Vous pensez, comme les 1,5 milliard d'adeptes, que le cricket est britannique. Pas du tout ! Une lettre de doléance adressée au roi Louis XI, en 1478, fait état d'une dispute lors d'un jeu organisé dans un village près de Saint Omer dans le Pas de Calais : ce jeu, c'est le cricket ! Louise Lestavel, 26 ans, vit près de là et on pourrait penser que sa passion pour le cricket s'enracine dans cette histoire. Rien à voir. Ou... peut-être que si, finalement, dans ce tricotage de nos racines que les migrations provoquent.
"Je voulais comprendre"
Pour Louise Lestavel, l'histoire du cricket démarre au Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) d'Arras. Elle y effectue son stage de master Langue et Management inter-culturel. Elle a 24 ans et sait déjà que ce n'est pas dans le commercial qu'elle veut passer sa vie.
"La formation en master était axée sur les entreprises à l’international avec pour objectif de nous apprendre à gérer des équipes composées de plusieurs nationalités. Dans l'inter-culturel, ce qui m’intéressait, c’était le côté humain, social et pas le business. En faisant le choix d'un stage au CADA, je voulais comprendre comment les migrants arrivaient à s’adapter puis à s’intégrer. Une nouvelle vie pour eux en fait."Elle traduit les demandes, elle observe et essaie de trouver des outils pour faciliter la rencontre inter-culturelle entre les travailleurs sociaux et les migrants anglophones.
"Se rendre compte que l'autre est pareil que soi"
C'est la première fois qu'elle se trouve face à des personnes en difficulté sociale et cela la marque. "Au début, j’étais révoltée par la façon dont on traitait les migrants, je me disais c’est dingue qu’on les traite comme cela dans un pays comme le nôtre..." Louise Lestavel, la tête baissée, laisse passer le silence. "Se rendre compte que l’autre est pareil que soi, c'est essentiel."
" Je me rappelle de celui qui m’a raconté en détail ses souvenirs de la guerre en Afghanistan. Je me disais : pendant ses 30 ans de vie, il n’a vécu que la guerre. C’est dur à imaginer, de se dire que c’était son quotidien, avec les explosions, les attentats, la peur. J'ai soudain pris conscience que tous ces jeunes que j'écoutais, ils avaient mon âge, ils racontaient leur vie qui aurait pu être la mienne, que j’aurais pu me trouver à leur place, moi, mon frère, mes parents…
Je me sentais proche d'eux. On se ressemblait : même âge, mêmes études longues, même envie de vivre sa vie. Il y avait des ingénieurs, des architectes. De les voir là, entassés, dans des conditions pas super top, confrontés au racisme : je me suis sentie impuissante."
"J'ai eu envie de les faire sourire un peu"
© ASPTT Arras Cricket Club
Très vite, son temps professionnel ne suffit plus. En dehors du travail, elle devient bénévole. Elle accompagne les jeunes migrants dans la recherche d'emploi ou d'activités pour les aider à s'insérer ou pour être là tout simplement. A force de préparer les CV et de les entendre parler de cricket, elle et sa collègue, chargée d'insertion professionnelle, se posent une question toute simple : pourquoi l'intégration ne passerait-elle pas par ce sport que ces jeunes afghans adorent ?
Elles se renseignent. Il existe un club sur le Pas-de-Calais, composé de réfugiés pakistanais, bengalis et afghans
Elles se renseignent. Il existe un club sur le Pas-de-Calais, composé de réfugiés pakistanais, bengalis et afghans
"Un chef d’entreprise, en faisant son jogging, avait croisé à plusieurs reprises des jeunes qui jouaient au cricket. Sportif lui-même, il les a aidés à constituer leur club à Saint Omer, le village qui a vu naître le cricket ! Ils ont même été médiatisés dans le New York Times ! "L'exemple est à suivre et Louise Lestavel s'y emploie avec ses parents, ses ami.e.s et bien sûr les jeunes migrants. L'association est créé en 2017. Elle en est la présidente en 2018. Grâce au budget participatif d'Arras, le club obtient un terrain, aménagé en 2020 et alloué par la Ville au sein d'un complexe sportif.
