Reginaldo nettoie la salle de bibliothèque après un problème (résolu) au niveau du toit
Reginaldo vient d'avoir 40 ans. Il est né dans la communauté (1) Caranguejo Tabaiares, un quartier de Recife et ne l'a jamais quittée. Ses parents venaient d'une ville de l'intérieur du Pernambouc (2). Tous les deux illettrés, ils se sont installés dans cette communauté au début des années 70. Le papa était commerçant ambulant. Il se déplaçait avec ses fils, les plus petits dans la charrette alors que les plus grands l'aidaient à la pousser. Il se souvient qu'à cette époque, l'éducation familiale était beaucoup plus rigide. Tout comportement rebelle ou irrespectueux était sévèrement puni. Son père n'avait pas besoin d'élever la voix, "il parlait avec ses yeux". Jusqu'au niveau collège, Reginaldo a étudié dans les écoles du quartier. Ses professeurs l'ont fortement encouragé à poursuivre ses études. Après les années de lycée, à 20 ans, il a travaillé avec son père qui vendait de la nourriture, des boissons, des cigarettes et autres produits bon marché sur les places et lors d’événements festifs.
Poussé par le Club des femmes
Le canal qui sépare Carangueijo de Tabaiares
En 2005, Nice, la fondatrice du Club dos Idosos (le club des femmes du 3ème âge) lui a demandé de se joindre à elle pour essayer de trouver des activités pour les jeunes. Deux ans auparavant, Reginaldo avait participé à une formation de jeunes entrepreneurs. La formation était composée de deux modules, l'un portant sur la dimension économique et le second sur la dimension citoyenne. Et c'est là "que les eaux se sont séparées, j'ai été amené à faire un choix de vie : ou bien le commerce ou bien le social. J'ai fait le choix de sortir des activités commerciales pour m'orienter vers le social. Cela n'a pas été facile. J'ai dû continuer à vendre mes produits pour pouvoir subvenir à mes besoins. Nous avons alors eu l'idée de la Bibliothèque, Nice, un groupe d'amis et moi-même."
Nice a réuni quatre jeunes pour réfléchir sur le projet de ce type pour la communauté Carangueijo Tabaiares, en s'appuyant sur une expérience de bibliothèques communautaires dans d'autres quartiers. "Nous avons suivi un cours d'incitation à la lecture et à la création de bibliothèques communautaires, ce qui nous a permis d'acquérir une formation de base. Ce projet ne venait pas d'une demande de la communauté. Il a été pensé, avant tout, pour être un espace de rencontres pour les gens du quartier, pour être un lieu de réalisation d'activités sociales."
Nice a réuni quatre jeunes pour réfléchir sur le projet de ce type pour la communauté Carangueijo Tabaiares, en s'appuyant sur une expérience de bibliothèques communautaires dans d'autres quartiers. "Nous avons suivi un cours d'incitation à la lecture et à la création de bibliothèques communautaires, ce qui nous a permis d'acquérir une formation de base. Ce projet ne venait pas d'une demande de la communauté. Il a été pensé, avant tout, pour être un espace de rencontres pour les gens du quartier, pour être un lieu de réalisation d'activités sociales."
En 2005, Reginaldo, 23 ans, se lance
Reginaldo : "La Bibliothèque a représenté un énorme défi pour moi"
La Bibliothèque a débuté ses activités en 2005. "Cela a représenté un énorme défi pour moi. A l'école j'avais beaucoup de difficulté pour lire et plus tard, si on me demandait de lire en public, j'avais un véritable blocage." Les débuts ont été difficiles. Elle était très peu fréquentée. Les trois autres jeunes, présents au tout début, se sont retirés du projet. Après leur départ, Reginaldo a dû en assumer la direction. Il estimait qu'il n'était pas un bon lecteur : "Je ne me reconnaissais pas comme lecteur."
Les lectures incontournables en tant que directeur de la Bibliothèque - celle des documents administratifs notamment – l'ont aidé à surmonter ce handicap. Et il a eu la chance de travailler comme stagiaire auprès de Carminha, animatrice expérimentée et responsable d'une bibliothèque municipale. Pendant un an, il a participé aux animations autour de la lecture. "Ce fut ma porte d'entrée dans la lecture". Il s'est rendu compte également de la nécessité d'une formation de gestionnaire. Celle-ci lui a permis d'organiser la Bibliothèque communautaire. Il a obtenu une aide financière qui a permis de recruter une médiatrice de lecture et de proposer des horaires d'ouverture stables.
Des conteurs d'histoires
L'équipe dirigée par Reginaldo est composée de six personnes.
