Voir aussi : Rita raconte la naissance de Nunu's
This browser does not support the video element.
Sous la galerie couverte, Mavis se balance doucement et rit du coassement de la grenouille caché derrière le volet. Les drapeaux breton, français et états-unien flottent tranquillement comme un appel, l'appel de Mavis pour préserver la culture cajun avec sa langue, sa musique, sa cuisine et tant d'autres choses encore.
« J'adore NuNu…» dit-elle, cette association créée par l'artiste George Marks. Une fois par mois, elle y réunit, autour d'un café et de petits gâteaux, ceux et celles qu'on a " fouetté " à l'école pour les empêcher de parler français. Aujourd'hui, ils prennent leur revanche : ils sont si fiers de dire que, même s'ils n'ont pas transmis leur langue à leurs enfants, leurs petits-enfants ont pris la relève !
Avec NuNu, dit encore Mavis, c'est le monde qui vient à Arnaudville, comme les Articulteurs du Pays de Redon en Bretagne qui ont profité, en avril dernier, de la Semaine Française pour échanger sur les démarches de développement économique en lien avec l'art et la culture.
Elle a un grand rêve, Mavis. Même si les politiciens lui mettent des bâtons dans les roues, elle n'est pas prête de le lâcher !
Marie-Anne Divet
« J'adore NuNu…» dit-elle, cette association créée par l'artiste George Marks. Une fois par mois, elle y réunit, autour d'un café et de petits gâteaux, ceux et celles qu'on a " fouetté " à l'école pour les empêcher de parler français. Aujourd'hui, ils prennent leur revanche : ils sont si fiers de dire que, même s'ils n'ont pas transmis leur langue à leurs enfants, leurs petits-enfants ont pris la relève !
Avec NuNu, dit encore Mavis, c'est le monde qui vient à Arnaudville, comme les Articulteurs du Pays de Redon en Bretagne qui ont profité, en avril dernier, de la Semaine Française pour échanger sur les démarches de développement économique en lien avec l'art et la culture.
Elle a un grand rêve, Mavis. Même si les politiciens lui mettent des bâtons dans les roues, elle n'est pas prête de le lâcher !
Marie-Anne Divet
« Je n'avais jamais étudié le français »
C'était durant le grand rendez-vous annuel des Cajuns, le Festival musical de Lafayette. Robert Desmarais-Sullivan - 70 ans maintenant – y était allé le samedi, il allait y retourner le dimanche, ne voulant rien manquer de la culture francophone en train de se réinventer. Malgré tout, venu dormir chez son frère, à Grand Coteau, le grand pédagogue de la langue cajun a accepté de s'attarder.
L'amour d'une femme, ainsi commence l'histoire. « Je me suis marié. Muriel voulait aller à Paris. Je lui ai dit : "Je te fais confiance, ma chère, tu vas parler français pour nous deux !" Je n'avais jamais étudié le français. Quand j'étais petit, on m'avait dit que notre français était incompréhensible en France, je l'avais cru. À Paris, je me suis rendu compte que la Louisiane m'avait menti ! Un jour, j'ai parlé de littérature avec un professeur de la Sorbonne, il n'a rien dit sur la qualité de ma langue. C'est le moment précis de la révélation. »
L'émotion vibre dans sa voix. Retour à cette année-là, 1971. Anglophone par son père, un Sullivan du Mississipi voisin, Robert renoue ardemment avec son ancêtre maternel François Desmarais arrivé à La Nouvelle Orléans, en 1722, sur le navire Éléphant. Il replonge dans le bain français de son enfance, le créole de la famille Desmarais et le cajun de ses copains de Lake Charles, près de Lafayette, où il a grandi.
« Cette langue vivait dans mon âme »
« Quand j'ai découvert que cette langue vivait dans mon âme, poursuit-il, j'avais le choix : ou la tuer ou la nourrir. J'ai décidé de la nourrir. » Le professeur diplômé en pédagogie et en latin se met à écouter la radio en français sur les ondes courtes, s'amuse des blagues d'un animateur africain, s'inscrit à des cours de français à l'université de Tulane à La Nouvelle-Orléans, est touché par Albert Camus, commence à écrire de la poésie...
Il devient père et c'est alors que sa langue maternelle devient un combat : elle doit ressusciter et pas seulement chez lui. En 1921, les autorités de Louisiane avaient interdit l'enseignement du français, des générations d'enfants francophones ont été punis à l'école comme les Bretons et d'autres en France. Cet interdit a été supprimé en 1967 mais il faut maintenant reconstruire. Pour sa fille, Robert Desmarais-Sullivan lance avec quelques autres l'« Association des Parents d'Enfants Franco-Américains de La Nouvelle-Orléans » (Apefano) et crée une école d'immersion, tout en français.