"Cela suscite autre chose"
Autre découverte : le plat traditionnel Kabili talaw- © ASPTT Arras Cricket Club
Ils sont une quinzaine à venir jouer. Ils ont entre 15 et 32 ans. Au collège, au lycée, au travail ou en recherche d'emploi, ils se retrouvent pour taper dans la balle certes mais "cela suscite aussi autre chose" constate Louise Lestavel.
"Il n'y a pas que le cricket. On organise de l'aide aux devoirs bien sûr mais aussi des actions qui leur permettent d'"être dans la ville". Par exemple, à la demande d’une association, les jeunes ont préparé un plat traditionnel, le Kabili talaw pour 200 personnes, c’était chouette de partager cela ! L'été dernier, ils ont même fait de la figuration pour le film "Effacer l’historique". Ils y interprétaient des indiens qui tapaient sur des ordinateurs."
Le cricket leur a changé la vie
Louise (à g.) avec son club - © ASPTT Arras Cricket Club
Le club est un bon vecteur d'insertion. Les jeunes afghans animent des ateliers d'initiation pour les enfants, les jeunes et les adultes.
" On voulait qu'il y ait une bonne image du club et de ses joueurs. Grâce aux ateliers, le regard des gens est positif et les jeunes sont contents parce qu’ils montrent quelque chose qu’ils aiment. La façon dont ils le pratiquent, fait partie de leur identité et ils ne sentent pas en infériorité. Ils ont aussi quelque chose à apporter et cela leur donne de l’énergie. Ils sont très fiers de se balader dans les rues avec leur t-shirt du club, une façon de remercier la ville qui les a accueillis et qui leur apporte de l’aide. Ils sont super contents de jouer pour Arras."
Si le cricket rend la vie plus douce aux jeunes migrants, il a aussi changé la vie de Louise Lestavel. Elle a commencé à jouer dans l'équipe il y a un peu plus d'un an. La seule femme.
"Au début, c'était drôle parce que les afghans n'avaient pas idée qu'une femme puisse être présidente puis joueuse. Ils ne voulaient pas me laisser faire. J'ai un statut à part pour eux, ils disent : "les femmes françaises sont comme cela mais nous on se mariera avec une afghane." Cette expérience qu'ils vivent, c'est aussi une ouverture sur autre chose, peut-être une autre vision des femmes. Depuis que je suis rentrée dans l'équipe de France, ils m'aident beaucoup pour l'entrainement. En ce moment, je réfléchis pour savoir comment intégrer des filles dans le club."
" On voulait qu'il y ait une bonne image du club et de ses joueurs. Grâce aux ateliers, le regard des gens est positif et les jeunes sont contents parce qu’ils montrent quelque chose qu’ils aiment. La façon dont ils le pratiquent, fait partie de leur identité et ils ne sentent pas en infériorité. Ils ont aussi quelque chose à apporter et cela leur donne de l’énergie. Ils sont très fiers de se balader dans les rues avec leur t-shirt du club, une façon de remercier la ville qui les a accueillis et qui leur apporte de l’aide. Ils sont super contents de jouer pour Arras."
Si le cricket rend la vie plus douce aux jeunes migrants, il a aussi changé la vie de Louise Lestavel. Elle a commencé à jouer dans l'équipe il y a un peu plus d'un an. La seule femme.
"Au début, c'était drôle parce que les afghans n'avaient pas idée qu'une femme puisse être présidente puis joueuse. Ils ne voulaient pas me laisser faire. J'ai un statut à part pour eux, ils disent : "les femmes françaises sont comme cela mais nous on se mariera avec une afghane." Cette expérience qu'ils vivent, c'est aussi une ouverture sur autre chose, peut-être une autre vision des femmes. Depuis que je suis rentrée dans l'équipe de France, ils m'aident beaucoup pour l'entrainement. En ce moment, je réfléchis pour savoir comment intégrer des filles dans le club."
