22/05/2024

Rémi Beslé, défenseur de la PAC… politique agricole communale

Texte et photos : Tugdual Ruellan


Rendez-vous à Plessé, commune de 5 200 habitants en Loire-Atlantique, non loin de Redon. Avec 93 exploitations disséminées sur la commune, l’agriculture est ici chose sacrée. La municipalité développe depuis les dernières élections une PAC d’un nouveau genre, politique agricole communale, privilégiant la qualité de vie, le bien-manger pour tous et la transition écologique… Comme un pied de nez à la PAC européenne ! Rencontre avec Rémi Beslé, paysan dans l’âme, engagé dans cette politique agricole locale et celle de tout le pays de Redon.


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Rémi Beslé fait partie de ces gens porteurs de vents frais chargés d’espoirs. Dans sa ferme de Lancé à Plessé, tout transpire la cohérence. Il est 15 heures. Avec Rachel, son associée, tous deux viennent de terminer le moulage des fromages et le nettoyage du laboratoire. Sur la table, deux camemberts produits sur place, accueillent le visiteur. Ici, on prend le temps de vivre et, même si le téléphone mobile sonne fréquemment, rien n’arrête la convivialité. 
 

Eleveur converti au bio dès 1999

Rémi Beslé, 53 ans, aime sa commune de Plessé, cette maison où il a grandi enfant, où il vit et continuera d’y vivre. BTS en poche, passé à l’école de Derval en 1992, il décide de reprendre la ferme de ses parents trois ans plus tard. Il connaît bien les vingt-cinq vaches laitières Normandes et ces cinquante hectares qu’il a parcouru de long en large avec sa mère et son père. Toujours, il a souhaité devenir éleveur mais d’emblée, il convertit la ferme en bio. Ils sont quelques-uns à l’époque à s’engager dans cette nouvelle voie, prônant le respect du sol, de l’environnement, du paysan et du consommateur :
Je ne me voyais pas passer mes journées, attelé sur un tonneau à traiter ! Je savais que ces produits, s’ils étaient nocifs pour la biodiversité, l’étaient aussi pour les paysans. C’était pour moi un non-sens. Je ne comprenais pas que l’on utilise du poison sur la terre. Avec l’élevage, il y a tellement de fumier à valoriser et à utiliser comme engrais naturel…
Le 1er avril 1999, Rémi obtient son label et livre son premier litre de lait bio au Groupement Biolait. La ferme se développe au fil des ans, enrichie des rencontres et des échanges de pratiques entre paysannes et paysans. L’éleveur opte pour la mono traite, uniquement le matin, pour ne pas fatiguer les animaux (ni les éleveurs !) Une autre façon de concevoir l’élevage. Il pratique aussi une coupure hivernale, du 15 décembre au 1er mars, la ration étant plus difficile à équilibrer l’hiver.
Depuis mon installation, j’ai pris en plus dix hectares. Les vaches sont uniquement nourries à l’herbe et au foin. J’arrive maintenant à bien négocier mes pâturages et la pousse de l’herbe toute l’année. On est plusieurs à avoir acheté du matériel en commun. Tous ensemble, nous avons peu à peu trouvé des moyens pour rendre viables nos fermes en bio.
En 2023, Rachel Perez rejoint l’exploitation, une Marseillaise séduite par la Bretagne. Fromagère de formation, elle lance avec Rémi la production de camembert après une immersion dans la fromagerie traditionnelle de Pierre Coulon à Camembert en Normandie et plusieurs conseils pris auprès de professionnels. Deux jours par semaine, les associés transforment directement les 700 litres de lait pour produire 350 à 400 camemberts.
Nous avons établi nous-mêmes notre technologie à partir des recherches et de l'expérience de Rachel. Nos fromages sont vendus localement dans les magasins et quelques fermes du pays du Redon.

Un engagement politique local

Le projet professionnel de Rémi est indissociable de son engagement citoyen. Tout jeune, il adhère à la Confédération paysanne, bien implantée à Plessé, suit les formations des groupements des agriculteurs biologiques et des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural. Il s’intéresse à la vie locale, participe aux fêtes de la vache nantaise, devient pendant six ans, président du club de foot.
 
Jusqu’à cet engagement municipal, en 2014. Rémi est tête de la liste citoyenne « Osons Plessé » qui obtient 33 % des voix. En 2020, il se présente sur cette même liste, cette fois sans leader désigné, affichant des valeurs « d’humanisme, d’écologie, d’écoute, d’équité et de respect ». Aurélie Mézière est élue maire, Rémi devient premier adjoint, en charge de l’agriculture, de l’environnement, de l’alimentation et de la biodiversité.
L’agriculture pèse dans l’économie de la commune avec 93 exploitations et près de 140 équivalents temps plein. Faire un tel choix professionnel est un projet politique ! Une exploitation agricole, c’est un projet global cohérent : tu fabriques, tu produis, tu transformes mais tu crées aussi ton projet de vie autour de ton exploitation en plantant des haies bocagères, en préservant la biodiversité, en installant des panneaux solaires pour produire ton énergie, en te chauffant au bois… 