« J'avais étudié les écoles d'immersion du Québec et découvert que la Louisiane souffrait du fait que ses deux langues n'étaient pas égales. Dans ce cas, les enfants n'apprennent correctement ni l'une ni l'autre. La Louisiane est souvent moquée pour son mauvais anglais et elle n'a pas donné de grands écrivains comme les Etats voisins. Nous sommes aussi intelligents mais, pour pouvoir écrire, il faut une unité de cœur : c'est ma théorie...»
« Il y a plusieurs façons d'être Américain…»
Il existe environ trente écoles d'immersion en Louisiane. « Ça m'a surpris, dit-il, je ne peux pas trop l'expliquer. Il y a une soif de se rattacher à l'identité française, son identité. Une dame de 50 ans m'a dit un jour : "Pourquoi ils ne veulent pas que nous soyons ce que nous sommes ?" Ils n'apprennent pas le français pour voyager, ce n'est pas non plus un projet intellectuel, c'est un projet du cœur.»
Dans ses cours à l'Alliance française, Robert Desmarais-Sullivan voit souvent arriver des retraités : ils ont le temps, aujourd'hui, de rechercher leur identité perdue. « Il y a eu un gaspillage d'énergie, de talent, c'est ça qui me stimule, qui me mobilise »... Et aussi - surtout peut-être - l'intérêt apparu chez les jeunes : « L'autre jour, dans un bar, j'ai entendu "Bonsoir, monsieur Sullivan !" C'était un jeune passé par une école d'immersion. Je viens aussi d'être invité à l'école d'Audubon : il y avait cent enfants qui parlaient en français ! »
Au Festival de Lafayette, le vieux soldat de l'identité louisianaise a rencontré un de ses chanteurs préférés. « Il chante en français cajun, à haute voix, sans complexe : j'aurais bien aimé être dans sa situation. À l'université Tulane, il y a maintenant des cours en français cajun, des jeunes veulent apprendre l'accent cajun : si toute la Louisiane avait été comme ça, à l'aise dans ses deux langues. L'ouverture vers la langue permet de s'ouvrir à tout. Il y a plusieurs façons d'être Américain…
Maintenant, étendre les écoles d'immersion au secondaire
L'enthousiasme de Robert Desmarais-Sullivan se brise quand même assez souvent : le combat est loin d'être gagné. « Des gens comprennent et parlent le français mais ne veulent pas l'employer : le complexe existe toujours. Pourquoi, d'ailleurs, n'ont-ils pas défendu leur langue ? Je viens d'écrire un petit bouquin où je dis qu'il est probable qu'ils n'ont pas voulu souffrir la même destinée que les Américains natifs. C'est mon explication : si je ne l'avais pas inventée, j'aurais honte de mes ancêtres. »
L'homme, en tout cas, n'est pas du genre à s'arrêter. Il vient d'attaquer la version anglaise de ce petit bouquin publié par la maison d'éditions Tintamarre : il veut convaincre encore et toujours. Il aimerait aussi adosser une Alliance Louisianaise à l'Alliance Française. Le père des écoles d'immersion caresse encore un autre projet : « Je voudrais bien étendre la formule au secondaire avant de mourir... »
Il sait que sa santé peut lui jouer de sales tours. Un mal l'a éloigné près de trois ans du travail et aujourd'hui, bien qu'en retraite, il doit continuer à travailler pour gagner sa vie. « J'ai recommencé ma carrière de professeur de latin en Virginie, dit-il, et j'y serai probablement encore si l'ouragan Katrina n'avait pas détruit La Nouvelle Orléans. C'était un drame pour moi, je suis revenu. »
Tout semble fragile, soudain, l'homme et son pays. Sauf la culture qui les anime. Dans l'après-midi de ce dimanche, nous avons aperçu Robert Desmarais-Sullivan au Festival de Lafayette, écoutant un groupe québécois. Il rythmait la musique d'un pas hésitant mais comme inépuisable.
Michel Rouger
Tout semble fragile, soudain, l'homme et son pays. Sauf la culture qui les anime. Dans l'après-midi de ce dimanche, nous avons aperçu Robert Desmarais-Sullivan au Festival de Lafayette, écoutant un groupe québécois. Il rythmait la musique d'un pas hésitant mais comme inépuisable.
Michel Rouger