29/03/2012

Monsieur le maire de Langouët sème les idées vertes


A l'ombre des grandes villes, les initiatives des petites communes foisonnent. Une créativité méconnue mais qui se diffuse par des tas de réseaux. À Langoüet, entre Rennes et Saint-Malo. Daniel Cueff est de ces maires qui sèment et cultivent des idées nouvelles : sociales, environnementales, citoyennes...


Langouët.mp3  (10.55 Mo)

De Rennes, prendre la quatre-voies pour Saint Malo puis, à environ 20 kilomètres, sortir à Vignoc. Trois kilomètres de petites routes tortueuses et étroites et voilà Langouët. La rue principale est silencieuse, à peine dérangée par les coups de fourche du vieux retraité qui prépare la terre pour le printemps qui arrive, sous l'oeil impassible du clocher du XVII ème. Rien que de normal.

A la sortie du bourg, le regard du visiteur se laisse prendre au dépourvu : à gauche, la petite mairie qu'on remarque à peine, l'école Janusz Korczak au nom imprononçable et la Pépinière de l'Economie Sociale et Solidaire du Val d'Ille. Sur la ligne d'horizon, se détachent des maisons de bois aux toits solaires et aux vantaux colorés. 

Monsieur le Maire a posé son chapeau sur le petit bureau encombré. Sur les murs tout de bois vêtus, une affichette annonce que le 2 juin 2009, la commune a dit non aux bois tropicaux. C'est à la grande table de réunion que Daniel Cueff s'assoit.

Où sommes-nous, monsieur le Maire ?

« A Langouët, où je suis arrivé pour y habiter un jour par hasard. Et puis comme cela se passe souvent dans les petites communes, je me suis retrouvé dans l'association de parents d'élèves, avec, vissé au plus profond de moi-même, l'envie d'en découdre avec cette société qui écrase,  qui met plus bas que terre les plus modestes. C'est un peu mon moteur. C'est un peu mes combats.»

Depuis quinze ans, Daniel Cueff en a décousu des idées reçues. Une école insalubre ? Qu'à cela ne tienne, il en fait un bâtiment HQE ( Haute qualité Environnementale ) : puits de lumière naturelle, panneaux photovoltaïques, isolation de haut niveau, système de récupération de l'eau de pluie, planchers et murs de bois pour la chaleur et le silence. 

Aujourd'hui, l'« école solaire », comme l'appellent les enfants, est la championne des économies d'énergie. Les enseignants et les élèves aiment y travailler. « La rencontre avec la cause écologique, c'est cette certitude que l'environnement social construit la personne. Il faut agir sur cet environnement et faire de l'écologie en action, de la mise en pratique ».

En y réfléchissant un peu, il y a, c'est vrai, comme une incongruité à enseigner la protection de l'environnement comme le veulent les programmes scolaires et obliger enseignants et élèves à travailler dans un milieu peu soucieux du dit environnement. « Parler de l'écologie, sans la pratiquer, cela ne fonctionne pas avec les enfants, cela reste en dehors d'eux. Je préfère que les gosses vivent dans une école qui a quelque chose à voir avec le développement durable.  » Heureux élèves qui ont la chance d'avoir du 100% bio à la cantine depuis 8 ans.

Mais le nom de l'école ? Janusz Korczak, cela ne fait pas très breton. « Quand nous lui cherchions un nom, Sarkozy demandait à ce que chaque enfant parraine un enfant mort à Auschwitz. Nous avons réagi en trouvant Korczak le pédagogue, auteur des Droits de l'Enfant et mort à Treblinka avec les 200 orphelins du ghetto de Varsovie. Mon espoir est que chacun s'empare de ce nom et se questionne.  »
 
 


« Ça jase, ça discute, ça conteste... »

Et la Pépinière ? Nichée entre l'école et la mairie, elle accompagne et facilite les projets en proposant prêt de locaux, matériel collectif et conseils à bas prix. Cinq projets sont hébergés actuellement dont le BRUDED.

