Photos prises à Timimoun
Tu ne trouves pas la route trop longue ? Nous allons chez Simone de Bollardière, en campagne, je ne suis pas sûre de trouver du premier coup...
Tu sais, j'ai l'impression d'avoir passé les quinze dernières années de ma vie sur les routes ... Pour mon film. En Kabylie. Pour aller voir les stagiaires, dans toute l'Algérie. Oran, Constantine, Tizi-ouzou, Sétif, et même des villages de montagne.Train, bus, taxis collectifs. Pour aller à Timimoun, où j'ai choisi de construire ma maison, mon refuge. Mais j'étais en mouvement tout le temps, ces dernières années...
Ce soir, nous prenons la route de Moëlan-sur-mer, pour aller présenter Lettre à ma soeur, ton film de 2006. Une lettre adressée à Nabila.
Long silence...
Nabila, ma soeur, était une militante féministe déterminée. Elle a été assassinée en 1995 à Tizi-Ouzou. Suite au drame, nous avons dû nous exiler en France quelques temps. Famille dévastée. Trouver des réponses était si impératif que je me suis formée au cinéma. Ecrit aussi un recueil de poèmes, Outre-mort, paru en 2003. Pour comprendre, j'ai repris la route, celle des petits villages de Kabylie... Celle des amies militantes qui m'ont ouvert leurs coeurs. Le film suit aussi la route côtière, qui ramène le cercueil de Nabila à Béjaïa...
Toi, tu as l'habitude de dire : s'il n'y a plus d'espoir, eh bien inventons l'espoir !
Rire, encore une fois.
Nabila, ma soeur, était une militante féministe déterminée. Elle a été assassinée en 1995 à Tizi-Ouzou. Suite au drame, nous avons dû nous exiler en France quelques temps. Famille dévastée. Trouver des réponses était si impératif que je me suis formée au cinéma. Ecrit aussi un recueil de poèmes, Outre-mort, paru en 2003. Pour comprendre, j'ai repris la route, celle des petits villages de Kabylie... Celle des amies militantes qui m'ont ouvert leurs coeurs. Le film suit aussi la route côtière, qui ramène le cercueil de Nabila à Béjaïa...
Toi, tu as l'habitude de dire : s'il n'y a plus d'espoir, eh bien inventons l'espoir !
Rire, encore une fois.
Tu sais, dans les années 2000, au lendemain de ce long tunnel noir que nous avons traversé, dix années terribles, les gens avaient perdu toute habitude d'aller au cinéma, de sortir le soir. Le débat avait été confisqué par les intégristes de tous bords, institutions comprises. Avec une poignée d'amis, nous avons initié les Rencontres cinématographiques de Béjaïa, pour que les Algériens reprennent le chemin des salles. Cinémathèque désaffectée ou simple salle de réunion, écran tendu entre deux arbres ou théâtre vide que nous équipons en vidéo, tout est bon. L'enjeu est simple : réfléchir ensemble aux images de notre monde, et j'y inclus celles que les occidentaux renvoient de nous. Aujourd'hui, les Rencontres continuent sans moi...
Et tout naturellement, tu as mis en place la formation Béjaïa Doc, en 2007 ...
Oui, c'était logique. Puisqu'il n'y a pas de filière de cinéma en Algérie, eh bien, formons ces jeunes nous-mêmes ! Nous nous limitons à huit stagiaires par an. Ce sont des garçons et filles de moins de 35 ans, à qui je demande une seule chose : avoir un projet de documentaire sur une réalité de chez eux qu'ils connaissent déjà. Il s'agit pour nous de revenir à des bases solides : il nous appartient de documenter notre présent nous-mêmes, de fabriquer nos propres images.
Et tu réfléchis à tout cela depuis Timimoun ? Pourquoi avoir choisi d'habiter si loin ?
Timimoun ? Ce n'est qu'à 1300 km d'Alger, et j'adore faire cette route. Timimoun se mérite, c'est une oasis, avec une population d'origine zénète, une des composantes berbères, et une grande tradition de tolérance et d'ouverture. Le fait que ce soit un carrefour de routes caravanières n'y est pas étranger. Je fais parfois étape à Ghardaïa, qui est aussi berbère mais peuplée de Mozabites. C'est encore une autre histoire, une autre facette de la richesse de notre pays. Une Algérie composite, avec une histoire complexe que nous n'avons pas fini d'explorer. Vous, en France, vous voulez toujours tout simplifier, vous rabotez mille nuances de notre passé, et de notre présent aussi. Pour revenir à cette route de Timimoun, je m'arrête au café de Malika, à l'embranchement de la route vers Aïn-Salah. Chez elle, c'est menu unique, omelette et salade de tomates aux oignons, mais une façon unique de t'écouter, de partager les rumeurs du monde.
Et ton projet de Hassi Messaoud, c'est encore une autre route ?
Oui, Hassi Messaoud, c'est une cité pétrolière érigée dans le désert il y a plus de trente ans. Toute une population nouvelle s'y est installée, on y a inventé de nouveaux rapports sociaux, beaucoup de femmes seules viennent y gagner leur vie et c'est cela qui m'intéresse. Des affrontements très violents y ont eu lieu en 2001. Et pourtant, des femmes continuent de faire le choix d'y vivre, seules. C'est cela que je veux explorer avec une écriture documentaire, qui me prendra des année s'il le faut, mais que je ne laisserai censurer par personne. Les exigences des financeurs ne m'arrêteront pas, quand la route n'est plus goudronnée, je continue sur les pistes de sable.
Je traite Habiba de tête de pioche.
Et tu ne te lasses pas d'être sur la route ?
Jamais ! Un pneu dégonflé? On t'escorte jusqu'au garage. Tu ne trouves pas d'hôtel ? On t'héberge, on te nourrit. J'ai re-découvert mon pays sur les routes. Et j'ai toutes raisons d'espérer, parce que les Algériens sur les routes sont l'expression même de la solidarité. Les ornières de la vie, il faut les contourner, c'est tout. Et reconstruire.
Les essuie-glaces chantent. Nous arrivons chez Simone, au détour d'un chemin inondé. La veuve du général de Bollardière, premier militaire à avoir dénoncé la torture en Algérie, aura bientôt 92 ans. Elle affiche vivacité d'esprit et entrain, et ses convictions sont toujours aussi entières. Celle qui a tenu tête au Général Aussaresses affiche un sourire malicieux.
Chez Simone de Bollardière, à Guidel
« Bonjour Habiba ! Bienvenue chez moi ! J'étais chez vous en septembre, à Alger, mais je n'ai pas été autorisée à aller me balader en campagne. Si j'y retourne, vous m'amènerez ? Vous savez, avant vous, j'ai reçu le président Ben Bella ici. Il avait des gardes du corps, lui. Bon, venez me parler de votre beau pays... »
Reportage de Caroline Troin