Un rayon de soleil joue sur la masse de cheveux poivre et sel de Conceiçâo Evaristo. Ses yeux s'animent lorsque la famille et les amis de la favela s'invitent à la discussion. Les mots, toujours les mots, les leurs et les siens entremêlés : « Je ne suis pas née entourée de livres, j'insiste. C'est dans le temps et l'espace que j'ai appris depuis l'enfance à cueillir les mots. Notre maison était dénuée de biens matériels mais habitée par les mots. Ma mère et ma tante étaient de grandes conteuses, mon vieil oncle était un grand conteur, nos voisins et amis contaient et racontaient des histoires. Chez nous, tout était raconté, tout était motif de prose-poésie », écrit-elle dans la préface de son premier livre « L'histoire de Poncia », paru en 2003.
Conceição Evaristo est née « de couleur brune » en 1946 dans la favela de Belo Horizonte dans le Minas Gerais. Sa mère, pour lui donner toutes les chances de réussite, l'envoie dans l'école la plus proche du « quartier des belles maisons ». « Dans les étages, c'était là qu'étaient les élèves blancs et riches. Dans les étages du dessous, voire dans le sous-sol, dans la cave, c'était là qu'étudiaient les élèves noirs et pauvres. Il y a un texte que j'ai écrit qui compare la cave de cette école avec la cave du navire négrier. » Elle est bonne élève, toujours la première à lever le doigt pour lire, elle étudie avec passion et finalement « sort de la cave pour monter dans les étages ».
Conceição Evaristo est née « de couleur brune » en 1946 dans la favela de Belo Horizonte dans le Minas Gerais. Sa mère, pour lui donner toutes les chances de réussite, l'envoie dans l'école la plus proche du « quartier des belles maisons ». « Dans les étages, c'était là qu'étaient les élèves blancs et riches. Dans les étages du dessous, voire dans le sous-sol, dans la cave, c'était là qu'étudiaient les élèves noirs et pauvres. Il y a un texte que j'ai écrit qui compare la cave de cette école avec la cave du navire négrier. » Elle est bonne élève, toujours la première à lever le doigt pour lire, elle étudie avec passion et finalement « sort de la cave pour monter dans les étages ».
Prise de conscience
La différence lui arrive alors en pleine figure. « J'ai pris conscience que la vie ne pouvait pas être que cela. Je ne savais où cela allait, je ne savais ce que je pouvais conquérir mais je sentais que cela ne pouvait pas être que cela. »
Les mots de son oncle sèment les premières graines de la révolte. En échange de son service au front pendant la seconde guerre mondiale, il a pu étudier. « C'était un grand poète. C'est lui qui m'a donné mes premières leçons de négritude. »
A la JOC, elle apprend à "Voir, Juger, Agir", leitmotiv du mouvement de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. « Quand des ouvriers faisaient grève, on allait aider les familles. Nous organisions des réunions. On parlait avec eux de la valeur de leur travail. Cette conscientisation, cette révolte, a toujours été paisible parce qu'elle était suivie d'actions. La révolte pour la révolte, j'ai toujours eu conscience qu'elle ne menait pas à grand chose. Je me demande aujourd'hui si le "Voir, Juger, Agir" n'est pas à la base de mon écriture avec une autre définition pour moi : Voir, Juger, Agir, Ecrit-Vie. »
Les mots de son oncle sèment les premières graines de la révolte. En échange de son service au front pendant la seconde guerre mondiale, il a pu étudier. « C'était un grand poète. C'est lui qui m'a donné mes premières leçons de négritude. »
A la JOC, elle apprend à "Voir, Juger, Agir", leitmotiv du mouvement de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. « Quand des ouvriers faisaient grève, on allait aider les familles. Nous organisions des réunions. On parlait avec eux de la valeur de leur travail. Cette conscientisation, cette révolte, a toujours été paisible parce qu'elle était suivie d'actions. La révolte pour la révolte, j'ai toujours eu conscience qu'elle ne menait pas à grand chose. Je me demande aujourd'hui si le "Voir, Juger, Agir" n'est pas à la base de mon écriture avec une autre définition pour moi : Voir, Juger, Agir, Ecrit-Vie. »
L'Ecrit-Vie pour éterniser l'éphémère
Poncia, la petite-fille d'esclave, Tite-Maria qui rêve d'écrire « la parole de son peuple », Isaltina Campo Belo, Natalina, Lia, Shirley et les autres Insoumises, tous les personnages de ses romans font partie d'elle, sont elle : Conceiçâo Evaristo. « Dans la tentative de retisser une trame déchirée par le temps, j'écris... J'ai inventé et confondu Poncia Vicêncio dans les dédales de ma mémoire. »
Elle écrit et mêle son histoire à l'histoire des femmes d'hier et d'aujourd'hui. « Je fais mienne la voix d'autrui, je fais mienne ces histoires. Et dans la quasi-jouissance de l'écoute, je sèche mes yeux - non les miens, mais ceux de celle qui raconte. Et quand une larme mienne se fait plus rapide que le geste de ma main et court sur mon visage, je laisse mes pleurs vivre. » Ses personnages, ancrés dans le temps du passé, vivent dans une fiction conjuguée au présent.
