Livres

Ce livre est fou comme la folie furieuse, de bout en bout. Entre un Louis Ferdinand Céline déjanté, qui racle au fond nos estomacs avec la plume et un Garcia-Marques qui embarque en baroque, Mathieu Belezi nous offre un roman de ouf.


Moi, le glorieux, Mathieu Belezi

06/05/2024


Baraka, la fin

Moi, le Glorieux sort aux éditions le Tripode qui ont remis toute l’œuvre de Mathieu Belezi sur l’établi.

Il n’y a pas de majuscule dans ce texte, en début de paragraphe ni aux initiales des nom et prénom de l’auteur sur la couverture, mais le titre est en capitales.

C’est moi

Oui c’est moi qui ai lancé à grande échelle la culture de la vigne, achetant avec l’argent de la banque d’Algérie et du Crédit Lyonnais des hectares de terres sauvages que les bras désœuvrés des fellahs avaient abandonnés des siècles durant aux racines des palmiers nains

Misère de misère

Un roman furibard, un roman acariâtre, lunaire et solaire, un roman où le héros a l’âge de ce que durera l’Algérie française. Là que ça se passe. Du côté colon des colonies, du côté de l’indigestion permanente, d’un luxe nouveau riche et d’un stupre vieux jeu. Rots, pets, glaires et vomis garantis. Tout est Gargantuesque mais ici Rabelais rend le roi plus nu, nul. Nous sommes, attention aux doigts, attention aux yeux, du côté de ces mâles alfa, de ces surhommes blancs qui s’approprient la terre, les femmes et les hommes, légitimés d’une force plus forte qu’eux au départ et dont, à l’arrivée, ils s’imaginent plus forts que cette force.

Moi, le glorieux de ce point de vue règne en gloire, en érection permanente et dans plusieurs ventres à la fois. Tout le temps. Quand il cultive, irrigue, draine, implante. Quand il cogne et cravache, méprise, viole et jouit. Albert Vandel, jouisseur de première bourre.

Un fou furieux, un dominant, un cinglé pour tout dire auquel nul ne peut s’identifier tant son braquemart est long, immense, et sa durée de vie prolongée au-delà du raisonnable. Moi, le Glorieux est une gloire du moi tout-puissant, dominateur et féroce. Il use et abuse et nous force à aller voir le mal dans le ventre du mâle, le pire dans l’empire de l’humain, son pouvoir exorbitant de saigneur sans vergogne.

Sans foi ni loi quoique la seule loi soit lui et sa foi, une sorte de renouvellement infini de la croisade au premier degré : il monte tout à cru.

Albert Vandel est central. Le moi-je est un moi fou. On est dans la bouche puante de ses insultes, jurons, dans les églises de ses mariages, plusieurs, et de ses nuits de jouir d’un bouge à l’autre dans une Algérie instrumentée pour se faire du pognon, inviter à sa table, deux-cents couverts, des ministres dont le Premier, avec le menu réclamé au cuistot à l’identique d’un menu de roi. Les repas et les discours, les effets de manche et de bite sont toujours excessifs, imposant de dégrafer d’un cran la ceinture de son pantalon.

De plusieurs crans.

Cinquante-quatre pièces décorées à la manière mauresque par la fine fleur des architectes parisiens et que les souliers délicats du président de la République, de ses huit ministres, sénateurs, maréchaux, députés et autres personnages allaient enfin parcourir pour ma plus grande gloire, moi qui n’avais que mon cheval et ma solde lorsque j’ai débarqué en Algérie au siècle dernier…

L’auteur s’est inspiré pour son héros de plusieurs personnalités qui ont composé ce moment honteux de la France. On peut craindre parfois qu’il soit lu à l’endroit, au pied de la lettre dans une période tellement ostraciste et antislamique.

Albert Vandel, héros à l’envers de la France la plus rance. A mort les juifs ! A mort les juifs ! Il faut les pendre par le pif ! Ce sont de ces chants que Vandel 1er, roi des cinglés, chante avec ses sbires au fond des nuits d’Algérie, des chants scélérats qui hantent l’aujourd’hui, plus édulcorés, moins sauvages, tout autant insistants dans certaines complaisances et perdus au beau milieu de beaucoup de confusion.

Le roman de Belezi dérange. Hérisse, affole.

Belezi écrit contre lui, il écrit contre les bons sentiments, ferments d’oubli et surtout, c’est pire, de recommencements. Belezi nous tient en haleine, son roman picaresque va jusqu’à la fin d’Albert Vandel qui ne meurt pas autant qu’on le croit.

C’est ça qu’on craint. Des petits Vandel nostalgiques un peu partout sous les lampes des cuisines. Loin, si loin des ambivalences camusiennes ou des radicalités de Fanon.

Belezi signe un réquisitoire lyrique. Il signe surtout une littérature forcenée, un machin mal identifié qu’on aurait, en tournant les trois-cent-trente pages, envie qu’il s’arrête. Comme un délire.

Comme un cauchemar.

Foutez-moi la paix, Monsieur Albert !

Comme un livre indispensable qui manquait jusque ce que Belezi prenne la plume, non les fourchettes et les fusils, les lames et le sang et avec eux, écrive.

 

Gilles Cervera
éd. Le Tripode, mars 2024, 329 pages, 21 €
 


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