers la France, mises en scène et créations avec son théâtre Icare.
L’œuvre, hommage aux ouvriers des chantiers navals, est grandiose. Présentée en 1986, elle rassemble quelque 9 000 spectateurs entre l’ancienne gare et la base sous-marine. Comme promis, il revient à Rieux en 1988 et propose une troisième édition de "La Rançon" qui connaît un nouveau succès. En 1989 et 1990, il met en scène "La Porteuse de pain" et dit au revoir à tous les fidèles compagnons... mais pas adieu. Pendant trente-cinq ans, il enchaîne à travers la France, mises en scène et créations avec son théâtre Icare.
Dans une impressionnante fosse rocheuse
Et Christophe tient parole. Il revient au pays en 2005, parle aux amis d’une vieillie idée qui lui avait traversé l’esprit : mettre en scène, dans l’ancienne carrière désaffectée du Bellion à Fégréac, l’histoire de "Gheel, la ville des fous" de l’écrivain suédois Per Odensten. Le propriétaire et paysagiste, Gabriel Chauvel, est partant. Un appel est lancé et les répétitions commencent avec une troupe de cent comédiens amateurs, habitants de Fégréac et du pays de Redon, mais aussi des anciens de Rieux, tout heureux de remonter sur les planches.
En 2007, le spectacle « Gheel, terre promise » est présenté au public dans cette impressionnante fosse rocheuse de 4 000 m², coproduit par le Théâtre Icare de Christophe et l'association La Carrière qui vient de voir le jour : « A Gheel, explique Christophe, il n'y a pas d'asile de fous. Les gens qui ont perdu la raison sont, par coutume, accueillis dans des familles depuis le Moyen-Âge. Le résultat est vraiment étonnant. C'est inouï le talent qu'il y a au fond de chacun ! » L’histoire se prolonge en 2008 avec "Gheel, la ville des fous" et en 2009 avec "La princesse de Gheel" d’après un texte de l’écrivain belge, Maurice Maeterlinck.
En 2007, le spectacle « Gheel, terre promise » est présenté au public dans cette impressionnante fosse rocheuse de 4 000 m², coproduit par le Théâtre Icare de Christophe et l'association La Carrière qui vient de voir le jour : « A Gheel, explique Christophe, il n'y a pas d'asile de fous. Les gens qui ont perdu la raison sont, par coutume, accueillis dans des familles depuis le Moyen-Âge. Le résultat est vraiment étonnant. C'est inouï le talent qu'il y a au fond de chacun ! » L’histoire se prolonge en 2008 avec "Gheel, la ville des fous" et en 2009 avec "La princesse de Gheel" d’après un texte de l’écrivain belge, Maurice Maeterlinck.
Une rupture douloureuse
Épuisé, Christophe fait une pause. Il revient en 2011 et 2012 avec "Le supplice de Chantal", sur un texte d’Hubert Ben Kemoun, avec toujours cette proposition d’associer comédiens amateurs et professionnels. En 2014, il met en scène "Un chapeau de paille d’Italie" d’Eugène Labiche : 13 000 spectateurs avec quinze représentations à Fégréac mais aussi dix-sept en tournée nationale. A la suite d’un désaccord avec l’association, Christophe quitte La Carrière et se tourne à nouveau vers les amis de Rieux, prêts à repartir. Blessé profondément par cette rupture, il se remet en selle et propose en 2016 et 2017, à Rieux cette fois, Le supplice de Chantal et une nouvelle création, Le Cercle de craie caucasien, de Bertolt Brecht, qui sera aussi présentée cet été 2018.
« Des projets, j’en ai plein la tête », lance l’artiste, dévoreur de mots, qui a conservé durant toutes ces années, une "servante" au creux de l’âme comme cette lumière toujours allumée alors que le théâtre est dans le noir. « Ce qui continue de me porter, c’est cette magie qu’apporte le théâtre à nos vies. Je me souviens de cette pièce, vue à l’âge de 9 ans, où un comédien était balancé par-dessus un mur, expédié en enfer ! J’ai longtemps cru qu’il était véritablement parti en enfer (rires)… J’ai été attrapé par ce côté magique du théâtre. Je lis beaucoup pour savoir d’où je viens et j’aime par-dessus tout organiser, réunir les gens…
J’aime les gens. J’aime cette tension entre des professionnels de grande qualité et des amateurs, des forgerons, des menuisiers, des agriculteurs… j’aime les réunir. Mes parents cultivaient la terre, moi… j’aime cultiver les talents. »
Texte et photos : Tugdual Ruellan.
