Il est 19h, place Gambetta, un quartier animé de l'est parisien. Roger Yoba ne fait pas un pas sans être sollicité. Ici, tout le monde connait son engagement dans la vie de l'arrondissement. Ce chemin vers le foyer des migrants, il le fait régulièrement depuis plus de 20 ans.
À 60 ans, ce Camerounais charismatique continue de se battre pour le droit des étrangers, il les épaule dans leurs démarches administratives, tente d'améliorer leur quotidien. Ces hommes, ces oubliés, sont venus d'Afrique pour travailler en France, des immigrés aujourd'hui perdus dans les plis de notre République. Roger se fait le relais de ces précaires, car pour avoir vécu cette même misère sociale, il sait que toute aide est la bienvenue.
Depuis une dizaine d'années, il mène un combat devant les élus parisiens pour que ces hommes existent aux yeux de la France. Car ils n'existent même pas devant les urnes ; aucun d'entre eux ne pourra voter aux municipales. Roger se bat pourtant pour obtenir leur droit de voter aux élections locales, lui qui a passé 35 ans sur le sol français, et n'a jamais possédé de carte d'électeur. Les paroles ne lui suffisent plus. Il concède que le contexte politique ne facilite pas les choses mais il est temps d'acter la promesse faite par Mitterrand en 1981.
Depuis une dizaine d'années, il mène un combat devant les élus parisiens pour que ces hommes existent aux yeux de la France. Car ils n'existent même pas devant les urnes ; aucun d'entre eux ne pourra voter aux municipales. Roger se bat pourtant pour obtenir leur droit de voter aux élections locales, lui qui a passé 35 ans sur le sol français, et n'a jamais possédé de carte d'électeur. Les paroles ne lui suffisent plus. Il concède que le contexte politique ne facilite pas les choses mais il est temps d'acter la promesse faite par Mitterrand en 1981.
Un sujet de palabres au foyer
Rue du Retrait, on entre dans le foyer par une petit porte discrète. Et comme tous les soirs, le hall d'entrée est transformé en petit marché de quartier. Chacun s'affaire derrière son étal de fruits ou de cigarettes. Ici, on vend au détail. On dépanne. On fait de petites affaires pour quelques euros. Mais surtout, on se retrouve ensemble pour palabrer.
Roger Yoba est ici chez lui. Il connait le moindre recoin de ce navire échoué, construit au début des années 70 : « Ici, il n'y a que 280 places disponibles. Mais, ils sont près d'un millier à y vivre. Tout le monde doit déménager à la fin de l'année... on a décidé de démolir et de construire du neuf. La nuit tombée, les chambres, les couloirs, les paliers d'escaliers, y'a plus une place pour poser un pied sans marcher sur le matelas de quelqu'un. »
Roger Yoba est ici chez lui. Il connait le moindre recoin de ce navire échoué, construit au début des années 70 : « Ici, il n'y a que 280 places disponibles. Mais, ils sont près d'un millier à y vivre. Tout le monde doit déménager à la fin de l'année... on a décidé de démolir et de construire du neuf. La nuit tombée, les chambres, les couloirs, les paliers d'escaliers, y'a plus une place pour poser un pied sans marcher sur le matelas de quelqu'un. »
Les conditions sanitaires sont ici plus qu'insuffisantes, les normes de sécurité inexistantes, mais personne ne s'en soucie. Ces étrangers sont les invisibles de la République : « À partir du moment où on ne peut pas s'exprimer, on n'est pas pris en compte. Sont-ils des citoyens à part entière ou des citoyens entièrement à part ? »
Au Cameroun, un « enfant terrible »
Royer Yoba a toujours été un rebelle. Né dans le quartier commerçant de Mokolo, à Yaoundé, en 1953, il a grandi à Bantouri, une ville frontalière entre le Cameroun et la Centrafrique. Il lit beaucoup et la découverte de « Black boy », le roman de de Richard Wright qui raconte l'histoire d'un petit garçon noir dans le sud des États-Unis au début des années 1900, est une révélation. Il prend alors conscience qu'il est important de se battre pour ses droits.
Après un bac littéraire, il entame des études de sociologie. Étudiant à l'université de Yaoundé, il milite et mobilise ses camarades contre les injustices. Des bourses d'études au port du costume obligatoire, il est de tous les fronts. « Je refusais de porter le costume. Je mettais un boubou pour aller à la fac car le costume, c'est l'acculturation . »
Son caractère frondeur agace et on lui fait comprendre qu'il est temps d'arrêter « ses conneries » : « Je suis un enfant terrible, mais avec mon père, j'ai une sorte d'immunité car il est le fils d'un grand chef d'ethnie. »
L'École Louis Lumière, la Sorbonne, un DEA de cinéma...
