16/10/2011

Les mille et une vies de madame la Juge


Piètre écolière mais pétrie de rébellions intérieures, Catherine de la Hougue a traversé les années en glanant dans chaque métier de quoi affiner sa connaissance de l'être humain. Famille d'accueil, avec son second mari, de treize enfants, et mère de quatre autres, elle est particulièrement sensible à la souffrance des mineurs. Dont elle prend soin tous les jours dans son bureau de magistrat.


Catherine de la Hougue ne s'attendait pas à devenir juge. Rebelle depuis toujours, elle s'imaginait plus avocate que membre d'un corps constitué comme la magistrature. « En plus, je n'étais pas très brillante scolairement, c'est le moins que l'on puisse dire », lâche-t-elle sourire aux lèvres. Elle mit d'ailleurs de côté ses études quand sa mère décéda d'un accident de voiture, pour aider son père à élever les plus jeunes. C'est ainsi que son premier métier fut vendeuse en librairie. « À 19 ans, j'ai passé un CAP de libraire, dont j'étais très fière, étant donné que le reste de la famille s'était dirigé vers des études supérieures », lance-t-elle, un brin ironique. 

L'élégante soixantenaire enchaîna ensuite tant de métiers qu'il faudrait un livre entier pour en parler. Secrétaire dans divers endroits, et notamment dans un cabinet d'avocats, elle passa son bac l'année où son fils naissait. Et se débrouilla, alors qu'elle était seule avec ses deux enfants, pour aller jusqu'à la maîtrise de droit. Elle a aussi travaillé dans un centre d'accueil de femmes réfugiées, le plus souvent du sud-est asiatique. Et a créé une pâtisserie qui n'embauchait que des chômeurs longue durée. Tous ces métiers ont été « magnifiques ». Et s'ils ne sont pas toujours avérés lucratifs, ils lui ont, tous, permis d'affiner sa connaissance des êtres humains et de la société. 

Magistrate à 45 ans

« C'est grâce à ces expériences riches et variées que j'ai eu une excellente note en droit civil, lors du concours exceptionnel que j'ai passé à 45 ans pour devenir magistrate », se remémore-t-elle. Elle entame sa carrière à Thionville comme juge aux affaires familiales puis s'installe pour huit ans à Caen, juge d'instance puis juge des tutelles. Enfin, elle devient juge des enfants. Cette dernière fonction ressemble à un accomplissement. 

« C'est comme un rêve », dit-elle. « C'est vraiment un beau métier, de prendre soin des enfants en danger. Il me semble que l'on prend le problème à l'origine, c'est essentiel. On peut être dans la prévention, vraiment. Et ne pas s'enfermer dans la répression. » C'est donc très enthousiaste que madame la juge enfourche chaque matin son vélo électrique pour rallier son bureau au tribunal de Coutances, dans la Manche, situé à 16 km de chez elle. 

Si elle avait déjà vécu mille et une vies avant d'arriver là, Catherine de la Hougue ne s'attendait pas à découvrir tant de souffrances. Dans son bureau, elle entend tous les jours, ou presque, des histoires d'enfants maltraités, y compris psychologiquement, le plus souvent du fait des lourds et destructeurs conflits parentaux lors de séparations : 25 à 30 % des dossiers, tous milieux confondus. 

Des enfants démolis

À ce propos, elle tient à répéter une réalité souvent difficile à entendre : « Les viols ont lieu dans tous les milieux sociaux et le danger est bien plus dans l'entourage proche de la victime que chez les inconnus. » Les viols dans les familles durent des années. Et ils sont commis sans autre forme de violence. Ce qui est très perturbant pour les enfants. « Le père qui viole sa fille ne va pas la prendre au coin d'un bois avec un couteau », résume Catherine de la Hougue. 
 
Débarqués en face d'elle parce que repérés comme « en danger », donc en souffrance les enfants, parfois accompagnés de leurs parents, n'ont pas toujours le verbe facile. « Le contact dans le bureau du juge n'est pas évident. Il faut attirer la confiance. Moi, je suis ronde, et un peu vieille. Je crois que cela rassure les gens. Mais si les choses se disent, c'est parce que j'ose en parler. »

Catherine de la Hougue propose une écoute bienveillante mais intransigeante. Elle n'entend pas laisser des enfants être démolis par leur famille. Et si depuis l'exceptionnel procès d'Outreau, la parole des enfants victimes est plus difficilement prise en considération, la juge de Coutances, elle, n'a rien changé à sa façon de travailler. « Je continue à écouter les enfants comme avant. Et je maintiens que la vérité judiciaire n'est pas forcément LA vérité. Il m'arrive de dire à des enfants, dont je suis convaincue qu'ils sont vraiment victimes : "On n'a pas pu prouver que ton père est coupable, cela ne veut pas dire que tu as menti. »

Treize bambins plus les siens

L'accueil, en complicité avec son second époux, de treize bambins (en plus des quatre siens) a attisé probablement la sensibilité de Catherine de la Hougue à la souffrance des enfants. « Nous avons commencé un jour qu'une amie, lors d'un dîner, disait qu'elle craignait d'envoyer à la DDASS une petite vietnamienne, pour qui elle ne trouvait pas de famille. Nous avons proposé de la prendre.

Ensuite, c'était comme écrit sur notre front : accueil possible. Nous avons eu jusqu'à huit enfants en même temps chez nous. » Mais sentir sa maison vivre et bouger fait partie des grands plaisirs de la juge. Qui puise son énergie dans le temps passé avec ceux et celles qu'elle aime, famille et amis. Dans les balades en bord de mer, où les bains de mer qu'elle prend bien avant et bien après la saison.

Autour d'un repas

Pour sa retraite, qui devrait commencer d'ici peu, Catherine de la Hougue ne va pas se contenter de cinéma, de scrabble et de marche à pied et autres passe-temps favoris. Elle projette de mettre en place un « parentibus », lieu itinérant d'accueil et de rencontre où les familles en difficultés pourraient venir trouver de l'aide, une écoute bienveillante, et des conseils pour mieux aimer et respecter leurs enfants. Elle prévoit d'y aménager une petite cuisine, « parce qu'autour d'un repas, il se passe toujours des choses intéressantes. »

Ce serait aussi pour elle l'occasion de partager une autre de ses passions : celle de cuisiner de bons petits plats. « Je suis gourmande et j'aime régaler ceux qui partagent ma table », sourit-elle. L'ouvrage qu'elle a rédigé à ce sujet l'an dernier « Les petites douceurs de mon enfance »* a remporté un joli succès. A l'image de tout ce qu'entreprend cette grande dame. 
 
Nolwenn Weiler 

* Co-écrit avec Marie Le Goaziou et Nicole Thépaut, éditions Ouest-France. 


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