« Des projets, j’en ai plein la tête », lance l’artiste, dévoreur de mots, qui a conservé durant toutes ces années, une "servante" au creux de l’âme comme cette lumière toujours allumée alors que le théâtre est dans le noir. « Ce qui continue de me porter, c’est cette magie qu’apporte le théâtre à nos vies. Je me souviens de cette pièce, vue à l’âge de 9 ans, où un comédien était balancé par-dessus un mur, expédié en enfer ! J’ai longtemps cru qu’il était véritablement parti en enfer (rires)… J’ai été attrapé par ce côté magique du théâtre. Je lis beaucoup pour savoir d’où je viens et j’aime par-dessus tout organiser, réunir les gens…
J’aime les gens. J’aime cette tension entre des professionnels de grande qualité et des amateurs, des forgerons, des menuisiers, des agriculteurs… j’aime les réunir. Mes parents cultivaient la terre, moi… j’aime cultiver les talents. »
Texte et photos : Tugdual Ruellan.
POUR POURSUIVRE...
À voir cet été à Rieux, le Cercle de craie caucasien
L’association Durétie de Rieux présente cet été à Rieux (Morbihan), "Le Cercle de craie caucasien", une pièce du dramaturge allemand Bertolt Brecht, écrite en 1945, revisitée et mise en scène par Christophe Rouxel. Le prétexte et le prologue de cette histoire sont une controverse entre deux fermes. L'une se consacre à l’élevage de chèvres et l'autre à la culture des arbres fruitiers. "Le Cercle de craie caucasien", c’est l’histoire de Maria, femme de bonté et de bon sens, mère courage en fuite avec l’enfant qu’elle a adopté et qu’elle espère sauver des gardes noirs. C’est l’histoire aussi d’un vagabond qui devient juge et revisite le jugement de Salomon. C’est encore l’histoire d’un village ou d’un pays en proie aux pires difficultés pour essayer de vivre les uns avec les autres. C’est aussi une histoire d’amour, humble et discrète. Au final, la raison, le bon sens et l'utilité sociale gagnent la partie. La traduction du texte a été faite par Geneviève Serreau et Benno Besson. Sylvain Giro tient le rôle de narrateur-chanteur. Il a composé une musique originale pour accompagner le spectacle et dirige le chœur qui l’accompagne. Les spectateurs suivent Maria dans sa fuite. Le spectacle itinérant les fait voyager de ferme en ferme et les invite aussi, à partager un repas chaud, servi à table, aux côtés des acteurs de la pièce. « Une folie de théâtre est de nouveau née à Rieux, estime Christophe Rouxel. Elle se nourrit d’une grande passion et d’une grande expérience jamais atteinte encore jusque-là. »
Du 25 juillet au 9 août, à 20h, à Rieux sauf les dimanches et lundis. Tarif : 22€, 24€, 27€. Renseignements et réservation : 07 68 39 69 83 - rieux-bretagnespectacle.fr.
Reconnaissance internationale
Le Théâtre Icare, créé par Christophe Rouxel en 1990 et conventionné depuis 1995, a mis en scène et présenté 45 créations : Koltès, Weiss, O'Neil, Bourdon, Chevalier, Valentin, Beckett, Bihan, Wenzel, Simon, Zariab, Shakespeare, Cannet, Büchner, Duras, Morrison, Odensten, Claudel, De Angelis, Vauthier, Karge... Christophe Rouxel a aussi encadré de nombreux stages dans les conservatoires de Bordeaux, Angers et La Roche-sur-Yon, ainsi qu'au Portugal, en Belgique, au Chili et en Egypte. Régulièrement sollicité, il a aussi participé en 1993 à un stage de mise en scène avec Peter Brook.
Entre 1996 et 2002, il a été élu membre du Conseil économique et social de la Région des pays de la Loire et délégué régional du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. Il fait aussi partie du Comité Théâtre-conseil du Conseil départemental de Loire-Atlantique, du Comité pour la dramaturgie de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs de Saint-Nazaire, du Grand T à Nantes. Il a été également membre du jury du Prix de l’écriture théâtrale de Guérande.