Roger songe à quitter le Cameroun : « Il est peut être temps d'aller prendre l'air », se dit-il. Et justement, à cette période, le ministère de la Coopération recrute sur concours des futurs chargés de production qui seront formés à l'Institut National de l'Audiovisuel (INA), à Paris. Roger saute sur cette occasion, et obtient le concours : « J'y vais la fleur au fusil. Je m'en sors bien, et je suis reçu ! » Un succès pour le moins incroyable : Roger n'a jamais vu un poste de télévision de sa vie.
Le 11 mars 1978, son avion atterrit à Roissy. L'étudiant camerounais s'installe dans un foyer de travailleurs étrangers à Issy-les-Moulineaux, au sud de Paris. Il vit de petits boulots, suit les cours de Louis Lumière, la prestigieuse école de cinéma, poursuit sa formation à l'INA, puis à la Sorbonne. Il obtient un Diplôme d’Études Approfondies (DEA) de Cinéma, et entame une thèse sur l'holographie, qu'il sera contraint d'abandonner, car sa bourse lui est refusée.
Au service de ses « frères »
Nous sommes en mai 1981, et la France passe à gauche. Roger profite de « la grande régularisation » de Mitterrand pour renouveler sa carte de séjour de travailleur pour trois nouvelles années.
En 1982, il trouve un emploi au musée Picasso, dont il devient le responsable du service audiovisuel. Sa situation se stabilise : « Je ne suis plus en transit. Je prends racine un peu plus et je prends surtout conscience que je suis à part. » Domicilié dans le quartier Bastille, il n'oublie pas ses « frères » et devient bénévole dans les foyers pour alphabétiser, rédiger les courriers et aider les immigrés dans leurs difficultés avec l'administration française. Il les aide aussi à se loger, travaille en collaboration avec le Gisti, le Groupe d'Information et de soutien des immigrés.
Droit au logement : six mois de prison...
Au printemps 1995, il tente d'installer trois familles immigrées dans une petite maison abandonnée, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris. Il force l'entrée du lieu et permet à ces personnes de ne pas passer une nuit de plus dehors. Roger Yoba est dénoncé par un voisin, qui appelle la police. Les forces de l'ordre l'interpellent pour destruction de biens publics en réunion. Il est placé en garde-en-vue et jugé en comparution immédiate, il écope de six mois de prison ferme et d'une interdiction de territoire de 10 ans.
Dès sa sortie de prison, Roger Yoba se retrouve devant le tribunal administratif pour son avis d'expulsion. Il assure lui-même sa défense et signale au Président un vice de procédure, qui invalide la décision du tribunal : les policiers ont oublié de signer le procès-verbal. Roger est libre, sur le territoire français.
Mais, sous la pression du ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, l'administration refuse de lui rendre son titre de séjour et lui délivre une convocation, qui lui sert de sauf-conduit, à renouveler tous les trois mois. Roger Yoba est à nouveau sans papiers, il plonge dans la misère sociale, la survie. Il vit avec sa compagne dans un hôtel modeste. Cependant, en devenant le papa d'une petite fille française, car née sur le sol français, Roger ne peut plus être expulsé du territoire. En septembre 2000, c'est la fin d'une longue période de sursis.
Au foyer : « Si les gens ne votent pas, ils n'existent pas »
« Il faudrait que les gens n'aient pas peur des autres, des étrangers. Peur de nous. »
21 h, rue du Retrait, les migrants commencent à installer les matelas pour la nuit. Au sous-sol du foyer, derrière sa machine à coudre, Monsieur Ba finit de raccommoder un manteau. L'atelier de retouche, c'est un lieu de vie, un peu comme l'arbre à palabre du foyer. Et on y parle une fois de plus, en cette période de municipales, du droit de vote.
