« L’idée n’est pas nouvelle ! Les fermes collectives existent depuis longtemps mais le modèle peine à se mettre en place. » Tout en me parlant, dans son fournil à Pluherlin, Maëla commence par peser le sel, de Guérande bien sûr, ramené régulièrement par ses parents. Nous sommes lundi et tout doit être prêt pour la fournée de demain : « Il y a les gaec, poursuit-elle, ces groupements agricoles d’exploitation en commun, bien connus, mais ce sont principalement des organisations familiales, entre le père et le fils, le mari et la femme, un conjoint ou un membre de la famille. La plupart du temps, ils ne rassemblent que deux ou trois personnes et ne laissent que très peu de place à un nouvel arrivant. » Maëla découvre alors que le statut de ferme collective est une réponse permettant de s’installer à plusieurs sur une ferme.
Agir en France pour changer l’agriculture
Maëla est née à Guérande. Après le lycée, elle opte pour une voie scientifique en classes préparatoires avant de partir à Paris.
Revenue à Paris, elle intègre la coopérative Le Champ des possibles. Pendant quatre ans, elle va accompagner de jeunes installateurs, non issus du milieu agricole, souvent en reconversion professionnelle :
« Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie après tous ces efforts dans un parcours académique rude et élitiste. Je doute aujourd’hui que cela soit nécessaire… »En 2012, elle entre dans une école d’ingénieur en agronomie à Montpellier.
« J’ai eu aussitôt un coup de cœur et me suis passionnée pour l’accompagnement au développement rural dans les pays du sud au sein d’ONG ou de petites associations. »Pleine de rêves, elle ambitionne alors de participer à la lutte contre la faim dans le monde.
« J’ai vite réalisé que ce combat était d’abord d’ordre politique et économique, à des échelles planétaires. Après quelques stages à l’étranger, je me suis sentie plus à ma place d’agir en France, pour essayer de changer l’agriculture… sans être obligée de prendre l’avion sans cesse ! »
Revenue à Paris, elle intègre la coopérative Le Champ des possibles. Pendant quatre ans, elle va accompagner de jeunes installateurs, non issus du milieu agricole, souvent en reconversion professionnelle :
« Beaucoup imaginaient un projet professionnel en harmonie avec un projet de vie. Ils ne rêvaient pas de grands espaces de culture en monoculture avec une mécanisation et des machines surdimensionnées, mais de petites cultures, souvent en maraîchage et en production végétale. C’était un travail très concret, au cœur des exploitations. Ensemble, nous imaginions des solutions alternatives et des formes nouvelles d’agriculture. »
La ferme collective comme alternative au modèle dominant
L’un des enjeux majeurs de l’agriculture aujourd’hui est de faire converger les projets d’installation des personnes et la transmission des fermes. En 2025, 50 % des agriculteurs seront partis à la retraite.
« L’agriculture a besoin, pour se renouveler et continuer à nourrir l’humanité, de ces nouveaux paysans et paysannes. En face, on ne trouve trop souvent que des fermes immenses. Si nous ne leur permettons pas de s’installer, ce seront toujours les plus gros qui chercheront à s’agrandir et l’agrobusiness qui dominera. »Maëla visite des fermes collectives. Ce qu’elles ont en commun est d’avoir, sur un même lieu, des activités diversifiées et complémentaires. Elles mutualisent le matériel, des bâtiments, l’organisation des activités, la logistique. Le quotidien y est partagé, comme le revenu, pertes et bénéfice. Le plus souvent, elles sont en culture et en élevage bio, assurant sur place une transformation des produits en circuit court.
« A force de les rencontrer, j’ai trouvé qu’il y avait un fort enthousiasme, une vitalité et un dynamisme qui les animait. Cette forme de statut était méconnue des porteurs de projets. Beaucoup avaient toujours en tête ce mythe de l’exploitation transmise de père en fils ou ce gaec tenu par un couple. »
Une manière nouvelle de penser le travail
La ferme collective, c’est un nouveau modèle pour s’installer à plusieurs, autour d’un projet agricole. C’est une autre forme d’organisation, une manière nouvelle de penser le travail. C’est un rythme respectueux des individus, des animaux qui vivent sur la ferme. C’est aussi un carrefour entre le monde rural et le monde urbain.
Chaque associé qui intègre la ferme collective apporte au pot commun ses compétences, son expérience et aussi, un réseau de relations nouvelles. Y sont souvent présentes des associations de développement agricole local, des organisations citoyennes et solidaires.
Chaque associé qui intègre la ferme collective apporte au pot commun ses compétences, son expérience et aussi, un réseau de relations nouvelles. Y sont souvent présentes des associations de développement agricole local, des organisations citoyennes et solidaires.
Elles deviennent des carrefours d’échanges et de réflexions, de véritables centres de ressources. L’organisation rassemble un faisceau d’innovations insoupçonnées. Le devenir de la ferme s’invente collectivement. C’est une forme de solidarité permanente. Si un atelier fonctionne moins bien à un moment donné, un relais peut être pris. C’est un lieu d’expérimentation approprié pour mettre en place une économie circulaire respectueuse de l’environnement, centrée vers la transition écologique. Au sein d’une ferme collective, la question de la transmission, si prégnante dans le monde agricole, se relativise :
« On n’est plus dans cette idée d’être agriculteur sur une ferme pour toute la vie, de s’installer seul dans son coin avec un million d’euros d’investissement emprunté à la banque, une monoculture aliénante et un espoir réduit de concilier vie professionnelle et projet de vie. Avec la ferme collective, on peut envisager son inscription dans le projet comme un temps, une expérience professionnelle sans souci de carrière et de devenir. »
Un livre pour conseiller et inciter à s’installer en ferme collective
Fermes collectives, le guide (très) pratique de Maëla Naël, éditions France Agricole, collection TerrAgora, 2022.