"Banzo, mémoires de la favela", c'est un peu sa biographie, « une histoire individuelle qui recouvre en fait une histoire collective. Ce qui est écrit est vrai et rien n'est vrai mais rien n'est faux. C'est une fiction de la mémoire qui couvre l'espace lacunaire de l'oubli. »
Elle écrit et mêle son histoire à l'histoire des femmes d'hier et d'aujourd'hui. « Je fais mienne la voix d'autrui, je fais mienne ces histoires. Et dans la quasi-jouissance de l'écoute, je sèche mes yeux - non les miens, mais ceux de celle qui raconte. Et quand une larme mienne se fait plus rapide que le geste de ma main et court sur mon visage, je laisse mes pleurs vivre. » Ses personnages, ancrés dans le temps du passé, vivent dans une fiction conjuguée au présent.
"Banzo, mémoires de la favela", c'est un peu sa biographie, « une histoire individuelle qui recouvre en fait une histoire collective. Ce qui est écrit est vrai et rien n'est vrai mais rien n'est faux. C'est une fiction de la mémoire qui couvre l'espace lacunaire de l'oubli. »
Habiter le vide de l'oubli
Quels oublis Conceiçâo Evaristo veut-elle combler par la fiction ? Oubli de l'esclavage dans une société brésilienne qui loue les valeurs du métissage : « Culturellement, le Brésil a cet éloge du métissage. Politiquement, ce métissage ne signifie rien pour les Afro-Brésiliens et les populations autochtones. Ces populations n'ont pas de pouvoir économique, social, politique. Ce beau discours sur le métissage culturel ne signifie rien, ne sert à rien à partir du moment où il n'y a pas de métissage économique. Par exemple, les biens culturels blancs sont à l'université : nous allons étudier les héros blancs, pas les héros noirs ou autochtones. »
Oubli aussi des racines africaines : « L'histoire de ces peuples diasporiques d'Afrique n'existe pas. C'est très difficile et compliqué pour les Afro-Cubains, les Afro-Américains, les Afro-Brésiliens, de savoir de quelle région d'Afrique ils viennent. Au contraire de tous les émigrés italiens qui sont arrivés au Brésil ou à la différence des peuples juifs. »
Pour contrer l'oubli, Conceiçâo Evaristo se réapproprie le mythe comme espace fondateur. « Les mythes sur lesquels je m'appuie font partie prenante du quotidien. Le passé surtout le passé de l'esclavage est encore très présent dans notre mémoire, parce que nous avons entendu beaucoup d'histoires là-dessus. Comme c'est un passé historiquement non résolu, une douleur non résolue, ce passé surgit et resurgit. »
Faire resurgir ce passé dans le présent, ne pas combler les lacunes mais habiter le vide de l'histoire, Conceiçâo Evaristo l'écrit pour donner vie à l'esclave qui n'est jamais entré dans la littérature brésilienne parce qu'esclave. La fiction, affirme-t-elle, avec sa dose d'imagination et sa cohorte d'émotions, ne comble pas les lacunes de l'histoire mais habitent le vide.
Oubli aussi des racines africaines : « L'histoire de ces peuples diasporiques d'Afrique n'existe pas. C'est très difficile et compliqué pour les Afro-Cubains, les Afro-Américains, les Afro-Brésiliens, de savoir de quelle région d'Afrique ils viennent. Au contraire de tous les émigrés italiens qui sont arrivés au Brésil ou à la différence des peuples juifs. »
Pour contrer l'oubli, Conceiçâo Evaristo se réapproprie le mythe comme espace fondateur. « Les mythes sur lesquels je m'appuie font partie prenante du quotidien. Le passé surtout le passé de l'esclavage est encore très présent dans notre mémoire, parce que nous avons entendu beaucoup d'histoires là-dessus. Comme c'est un passé historiquement non résolu, une douleur non résolue, ce passé surgit et resurgit. »
Faire resurgir ce passé dans le présent, ne pas combler les lacunes mais habiter le vide de l'histoire, Conceiçâo Evaristo l'écrit pour donner vie à l'esclave qui n'est jamais entré dans la littérature brésilienne parce qu'esclave. La fiction, affirme-t-elle, avec sa dose d'imagination et sa cohorte d'émotions, ne comble pas les lacunes de l'histoire mais habitent le vide.