Arrivé en France en 1979, Monsieur Ba ne comprend pas que les gouvernements le leur refusent : « J'ai des enfants français, je parle français, je ne connais que ce pays. Mon pays, c'est la France ! Et on me refuse le droit de vote. Je ne suis pas un Français de côté, je le suis à 100 %. » « Pour qu'on nous accorde le droit de vote, répond Monsieur Sylla, il faudrait que les gens n'aient pas peur. Peur des autres, des étrangers. Peur de nous. C'est aberrant pour un pays, père de la démocratie, de nous exclure comme ça. »
Monsieur Sylla est professeur de maths et natif de Guinée. Sans papiers, il vit de petits boulots et de l'entraide des anciens du foyer depuis son arrivée en 1986. Il reste impuissant face à la complexité des procédures administratives. Le vote, souligne-t-il, est surtout un moyen de dire à la société : « Je suis là et vous devez compter avec moi. À partir du moment où les gens ne votent pas, ils n'existent pas réellement. »
Un droit valeur d'exemple pour les jeunes
Leurs propos, c'est tout le sens du combat de Roger Yoba. Sur le droit de vote mais pas seulement : il assure aussi le lien entre les équipes du maire de Paris et les six foyers du 20ᵉ arrondissement ; il siège à l'ACPE, l'Assemblée des Citoyens Parisiens Extra-communautaire, une instance de démocratie participative qui permet aux étrangers de chaque arrondissement de s'impliquer dans la vie locale.
« On parle de la citoyenneté de résidence, de dialogue, poursuit Roger, on encourage les parents à aller dans les écoles pour éviter que les gens se replient sur eux-mêmes mais on ne veut pas accorder le droit de vote au niveau local, on parle d'intégration mais il n'y a pas de vraie politique d'intégration. » Autoriser les migrants à voter, cela signifierait les intégrer à part entière dans la société française.
Roger Yoba ne se décourage pas. Pour lui, il faut continuer à informer. Car il ne s'agit pas seulement de déposer un bulletin dans l'urne. Le droit de vote des étrangers aurait valeur d'exemple pour les jeunes générations qui, elles, sont françaises, et se tournent vers l'abstention. « À partir du moment où un gamin n'a jamais vu son père voter, il ne voit pas pourquoi il irait. » Le 23 mars, Roger ne pourra encore pas voter. « Ça fait 30 ans que j'attends alors je ne suis plus à ça près. Mais pour les plus jeunes, il faut le faire. »
Stéphane Huonnic
Stéphane Huonnic
Le droit de vote des étrangers, une promesse depuis 1981
Selon les chiffres de l'INSEE en décembre dernier, 44 millions de français sont inscrits sur les listes électorales. Plus de la moitié de la population française, à laquelle il convient d'ajouter des milliers de résidents étrangers, nés dans un pays membre de l'Union européenne. En effet, depuis 1998, ils peuvent eux aussi voter aux élections locales de leur pays de résidence, en vertu du Traité de Maastricht.
Selon les chiffres de l'INSEE en décembre dernier, 44 millions de français sont inscrits sur les listes électorales. Plus de la moitié de la population française, à laquelle il convient d'ajouter des milliers de résidents étrangers, nés dans un pays membre de l'Union européenne. En effet, depuis 1998, ils peuvent eux aussi voter aux élections locales de leur pays de résidence, en vertu du Traité de Maastricht.
Mais, pas d'isoloir pour les Sénégalais, Maliens, Algériens et autres étrangers. Ils ne peuvent toujours pas choisir leur maire malgré la promesse du candidat Hollande. Une promesse que François Mitterrand avait déjà inscrite au programme de son premier septennat en 1981.
Interrogé le 2 mars dernier, Robert Badinter soutenait l'idée que ce droit de vote soit acté une fois pour toutes dans la Constitution : « Je considère que c’est presque un déni de droit ; dès l’instant où ils sont là, dès l’instant où ils sont, bien entendu, en séjour régulier, dès l’instant où ils acquittent leurs impôts depuis un certain nombre d’années dans les lieux où ils vivent… ils doivent participer à l’exercice de la désignation des représentants qui exercent la gestion municipale. Ils y vivent ! »
La proposition de loi sur le droit de vote des étrangers a déjà un long parcours parlementaire. Le texte a été proposé, ratifié une première fois par l'Assemblée, puis quelques années plus tard par le Sénat. Mais il n'a encore jamais réussi à franchir toutes les étapes législatives. Et pour cause. Il faut une révision constitutionnelle, ce qui veut dire une majorité des 3/5ᵉ au Congrès (députés et sénateurs réunis) ou un référendum : même si un sondage récent donne 54% d'opinions favorables, c'est un pari risqué pour le gouvernement en cas de désaveu...
Voir aussi la campagne Droit de vote dès 2014 soutenue par plus de 160 organisations
Et les 11 questions-réponses de la Ligue des Droits de l'Homme.
Voir aussi la campagne Droit de vote dès 2014 soutenue par plus de 160 organisations
Et les 11 questions-réponses de la Ligue des Droits de l'Homme.
Production : LCP Assemblée nationale / Point du Jour