Le BRUDED ? « Ce sont 120 communes qui s'entraident pour essayer de réussir le développement durable et l'écologie », explique Daniel Cueff.  Pour exemple, le parc social de la Pelousière qui a ouvert fin 2009 et  est constitué de 12 maisons et d'un collectif de 6 logements, conçus selon des normes de construction écologiques et dans le respect des principes du développement durable : exploitation des énergies renouvelables (panneaux solaires, gestion des eaux de pluie...), faible consommation énergétique proche des maisons passives, utilisation de matériaux sain et une architecture qui s'inscrit dans le paysage.

« Quand on a commencé à construire les logement sociaux de la Pelousière avec interdiction d'utiliser l'énergie fossile, on a développé des formes urbaines en ossature bois qui s'inscrivent dans le paysage de la commune. Ça jase, ça discute, ça conteste, ça adhère, il y a du mouvement, il y a du buzz. Aujourdhui il y a deux à trois groupes d'élus par semaine qui visitent la commune.  »  

 

Des problèmes à résoudre

Entraîner tous les habitants dans le sillage de l'écologie active, c'est le rêve de Daniel Cueff. Mais c'est un rêve qui se heurte aussi à la réalité.

Par exemple, celle des agriculteurs. Ils représentent un peu plus de 27 % de la population active sur une commune d'environ 600 habitants. Avec un maire soucieux de garder l'intégralité des terrres agricoles, ils devraient être contents. « Et pourtant, avoue Daniel Cueff, ce qui est le plus difficile ici, c'est l'agriculture. Elle n'est pas bio. Les agriculteurs ont vu comme une provocation l'arrivée de la cantine. En réunion, encore aujourd'hui, ils me disent " Vous êtes pour le 100% bio, alors, nous on fait de la m.... ? " C'est rentrer en conflit mais c'est un conflit où vous ne voulez pas la destruction de l'autre. » 

Que faire ? Ecouter, se poser des questions et agir. Président de la communauté de commune, Daniel Cueff impulse l'idée d'achat de foncier pour le dédier à l'agriculture bio. « C'est très dur ! » admet-il. « On se positionne en acheteur. Nous avons acquis 13 hectares que nous avons donnés à la foncière Terre de Lien pour avoir la garantie de la destination de ce foncier. Ce sont des bagarres. »

Autre problème, d'écologie sociale cette fois : comment intégrer les nouveaux habitants ? 30 % de la population est là depuis moins de cinq ans. « Ils n'ont pas l'histoire de la commune derrière eux - Daniel Cueff laisse passer un silence - adhèreront-ils longtemps au projet communal qui s'est fait sans eux ? »

A nouveau le silence, puis Daniel Cueff sourit : « Des habitants ont dit " Il faut ré-ouvrir le dernier commerce ". Ceux-là sont arrivés en 2007. Ils ont monté un projet de bar associatif qui ouvre prochainement. Voilà un acte qui va générer des choses qui nous échappent et heureusement. » Ainsi va la vie à Langouët : nouveaux arrivés, nouvelles idées !

Et les anciens ? Comment perçoivent-ils les écolos ? « C'est important de conserver des rites comme les cérémonies autour du monument aux morts par exemple, ou le pot après les cérémonies du 8 mai ou du 11 novembre. C'est leur dire qu'on sait ce qui s'est passé même si certains en parlent difficilement. Autour d'un pot, c'est plus facile. Ce qui leur est arrivé, ce sont des histoires de fou. Ces rites font partie du travail symbolique du maire qu'il faut absolument préserver.  »

« "La violence symbolique" me touche »

« Mes racines sont mi-ouvrières, mi-paysannes. Né dans un milieu pauvre, aîné de neuf enfants, mon père, engagé dans la marine, est le premier de sa génération à être pourvu d'un diplôme, celui d'infirmier. Comme je serai le premier et le seul de la mienne à avoir le bac.  »

C'est souvent dans le terreau de l'enfance que se cultivent les convictions. Son marin de père le trimballe d'école en école au gré des mutations. Il se rend compte que partout où il va, il y a une différence sociale, « il y avait des copains qui étaient presque programmés pour réussir et d'autres pas ». Bien plus tard, il l'analysera avec le sociologue Bourdieu : l'enfant se construit dans le milieu où il vit. « J'avais imaginé que les échecs de mes camarades ou de ma famille étaient de leur responsabilité. J'ai compris que l'école était un mécanisme de reproduction des inégalités sociales, qu'elle les maintenait, qu'elle les alimentait et qu'elle ne permettait pas l'égalité des chances.» 

