08/06/2021

Pour créer de l'emploi, plutôt qu'un supermarché, un Trévarnistan !

Reportage, texte et photos : Jean-Yves Dagnet


Au village de Trévarn, dans le Finistère, les idées ne cessent de pousser à la ferme des frères Glinec. Vous connaissez Jean-François, accro à la biodiversité, déjà présenté ici. Voici aujourd'hui Olivier, accro à la production locale groupée. Au lait des frères Glinec se sont ajoutés le maraîchage, la bière et le fromage de deux ingénieurs et d'un "communiste américain" qui ont trouvé là un boulot ayant du sens.


L'équipe de Trévarn

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Y aurait-il à Trévarn un "Sistemi locali del lavoro" comme disent les pionniers Italiens ? Donc, traduit en français, un "Système productif localisé" (SPL) ? On en parle plus loin. En attendant, ​petit retour en arrière.

En 1989, à la suite du décès de son père, Olivier reprend la ferme. Jean-François, titulaire d’un DUT génie électrique, le rejoint quelques années plus tard en 1993. Ils exploitent alors tous une ferme conventionnelle de 70 ha avec 500 000 litres de quotas.
« On travaillait 7 jours sur 7 pour ne rien gagner », avoue d’emblée Olivier, « il nous fallait trouver une solution qui nous permette de gagner notre vie sans massacrer la planète et sans travailler jour et nuit. » 
Retrouvez le reportage :  Jean-François Glinec, la biodiversité pour passion

Ils diminuent le maïs, les engrais source de pollution et évoluent progressivement vers un système totalement herbager. Leurs pratiques, associées à la passion de Jean-François pour la préservation de la biodiversité auraient pu leur permettre de passer en bio bien plus tôt. 
« Nous pensions que le conventionnel se serait amendé, mais ça n’a pas été le cas alors nous sommes finalement passés en bio en 2019, le pas a été facile à faire puisque tout était prêt. »
Cependant, comment vivre correctement dans son coin si le vide se fait autour de vous ?
« Aujourd’hui, l’agrandissement des fermes a créé un désert géographique mais aussi physique, les voisins sont de plus en plus loin et les villages se meurent, quelle qualité de vie reste-t-il alors ? »
Et c’est le risque de disparition d’une ferme qui les mobilise en 2011. Si cette mobilisation n’est pas uniquement le point de départ de la nouvelle orientation de Trévarn, elle l’a accéléré…

Combat contre l’implantation d’un supermarché

Olivier Glinec
Ils apprennent qu’un supermarché va s’implanter dans la commune voisine. Face à la promesse de création d’une dizaine d’emplois, il y a  le risque de déstabiliser le commerce local et surtout de faire disparaitre totalement une ferme pour le supermarché et son parking.
« Avec des habitants des environs, nous nous sommes mobilisés, les promoteurs du projet affirmaient que l'exploitation n’était pas aux normes, mais qu’elles normes ? Pour nous c’était encore une ferme et un paysan en moins. »
Le combat dure sept ans. Après plusieurs va-et-vient judiciaires, le PLU (Plan Local d’Urbanisme) est annulé. Une contestation comme bien d’autres ? Pas tout à fait, explique Jean François :
« Nous ne voulions pas contester pour contester, détruire pour détruire, mais proposer des alternatives en créant autrement les emplois que le supermarché nous promettait. »
Un magasin de producteurs va d’abord voir le jour créant quatre à cinq équivalents temps plein sur la zone. La rencontre d'Estelle en 2013, lors d’une journée sur la nature et la biodiversité à laquelle participe Jean-François, va ensuite enclencher la dynamique de création d’emplois complémentaires à Trévarn. 

Estelle, ingénieure, quitte le phytosanitaire pour le maraîchage

Estelle Martinaud
Titulaire d’un diplôme d’ingénieure agronome, Estelle Martinaud travaille à l’époque dans une grande entreprise de vente de semence et de phytosanitaire. « Pas vraiment ma tasse de thé », remarque Jean-François, l’agriculteur sensible depuis longtemps à la protection de l’environnement. Estelle lui explique alors qu’elle cherche à changer de métier pour s’installer en maraîchage bio mais qu’elle ne trouve pas les quelques hectares dont elle a besoin pour se lancer.