Maëla continue de me parler tout en préparant sa prochaine fournée. Ce sont les céréales qu’elle pèse maintenant. Elle s’interrompt un instant pour présenter son livre :
Car s’engager dans une telle démarche collective ne s’improvise pas. Et Maëla égrène les questions à se poser au préalable :
" Comment allons-nous fonctionner collectivement ? Quelles modalités pour se réunir, communiquer, prendre des décisions ? Y-a-t-il un leadership ? Comment gère-t-on un conflit ? Un projet collectif, c’est à la fois un groupe et des individus : qui est dedans, qui est dehors, quelles limites ? Comment entre-t-on, comment en sort-on ? Comment constituer un socle commun, une culture commune ? Une fois le groupe défini, et ses règles de fonctionnement, il convient de construire le projet commun : qu’a-t-on envie de faire ensemble ? Comment définir nos objectifs ? Comment passe-t-on du projet individuel au projet collectif ? Quelle zone géographique définit-on ? Quelles mutualisations envisage-t-on ? C’est un vrai défi de transformer une ferme individuelle en ferme collective. Comment se présente-t-on aux cédants ?
Vient ensuite la partie juridique. Comment monter un projet, quel statut choisir ? C’est en fonction du projet commun que l’on a défini que l’on va choisir le statut. Pas l’inverse ! Pour fonctionner, quelles règles se donne-t-on, quel cadre se fixe-t-on ? Qui fait quoi ? Comment partage-t-on le travail, les responsabilités, le pouvoir ? Comment partage-t-on l’argent ? Comment aménage-t-on les espaces ? Comment salarier ? Comment faire durer le collectif de façon confortable ? Comment assurer la pérennité de l’initiative ? Comment articuler vie professionnelle et vie personnelle ? Comment se faire accompagner et par qui, à quel rythme ? Sans occulter la question de la fin et de la séparation : comment ça se termine sans que cela ne soit un drame ?"
Vivre la ferme collective de l’intérieur
En avril 2022, Maëla quitte la région parisienne et revient en Bretagne. Elle a décidé cette fois de vivre la ferme collective de l’intérieur :
« Il y a peu de littérature sur les fermes collectives. Alors, l’idée m’est venue de rassembler et d’organiser toutes ces expériences que j’avais vu naître, tous ces conseils que j’avais pu recueillir pour proposer des recommandations à l’installation. J’ai ainsi passé en revue toutes les thématiques à aborder pour que l’aventure fonctionne et soit satisfaisante. »
Car s’engager dans une telle démarche collective ne s’improvise pas. Et Maëla égrène les questions à se poser au préalable :
" Comment allons-nous fonctionner collectivement ? Quelles modalités pour se réunir, communiquer, prendre des décisions ? Y-a-t-il un leadership ? Comment gère-t-on un conflit ? Un projet collectif, c’est à la fois un groupe et des individus : qui est dedans, qui est dehors, quelles limites ? Comment entre-t-on, comment en sort-on ? Comment constituer un socle commun, une culture commune ? Une fois le groupe défini, et ses règles de fonctionnement, il convient de construire le projet commun : qu’a-t-on envie de faire ensemble ? Comment définir nos objectifs ? Comment passe-t-on du projet individuel au projet collectif ? Quelle zone géographique définit-on ? Quelles mutualisations envisage-t-on ? C’est un vrai défi de transformer une ferme individuelle en ferme collective. Comment se présente-t-on aux cédants ?
Vient ensuite la partie juridique. Comment monter un projet, quel statut choisir ? C’est en fonction du projet commun que l’on a défini que l’on va choisir le statut. Pas l’inverse ! Pour fonctionner, quelles règles se donne-t-on, quel cadre se fixe-t-on ? Qui fait quoi ? Comment partage-t-on le travail, les responsabilités, le pouvoir ? Comment partage-t-on l’argent ? Comment aménage-t-on les espaces ? Comment salarier ? Comment faire durer le collectif de façon confortable ? Comment assurer la pérennité de l’initiative ? Comment articuler vie professionnelle et vie personnelle ? Comment se faire accompagner et par qui, à quel rythme ? Sans occulter la question de la fin et de la séparation : comment ça se termine sans que cela ne soit un drame ?"
Vivre la ferme collective de l’intérieur
En avril 2022, Maëla quitte la région parisienne et revient en Bretagne. Elle a décidé cette fois de vivre la ferme collective de l’intérieur :
« Je me suis installée avec quatre amis dans une ferme à Pluherlin que nous avons reprise. Nous y élevons vaches et brebis, cultivons nos céréales, transformons le lait sur place. Les tâches sont partagées pour ménager le temps libre de chacun, la traite des vaches et des brebis, l’alimentation, les soins, les déplacements des animaux… En plus, je m’occupe plus particulièrement de la fabrication du pain qui est vendu à la ferme chaque mardi. C’est encore trop tôt pour faire un bilan mais je suis heureuse de pouvoir vivre en pratique tout ce que j’ai pu explorer et recueillir ailleurs. »Tugdual Ruellan.
Fermes collectives, le guide (très) pratique de Maëla Naël, éditions France Agricole, collection TerrAgora, 2022. Disponible en librairie ou notamment sur France Agricole