Venu de son enfance, voilà un axe de travail sur lequel Daniel Cueff n'a jamais dévié : « J'ai toujours été très combatif par rapport à une société qui considère mal les gens qu'elle a produits via l'école. J'ai du mal à regarder une personne de façon déficitaire. Ce que Bourdieu appelle " la violence symbolique " me touche :  cette façon qu'ont les dominants de regarder les dominés, en leur disant comment vivre, comment se comporter. Je vois ce dont il s'agit . »

Le rapport dominant/dominé traverse l'action de Daniel Cueff que ce soit dans la création du Groupe de Pédagogie et d'Animation Sociale à Brest, dans son travail à l'Université de Rennes et à l'Université de Varsovie où il a mis en place une formation d' éducateurs de rue et, aujourd'hui, dans ses engagements d'élu : maire, président de la communauté de communes et conseiller régional de Bretagne. 
 

Y a-t-il une méthode Cueff ?

« Etre maire, c'est définir un cadre politique d'action avec un contenu qui est à discuter parce qu'il n'est pas certain. On peut toujours prévoir un environnement mais pas les comportements des gens. Et heureusement ! Cela génère aussi des conflits : quand vous faites différemment, vous vous retrouvez en conflit avec ceux qui pensent autrement.  »

Il en a fait souvent l'expérience de cette "violence symbolique" qu'il redoute. Daniel Cueff raconte : « Quand je suis allé dans le lotissement en tant qu'élu, il faisait beau mais il y avait beaucoup de bruits à cause de la route. J'ai proposé de mettre un mur anti-bruit. Je me suis aperçu que les gens me tiraient la tronche. Je me suis aperçu que, malgré toute ma bonne volonté, j'exerçais sur eux une violence symbolique. Cela leur était insupportable d'entendre parler de quelque chose qui n'allait pas.

C'est aussi ce qui s'est passé avec la cantinière et les changements de nourriture à la cantine ou encore avec les agriculteurs à propos du bio. C'est comme un reproche. Je ne peux pas dire que ce n'est pas bien ce qu'ils font. Mais, en même temps, il me faut aller dans le sens de ce que je crois. Il faut travailler sur des modalités entre le conflit et la discussion, il faut mener les choses sans violence mais il faut les mener, cela demande beaucoup de temps, beaucoup de patience. Je l'ai compris vite à propos de l'écologie.C'est faire plutôt que d'en parler. »


Il avoue lui-même, il a beaucoup de mal à aller au conflit. Il a, selon son expression, un effet-retard. « Je sais qu'il faut que j'aille au conflit, mais j'hésite. Je préfère le dialogue. » 

Daniel Cueff aime vivre dangereusement. Il n'aime pas les situations où rien ne bouge, équilibre illusoire. Le vrai changement, c'est celui qui crée le déséquilibre. « Cela amène de la contestation et de l'adhésion. Vous dérangez quelque chose qui se passe très bien. De ce mouvement, il faut tirer quelque chose d'autre, apaisée. Cela ne l'est pas au début, il faut tenir bon et laisser les choses se mettre en place, laisser les gens discuter et s'approprier le changement. On crée une nouvelle identité, ensemble. » Une pédagogie du politique en quelque sorte.

Marie-Anne Divet


Pour aller plus loin


Bruded : 120 communes ensemble

Janusz Korczak : Laissez les enfants grandir 

 


Dans la même rubrique