Des relations avec les entreprises locales
Reginaldo a su tisser des relations avec les commerçants du quartier, les ONG (organisations non gouvernementales), les centres de formation privés et publics. Il a su s'attirer l'appui d'entreprises locales, aussi bien pour la construction que pour la maintenance du nouveau bâtiment ouvert en 2013. Aidée par des entreprises et associations locales, les "Amis de la Bibliothèque", par la Ville de Nantes, le consulat de France et l'Alliance française, la Bibliothèque a bénéficié de dons d'entreprises privées sous forme d'argent ou de dons de produits. Par exemple, pour la construction et l'ameublement de la Bibliothèque actuelle, celle-ci a bénéficié de dons en matériaux de construction et de meubles pour le rangement des livres. Une équipe de six personnes
Des bénévoles mettent leurs compétences au service des enfants de la Bibliothèque. A titre d'exemple, chaque mardi un retraité vient initier les enfants qui le souhaitent, au jeu d'échecs et organise un tournoi en fin d'année. En 2022, il a réuni une douzaine de joueurs.
Les activités proposées ont aussi pour objectif de former des citoyens. Comme le dit Reginaldo, "la présence et les activités de la Bibliothèque ont permis à certains jeunes de ne pas prendre d'autres chemins", ceux de la drogue et du banditisme extrêmement présents dans cette communauté comme dans la majorité d'entre elles.
Roger Guilloux
(1) Les habitants de Caranguejo Tabaiares n'utilisent pas le mot « favela », (bidonville, en français). Ils préfèrent le terme de communauté qui renvoie davantage à l'une des caractéristiques du mode de relation entre les personnes qui en font partie.
(2) Le Pernambouc est l'un des 26 États de la Fédération du Brésil : Recife est la capitale de cet État du Nordeste.
(3) Le nombre de personnes travaillant à la Bibliothèque a varié en fonction de l'évolution des dons. Pour maintenir une stabilité professionnelle du personnel, la direction a mis en place, il y a maintenant plus d'un an, le réseau des "Amis de la bibliothèque". Ceux-ci s'engagent, sur une base annuelle à apporter une contribution financière. Elle permet à la Bibliothèque de s'engager sur des projets couvrant les activités d'une année.
Des enfants de Nantes et de Recife échangent leurs lectures
Depuis 2009, les échanges entre l'association « Nantes lit dans la rue » (1) et la bibliothèque communautaire de Caranguejo se sont multipliés.
Tout a commencé en 2009 : l’invitation de la ville de Recife à la ville de Nantes rebondit jusqu’à la bibliothèque de rue. Depuis 2002, celle-ci partage chaque semaine la lecture avec des enfants dans le quartier Malakoff. Jeanne Vilbert, l'une des initiatrices de l'activité, raconte :« En juin 2009, préparant le voyage à Recife, je me suis appuyée sur mon expérience dans la lutte contre l’illettrisme. Vivre trois semaines avec la bibliothèque de Caranguejo a été un véritable voyage ».
Les enfants nantais n’étaient pas très intéressés, à priori, par le Brésil, ni par la langue portugaise. Pendant huit ans, le travail en atelier avec l’association de percussions Macaïba les a fait bouger aux rythmes réciféens. Jusqu’au bout, la participation à l’atelier a été un vrai défi. L'association a fait équipe avec Macaïba en s'appuyant sur leurs compétences musicales. Eux comptaient sur l'association pour le recrutement. Il a fallu argumenter avec les familles sur le bien-fondé pédagogique de cet effort : concentration, esprit d’équipe, écoute et respect, ouverture culturelle…
Ils accueillent des Brésiliens
Sur plusieurs années, Nantes lit dans la rue a accueilli des Brésiliens : Reginaldo, Benoit Leite, Benoit Café, Lorena, Artur, Carmen et d’autres de façon brève. Des albums en portugais ont été reçus en cadeau. On s’est mis à concevoir et fabriquer des livres. « Nous ne savions pas que nous savions le faire ! » Parmi les livres produits à Nantes : Bom Dia, Un Chemin – Um Caminho, …
(1) L’association Nantes lit dans la rue créée en 2014 (à partir de la bibliothèque de rue) cherche à développer le goût de lire, d’écrire et de découvrir le monde. Dans ses activités régulières, la Bibliothèque de rue et des Ateliers hors les murs, l’association s’appuie sur l’héritage d’AMD Quart-Monde et s’inspire de la Pédagogie Sociale.
Une animation dans le quartier Malakoff à Nantes. « Portraits d'ici », un des livres produits par l'association Nantes lit dans la rue.
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