Les difficultés des jeunes à s’installer, même sur de petites surfaces, le frères Glinec connaissent bien. Olivier a même démissionné du CNJA pour un désaccord sur l’attribution de terres à l’agrandissement. Ils proposent à Estelle 1, 5 hectare sur leur ferme avec accès à l’eau et la possibilité d’utiliser le tracteur. Le tout « pour un prix modique à condition que le projet tienne la route et soit réversible. » Un bon coup de main pour Estelle :

« Les conditions étaient idéales pour se lancer. » La clientèle n’a pas été difficile à trouver grâce au réseau d’amis des uns et des autres et à celui de son compagnon qui travaille à l’hôpital de Brest. « En plus, avec les deux frères Glinec, on avait à peu près la même vision du métier. » Lorsqu’il a fallu monter les tunnels pour les serres, les amis des uns et des autres sont venus donner un coup de main. Parmi eux, Gwen…

​Gwen, ingénieur aussi, quitte l'informatique pour la bière

Gwen Brunet
Gwen Brunet était lui aussi ingénieur mais dans l’informatique :
« Chercheur, métier passionnant, a perdu tout son intérêt à partir du moment où il a fallu passer plus de temps à courir après l’argent pour financer nos projets qu’à faire vraiment notre métier. Je voulais avoir quelque chose de palpable entre les mains, quelque chose qui a du sens. »
Il imagine produire de la bière artisanale - à mi-temps - à une époque où peu de gens sont sur ce créneau. Il cherche des locaux à Brest, trop cher. Le hasard du coup de main chez Estelle lui fait découvrir Trévarn. Les frères Glinec ont une grange à veau qui ne sert plus à rien, elle fera l’affaire pour démarrer une production artisanale avec du matériel d’occasion. Avec 1000 litres de bière écoulés par mois le mi-temps est assuré. «
« J’ai rapidement pris conscience que j’étais dans un bon milieu, je me suis enrichi notamment au niveau de l’écologie. » 
Craig, le troisième larron arrivera un peu plus tard…

Pour la fromagerie, arrive Craig, le syndicaliste américain

Craig Garcia
Le combat contre le supermarché avait pour but de préserver le commerce de proximité.
« Alors pourquoi ne pas le développer en créant notre propre fruitière (petite fromagerie) pour valoriser une partie de notre lait sur place plutôt que de l’envoyer à la coopérative ? »
N’ayant pas envie de se remettre de nouvelles charges de travail sur le dos, les deux frères cherchent un fromager à qui ils loueront le bâtiment et vendront le lait. Le premier ne fera pas l’affaire. Le second arrivera un peu par hasard et sera le bon. Craig Garcia, "le communiste américain" comme il se définit, vivait au État-Unis avec une Bretonne. Il était salarié dans un syndicat de défense des latinos à New-York, sa compagne enseignante de français. Un jour de 2019, ils décident de venir s’installer en Bretagne, il leur faut une maison, ils la trouvent à Trévarn.
« On a été invité à connaitre tout le monde dans le village, je cherchais quelque chose que je pourrais faire avec mes mains, j’ai appris à faire du fromage sur le tas et en lisant. »
Et ça marche. Grâce au réseau, les clients sont au rendez-vous. « Des gens qui veulent consommer local. »

Tel un Système Productif Localisé

Jean-François Glinec et Craig Garcia
Alors, comment qualifier un système où chacun est indépendant mais inter-relié ? En Italie, des petits artisans indépendants dont les produits sont complémentaires s’associent pour créer une marque commerciale et vendre ensemble, on parle alors de Système Productif Localisé. Lorsqu’on pose la question de la "marque" aux cinq de Trévarn, Gwen répond La Mignonne pour la bière, « c’est le nom de la rivière qui passe sur les terres », les autres citent Trévarn pour le fromage ou les légumes et tous Trévarnistan pour ce qui les relie :   l’inter coopération.

« Estelle nous ramène des neurones et Gwen est très bon pour organiser les fêtes » ,sourient Jean-François et Olivier. « Ici c’est l’anti-fragilité », répond Gwen. « On travaille en intelligence, je ne parle pas à mes légumes », ajoute Estelle. Et Craig le "communiste "américain de conclure :
« Avant, je lisais des livres de sciences politiques,  maintenant je lis des romans, ici on est tellement plus riche grâce à la vie sociale ».

Pour aller plus loin

Outre le blog La ferme de Trévarn, retrouvez Jean-François et Olivier Glinec, Estelle Martinaud et Gwen Brunet dans le documentaire  Terre à Terre réalisé en 2018 par l'association DéTERREminés. Les agriculteurs et agricultrices de trois fermes en France, Allemagne et Espagne y "livrent leurs réflexions et solutions pour répondre aux problématiques agricoles actuelles. Chacun d'entre eux développe une agriculture économique viable, respectueuse de l'environnement et socialement intégrée."

 


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