Changer le regard pour mieux vivre ensemble

Les idées fourmillent dans la tête de Rémi. D’emblée, la jeune municipalité consulte les habitants. Un comité est constitué avec trente-cinq participants, intéressés pour s’investir sur des projets concrets. C’est là que naît le projet de PAC, politique agricole communale avec six thèmes. D’abord, communiquer positivement sur l’agriculture. Il est temps de favoriser les rencontres entre agriculteurs et habitants pour tenter de faire évoluer les représentations. Puis, favoriser la transmission et l’installation des exploitations en lien avec Cap 44, Construire une agriculture paysanne, performante et plurielle. Des « cafés installation » voient le jour, un répertoire des départs prévus dans les années prochaines est régulièrement actualisé. On parle aussi d’une fête du patrimoine agricole au moment des Journées européennes du patrimoine. Il s’agit ensuite de sauvegarder le foncier agricole sur le territoire communal. A partir de l’outil de la Safer Vigiefoncier.fr, les élus se tiennent régulièrement informés de tous les mouvements et projets de vente de biens sur le territoire.
Nous pouvons ainsi voir si la vente est opportune ou non, si elle est en phase avec notre PAC, si la terre ne peut pas être attribuée à un porteur de projet qui souhaite s’installer. En cas de désaccord, nous pouvons préempter et bloquer la vente. Grâce à cette nouvelle dynamique, nous avons ainsi installé 25 personnes sur les trois dernières années pour 25 départs. C’est un travail difficile qui exige beaucoup de diplomatie.
Il est aussi question de développer une alimentation de qualité. La commune crée une régie et peut ainsi acheter directement les matières premières pour les 450 repas servis par jour à la cantine avec désormais 55 % de produits bio et 70 % de produits locaux. Une réflexion est en cours pour imaginer d’autres usages comme des repas pour le personnel ou pour les personnes en difficulté, le portage de repas à domicile, la création d’un magasin de producteurs de la commune. Il s’agit de développer la biodiversité avec la mise en place d’un inventaire bocager sur la commune, avec le syndicat du bassin versant Chère-Don-Isac. Il s’agit enfin, de promouvoir une agriculture durable, viable et économe, développer l’agriculture biologique et préserver les races animales locales. Déjà, 50 % des terres de la commune sont cultivées en bio. Pour cela, Plessé a reçu en 2022 le label Territoire bio engagé, délivré par l’association interprofessionnelle Interbio Pays de la Loire.

Un essaimage sur 31 communes du pays de Redon

L’engagement se poursuit. Rémi est aussi élu vice-président de Redon agglomération. Ses idées peuvent désormais essaimer sur les trente-et-une communes du territoire, réparties sur les trois départements et les deux régions de Bretagne et des Pays de la Loire. Il a en charge entre autres, aux côtés des équipes techniques, le Plan climat énergie territorial et le Projet agricole et alimentaire territorial qui rassemble, dans son deuxième niveau pour les trois prochaines années, quelque soixante acteurs du pays de Redon, engagés dans cette transition écologique, l’installation et la transmission des exploitations agricoles, l’accessibilité à une alimentation de qualité et de proximité, le respect des ressources naturelles du territoire.
On ne se rend pas compte tout de suite de toutes les possibilités qui s’offrent à nous dès que l’on est élu. Il est pourtant possible d’apporter des réponses de proximité et d’initier de nombreuses actions sans attendre l’intervention de l’Etat, de la Région, du département ou des chambres départementales d’agriculture. C’est notre devoir, en tant que collectivité, d’apporter des réponses aux préoccupations des habitants pour vivre mieux demain. La démocratie est encore là dans notre pays et il y a de belles choses à faire sans attendre qu’on les pense pour nous. 

Pour aller plus loin
La Ferme de Lancé sollicite l’épargne citoyenne « Un camembert élevé en plein-air » pour acquérir 8 hectares de foncier agricole afin d’y implanter une prairie de longue durée pour le pâturage des génisses et ainsi, sécuriser l’activité. Les dons se font avec contrepartie (camemberts, visites de la ferme, mini formation à la fromagerie…) Cagnotte en ligne sur la plateforme Mimosa.

Une Journée portes-ouvertes est organisée à la ferme de Lancé à Plessé, le samedi 29 juin, de 14h à 18h : visite de la ferme et de son environnement, découverte de la fabrication du camembert et dégustation, animations… Contact : fermedelance@gmail.com

Vous avez dit Monotraite ?
Rémi Beslé répond : "Comme son nom l’indique, la monotraite veut dire une traite par jour. L’avantage c’est de ne traire qu’une fois par jour, le matin et de ne pas revenir le soir. L’autre atout que l’on voit aussi maintenant, c’est une qualité du lait indéniable pour la transformation fromagère. Le lait est hyper concentré et les rendements fromagers sont exceptionnels. Et pour aller jusqu’au bout de la chaine, on arrive sur un camembert de belle tenue !"
 
Vous avez dit coupure hivernale ?
Rémi Beslé répond : "La coupure hivernale se fait très naturellement. C’est une choix d’organisation et de rythme de travail. Techniquement,  nous devons mettre au tarissement (repos de traite) les vaches pendant deux mois avant les vêlages. J’ai donc choisi de mettre toutes mes vaches au tarissement en même temps. Pour faciliter ce choix, je suis parti sur la monte naturelle (achat de deux taureaux). Les taureaux rejoignent les vaches à partir du 20 mai pour des vêlages de fin février à fin mars. Cette période de vêlage est propice à la valorisation du pâturage de printemps. Par ce système, je valorise au maximum l’herbe broutée de mars à novembre. C’est moins de stock et donc une économie réalisée."
 
 

Rachel Perez et Rémi Beslé, tous deux associés de la Ferme de Lancé à Plessé, éleveurs et producteurs de camembert.


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