"Ils comptent sur moi et moi aussi"
Prête pour la Coupe du Monde.
Louise Lestavel n'est plus dans le travail social. C'était très dur pour elle d'être confrontée quotidiennement aux situations de plus en plus difficiles. Aujourd'hui, elle a fait un autre choix professionnel : elle est professeure d'anglais dans un lycée agricole. Mais, elle est toujours bénévole."J'apporte ma petite pierre à l'édifice." dit-elle.
Quand on lui demande comment elle définirait son engagement, elle répond :
"Je ne me suis pas posée de question pour créer le club. Je devais le faire, je l’ai fait et puis c’est tout. J’aurais peut-être dû me poser plus de questions. Mais si on réfléchit trop, on ne fait rien. Je ne me vois pas m'arrêter. Ils comptent sur moi et moi aussi, cela m’apporte, je compte sur eux. Bien sûr il y a des moments où cela m’agace, j’ai envie d'arrêter et puis, tout de suite après, je me dis “ Eh bien non, je ne peux pas faire cela." Le cricket, cela a changé ma vie : j’ai rencontré plein de monde, j’ai appris plein de choses, des cultures différentes, je me suis exercée à la prise de responsabilités. Elue dans l'avenir, pourquoi pas ? Ce qu'on fait au club, c'est politique mine de rien."
Il ne nous reste plus qu'à encourager Louise Lestavel. L'équipe nationale féminine qu'elle vient d'intégrer, jouera dans le tournoi « ICC Women’s T20 World Cup Europe Qualifier » en 2021 pour se qualifier pour la Coupe du monde. Elle y rencontrera les équipes nationales d’Écosse, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Irlande et de Turquie du 26 au 30 août 2021. C’est la première fois que la France disputera un tournoi officiel d’ICC.
Marie-Anne Divet
Quand on lui demande comment elle définirait son engagement, elle répond :
"Je ne me suis pas posée de question pour créer le club. Je devais le faire, je l’ai fait et puis c’est tout. J’aurais peut-être dû me poser plus de questions. Mais si on réfléchit trop, on ne fait rien. Je ne me vois pas m'arrêter. Ils comptent sur moi et moi aussi, cela m’apporte, je compte sur eux. Bien sûr il y a des moments où cela m’agace, j’ai envie d'arrêter et puis, tout de suite après, je me dis “ Eh bien non, je ne peux pas faire cela." Le cricket, cela a changé ma vie : j’ai rencontré plein de monde, j’ai appris plein de choses, des cultures différentes, je me suis exercée à la prise de responsabilités. Elue dans l'avenir, pourquoi pas ? Ce qu'on fait au club, c'est politique mine de rien."
Il ne nous reste plus qu'à encourager Louise Lestavel. L'équipe nationale féminine qu'elle vient d'intégrer, jouera dans le tournoi « ICC Women’s T20 World Cup Europe Qualifier » en 2021 pour se qualifier pour la Coupe du monde. Elle y rencontrera les équipes nationales d’Écosse, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Irlande et de Turquie du 26 au 30 août 2021. C’est la première fois que la France disputera un tournoi officiel d’ICC.
Marie-Anne Divet
De Rennes à Strasbourg, de Lorient à Beauvais, les Afghans diffusent le cricket en France
Rennes, Saint-Brieuc, Laval, Lorient, Auch, Nevers, Beauvais, Strasbourg... On ne compte plus les villes françaises ayant aujourd'hui une équipe de cricket, masculine le plus souvent mais aussi féminine, grâce à l'arrivée de jeunes Afghans. Le cricket, outil d'intégration et de rencontres.