Au milieu des années 2000, dans l'usine New Man de Cholet, rien ne prédestine Danielle Simonneau et Annie Pillet à devenir un jour patronnes ! Danielle est au service du personnel, Annie est responsable de l'atelier. Depuis plus de trente ans qu'elles sont chez New Man, elles ont seulement vu les usines et l'emploi s'effilocher. A ce moment-là, les dirigeants, d'ailleurs, « ont l'honnêteté de dire qu'il n'y a plus d'avenir ».
« On veut du matériel et de l'argent »
Autre chose se profile. Sur Cholet, deux ouvrières licenciées quinze ans plus tôt ont créé leur petit atelier et s'apprêtent maintenant à prendre leur retraite. Annie l'apprend, en parle à Danielle : « Elle me dit : "Je crois que je vais racheter une entreprise mais je veux le faire à deux." Je lui énumère des gens. En fait, c'était moi ou rien ! ».
Nous sommes alors à la veille de Noël 2007. Au retour des congés, elles surmontent leurs doutes et foncent. Elles vont voir les dirigeants de l'usine et soumettent leur idée de racheter l'atelier. « Ils étaient heureux de voir qu'on ne se laissait pas abattre. On leur a dit : "On veut être licenciées seulement quand on sera prêtes, on veut du matériel et de l'argent, et de la sous-traitance mais seulement quand on le souhaitera." » Pas question d'être dépendantes, trop dangereux.
« Les filles, vous voulez emmener tout New Man ? »
En mai 2008, Danielle et Annie sont prêtes. Elles sont licenciées. Elles reçoivent 7 500 € chacune au titre de la création d'entreprise : les 15 000 € permettent de racheter l'atelier de deux couturières de Cholet partant en retraite en reprenant les deux salariées. Parallèlement, la direction donne 6 000 € par salariée de New Man recrutée : elles en embauchent cinq.
Durant une semaine, elles aménagent l'atelier de Nuaillé en rameutant les copains : « On mangeait sur de grandes tables, ça a été une grande affaire humaine, les dirigeants de New Man sont venus, ils étaient bluffés. » En juin 2008, AD Confection démarre, avec neuf personnes et une soixantaine de machines dont certaines stockées dans un camion, dans la cour.
« C'est le retour au chômage ou on se remue »
En mars 2009, gros pépin : Zannier prévient soudain qu'il les lâche dès avril pour fabriquer à l'étranger. « On n'avait qu'un seul autre client. J'ai dit aux filles : "C'est le retour au chômage ou on se remue. On va leur prouver qu'on ne compte pas que sur eux, ça va peut être forcer leur admiration..." »
Les femmes d'AD Confection décident de créer leurs propres produits. « Laurence, à la coupe, travaille avec les carnavaliens de Cholet et elle a toujours des idées rigolotes. » Elles se lancent dans les sacs. Danielle va voir les marchands de tissu et remplit sa petite Panda de matière. Pendant une grosse semaine, elles fabriquent des modèles uniques. « J'ai remis les sacs dans la voiture et fait la tournée des popotes. »
« Vous ne savez pas ce qu'est un acte citoyen ? »
L'idée : le client passe commande sur le site, paye en même temps, AD Confection fabrique la chemise et l'envoie. Elle en parle à des professionnels du coin, qui doutent. Et ça, Danielle, ça la met en colère : « C'est pour empêcher les gens d'être au chômage. Vous ne savez pas ce qu'est un acte citoyen ?... » Les professionnels sont ébranlés par cette « chemise citoyenne », le concept germe et un journaliste tombe dessus. Le buzz ! Les journaux, les radios, les télés...
Une chemise citoyenne, y compris pour le clergé
Tous les jours, AD Confection reçoit quelques commandes de chemise citoyenne. Celle-ci, qui représente 10% de l'activité, a séduit près de 450 clients et certains sont devenus des fidèles. Danielle Simonneau continue de démarcher.
Engagée chez les parents d'élèves catholiques, elle titille le prêtre citoyen : « Nous avons créé un col romain pour le clergé, personne ne doit pouvoir dire qu'il n'a pas de raison d'acheter. »
Chemises, sacs, foulards... ici, on peut tout faire
L'atelier travaille à 60 % en sous-traitance dont un quart avec Zannier : à cause des délais, le groupe est revenu en 2010 fabriquer ici les collections pour les commerciaux. Les clients sont des façonniers, des créateurs, ils sont en fait de toutes sortes. « Vous voyez là-bas la petite veste noire : c'est pour une brasserie parisienne, elle a commandé 40 vestes. »
AD Confection sait tout faire : une chemise haut de game et des serviettes-bavoirs pour manger les homards, des petits sacs, des foulards, des tabliers... « Au printemps, nous avons été sollicitées pour habiller des seaux à Champagne au Festival de Cannes ; j'ai lancé : "Annie, tu peux fabriquer les robes !" » Depuis, AD Confection a ajouté l'évènementiel et aussi la décoration intérieure à sa panoplie : « C'est plus facile de faire de la marge sur des choses comme ça. »
Un combat permanent
On imagine bien que le travail, à l'atelier, est un combat permanent. « Des clients disent : "On veut bien faire fabriquer en France mais au même prix que la Chine. Les filles, elles, me disent : "Danielle, on veut bien manger du riz mais il nous faut aussi un dessert !" »
Les salariées sont payées un peu plus que le smic pour 35 heures, Danielle et Annie « environ 50 € de plus » ; aux neuf du départ se sont ajoutées, en 2011, trois couturières en contrat de professionalisation. Parmi les mille choses qui les unissent : l'inconnu permanent. Parfois, elle ont trois jours de travail d'avance, parfois trois mois. « Le pire, je peux leur dire le matin "demain, on reste à la maison" et dans l'après-midi "peut-être que ce soir vous allez finir plus tard". »
« Ne compter que sur soi »
« Ne compter que sur soi », telle est une autre règle chez AD Confection : « On n'a pas d'emprunt, on ne voulait pas. » Sans doute est-ce ainsi que vivent la cinquantaine de petits ateliers, sous-traitants de l'habillement de luxe principalement dispersés en Maine-et-Loire, Vendée, Mayenne, Sarthe... Dans la précarité et une solidarité sans faille. L'an prochain, en cas de malheur, Annie et Danielle n'auront plus de droits Assedic : l'une aurait pu être dirigeante, l'autre salariée et avoir des droits, elles ont voulu avoir le même statut pour le meilleur ou pour le pire.
Mais c'est aussi pourquoi, tout ça, « Ce n'est que du bonheur, même si ce n'est pas facile. »
Texte : Michel Rouger
Photos : Marie-Anne Divet
Pour en savoir plus... et commander la chemise citoyenne : le site d'AD Confection
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