Avoir le temps d'écrire
On l'a souvent montrée en exemple la petite fille de la favela, celle qui a étudié, tout en étant domestique, pour devenir institutrice. Celle qui a publié, dans les années 90, "Voix-femmes", considéré aujourd'hui comme un manifeste afro-féminin au Brésil.Celle qui a un doctorat en littérature comparé, obtenu en 2011, à plus de 50 ans. Celle dont on étudie le livre "L'histoire de Poncia" pour passer son baccalauréat dans le Minas Gerais. Celle dont les romans sont traduits en anglais, en espagnol et en français.
« Si tu étudies, si tu travailles dur, tu y arrives... » : elle n'est pas dupe. Ce leitmotiv de la méritocratie qui pointe deux ou trois personnes pour cacher la misère, l'exaspère. Elle est une exception et elle le sait. Aujourd'hui, en retraite de l'enseignement, elle trace ses premiers mots à l'aube, dans le silence du matin. Parfois, elle aime s'asseoir à la table d'un bar et boire une bière. « Ce que j'aimerais aujourd'hui, ce serait de me sortir de mon quotidien et écrire parce que j'ai beaucoup de choses à écrire et je n'ai pas le temps. »
Mais rien ne l'empêchera d'accomplir sa mission : « On attend de la femme noire qu'elle réalise certaines fonctions comme très bien cuisiner, danser, chanter mais jamais écrire. Parfois, on me demande : "Vous chantez ?" Je réponds : "Je ne chante pas, je ne danse pas. J'écris". »
Son écriture parce qu'elle touche tout le monde, les riches, les pauvres, les Noirs, les Blancs... est là « pour faire penser et faire bouger les choses. A chaque fois qu'on victimise un sujet ou un collectif, en fait, on fragilise ce sujet ou cette communauté et on l'empêche d'agir. Ce qu'on a pu voir au cours des siècles, c'est que tous les peuples déportés sont des peuples qui ont travaillé, agi et ont marqué profondément les pays où ils ont été. Je veux faire reconnaître l'apport des peuples déportés à la richesse des pays. »
Marie-Anne Divet
« Si tu étudies, si tu travailles dur, tu y arrives... » : elle n'est pas dupe. Ce leitmotiv de la méritocratie qui pointe deux ou trois personnes pour cacher la misère, l'exaspère. Elle est une exception et elle le sait. Aujourd'hui, en retraite de l'enseignement, elle trace ses premiers mots à l'aube, dans le silence du matin. Parfois, elle aime s'asseoir à la table d'un bar et boire une bière. « Ce que j'aimerais aujourd'hui, ce serait de me sortir de mon quotidien et écrire parce que j'ai beaucoup de choses à écrire et je n'ai pas le temps. »
Mais rien ne l'empêchera d'accomplir sa mission : « On attend de la femme noire qu'elle réalise certaines fonctions comme très bien cuisiner, danser, chanter mais jamais écrire. Parfois, on me demande : "Vous chantez ?" Je réponds : "Je ne chante pas, je ne danse pas. J'écris". »
Son écriture parce qu'elle touche tout le monde, les riches, les pauvres, les Noirs, les Blancs... est là « pour faire penser et faire bouger les choses. A chaque fois qu'on victimise un sujet ou un collectif, en fait, on fragilise ce sujet ou cette communauté et on l'empêche d'agir. Ce qu'on a pu voir au cours des siècles, c'est que tous les peuples déportés sont des peuples qui ont travaillé, agi et ont marqué profondément les pays où ils ont été. Je veux faire reconnaître l'apport des peuples déportés à la richesse des pays. »
Marie-Anne Divet
Banzo, mémoires de la favela
Dans ce roman de 2016 dont on peut découvrir les vingt-neuf premières pages, Conceição Evaristo fait parler ces gens que l’on n’entend jamais, ceux qui sont d’ordinaire « effacés » de l’histoire, tout comme cette favela, rasée. Sous les roues des tracteurs, de nombreux hommes et femmes prennent vie. Au fur et à mesure que sont détruites les bicoques, la narration retrouve ces mémoires enfermées et fragmentées par l’histoire. On y découvre tout un héritage insoupçonné de résistance et, au bout du compte, un désir de vie.
Le deuxième roman de Conceição Evaristo, écrit-racine sur la mémoire de l’esclavage, est aussi un roman témoignage et une chronique sociale sur les Afro-Brésiliens et l’héritage de l’esclavage. Il rappelle à certains aspects Texaco, de Patrick Chamoiseau.
Finaliste du prix Carbet de la Caraïbe 2017.
AUTRES ŒUVRES A DECOUVRIR
Insoumises (roman – mars 2018)
Une poétique de l’afro-brésilianité féminine
13 histoires, 13 destins, 13 femmes dans un portrait magistral de la « sororité noire », la fraternité entre femmes noires.
Fil directeur de ces portraits pleins d’empathie : une narratrice en visite, qui toque aux portes à la recherche d’histoires. Elle rencontre ces femmes qui acceptent de se conter et de se confier, librement, parfois pour la première fois. Et nous découvrons Shirley, Régina, Maria... Leurs rêves, angoisses, sexualités, défis, conquêtes et amours... La résignation ne trouve aucune place dans les vies de ces femmes : elles résistent, insoumises aux pressions et agressions du racisme, du sexisme et des conventions sociales d’une société encore patriarcale.
Dans ce livre, Conceição Evaristo insiste sur la richesse des identités de chaque personnage féminin, et sur la fraternité qui les unit. La narratrice traverse chaque histoire, présente, entière, attentive et sensible aux expériences racontées.
La parole est acte de résistance. La littérature sauve ces femmes de l’oubli.
« Par ses phrases simples et un art consommé de la chute (la marque des grands nouvellistes), la romancière parvient toujours à glisser une note d’espoir entre ses lignes (...) Un magnifique hommage à toutes ces Brésiliennes anonymes... » (L’express, avril 2018)
Je suis encore favela (nouvelles – avril 2018)
Entre fiction et réalité, un recueil pour lire, sentir, appréhender la favela moderne.
Il s’agit du 3e recueil de nouvelles que les éditions Anacaona publient sur la favela (après "Je suis favela" en 2011 et "Je suis toujours favela" en 2014). Ce recueil, titre phare de la maison d’éditions, donne la parole à un collectif de 20 écrivains, issus de la favela ou de la classe moyenne, hommes et femmes, Blancs et Noirs, autour d’une réalité brésilienne – et au final très humaine : exclusion, pauvreté urbaine, mais aussi ambitions et rêves.
Dans ce nouveau recueil, un certain nombre de nouvelles ont été écrites par des habitants de la favela en ateliers d’écriture. Deviendront-ils des écrivains professionnels ? Quoi qu’il en soit, leurs écrits ont la force du témoignage brut.
Conceição Evaristo, avec trois nouvelles, est l’une des principales auteures de « Je suis encore favela ».
Entre fiction et réalité, un recueil pour lire, sentir, appréhender la favela moderne.
Il s’agit du 3e recueil de nouvelles que les éditions Anacaona publient sur la favela (après "Je suis favela" en 2011 et "Je suis toujours favela" en 2014). Ce recueil, titre phare de la maison d’éditions, donne la parole à un collectif de 20 écrivains, issus de la favela ou de la classe moyenne, hommes et femmes, Blancs et Noirs, autour d’une réalité brésilienne – et au final très humaine : exclusion, pauvreté urbaine, mais aussi ambitions et rêves.
Dans ce nouveau recueil, un certain nombre de nouvelles ont été écrites par des habitants de la favela en ateliers d’écriture. Deviendront-ils des écrivains professionnels ? Quoi qu’il en soit, leurs écrits ont la force du témoignage brut.
Conceição Evaristo, avec trois nouvelles, est l’une des principales auteures de « Je suis encore favela ».
L’histoire de Poncia ( roman – 2015 )
Un livre souvent étudié par les universitaires en lien avec « Beloved », de Toni Morrison.
L’histoire d’une descendante d’esclaves de la campagne aux favelas, à la recherche de son identité.
Poncia habite sur les terres de son ancien maître et décide un jour de partir en ville, où elle vient grossir les rangs des favelas. Dépossédée de ses racines et de sa famille, cherchant à retrouver sa mémoire et son identité, elle tombe peu à peu dans une torpeur d’aliénée.
L’histoire de Poncia retrace la vie de nombreuses femmes noires brésiliennes anonymes – leurs douleurs, leurs angoisses, leur solitude. Mais ce qui frappe surtout, c’est leur détermination à vivre et à se reconstruire.
Finaliste du prix Carbet de la Caraïbe 2016.
Un livre souvent étudié par les universitaires en lien avec « Beloved », de Toni Morrison.
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Poncia habite sur les terres de son ancien maître et décide un jour de partir en ville, où elle vient grossir les rangs des favelas. Dépossédée de ses racines et de sa famille, cherchant à retrouver sa mémoire et son identité, elle tombe peu à peu dans une torpeur d’aliénée.
L’histoire de Poncia retrace la vie de nombreuses femmes noires brésiliennes anonymes – leurs douleurs, leurs angoisses, leur solitude. Mais ce qui frappe surtout, c’est leur détermination à vivre et à se reconstruire.
Finaliste du prix Carbet de la Caraïbe 2016.