Livres

Jean Rouaud, Comédie d'automne, Grasset 20 € 90
"Récipiendaire du prix en 1990, pour son roman "Les Champs d'honneur", l'écrivain replonge ses lecteurs dans l'épopée qui a précédé l'obtention du Goncourt. Il était alors kiosquier, et ne s'attendait pas du tout à un tel succès."


Triste comédie

11/09/2023




Bombe littéraire en 1990, le Prix Goncourt est décerné à Jean Rouaud.
Un premier roman comme les Goncourt l’ont imposé dans leur cahier des charges. Mais un Prix qui
reste en travers de la gorge des patentés, zauteurs à succès qui se partagent à trois grands éditeurs le
gâteau des gâteries ! Galligrasseuil comme on le disait est grillé par un inconnu et qui plus est édité
par l’éditeur (prétendu) élitiste : Minuit !
Sans doute est-ce un vœu-pieux de recenser, mot de Rouaud, son dernier livre, sa Comédie
d’automne car l’auteur ne fait qu’y narrer sa fabrique romanesque, expliquer, justifier ce qu’il
raconte mieux que quiconque puisqu’il l’a vécu : son Goncourt.
Ce livre de Jean Rouaud se centre moins sur le livre dont tous reconnaissent l’intérêt tant littéraire
qu’historique que sur son magnum circum, au bout du compte tellement triste. C’est ici le sujet, la
triste comédie où l’auteur est embarqué, comme une paille sur le ruisseau et, s’il le dépasse, c’est
par la littérature, bien sûr !
Lisons donc, c’est du Rouaud !
Si bien écrit y compris lorsqu’il décrit le très décourageant bocal littéraire écartelé par les rapports de
force et de farce.
Que d’argent investi, et tellement d’ego dans la partie. Ego au pluriel s’écrit ergots, non ?
Le comble que cet espace de liberté, l’écriture, secrète une de ces socialités les plus incestuelles,
endogamiques et népotiques ! Bon, on le savait. On le saura.
Bien sûr que l’identification joue d’un bout à l’autre de son récit à ce coup de chance incroyable, un
Goncourt décerné à un premier roman écrit par un kiosquier de la rue de Flandre, au 101, qu’est-ce
donc sinon un coup de bol, une bonne étoile, la baraka ?
Jean Rouaud se souvient comment il vit ce qui se trame sans le vivre, en apnée, n’ayant pas les
codes ! Ce qui se trame est pour lui beaucoup moins important que son histoire, celle du magasin de
Loire-Inférieure tenu par sa mère et de son père voyageur (de commerce). Ah la Loire-Inférieure !
Le département n’existe plus que dans ses livres, donc dans sa tête et celles de tous ceux nés là
jusqu’en 1957 ! Jean dit Jeannot y naît donc, dans l’infériorité des choses au nord du large estuaire
du fleuve royal, en 1952. À Campbon.
Il nous décrit tout de son écriture, ce monde à côté, et comment le percutent avec violence les
usages mondocrétins, germanopratins saturés de querelles et de jalousies et d’un trop plein
d’anecdotes dont on préfèrerait qu’ils nous épargnent ! C’est encore de la littérature d’en critiquer
les ressorts sociaux !

Où l’on découvre donc, triste, on avait prévenu, que le prix de Jean Rouaud, ce coup de chance inouï,
s’avère autant un croc en jambes pour d’autres (Labro le féroce, pas nommé par JR, dit le Favori) et
des instrumentalisations dans tous les sens. On le savait, on le sentait. Rouaud nous impose une
allumette à chaque œil !
La comédie d’automne a pu bouleverser la vie de l’auteur. Un Goncourt incroyable ! Hommage aux
lecteurs, au final, puisque ce sont eux qui ne se sont pas trompés. Les champs d’honneur méritaient
le Goncourt malgré l’éditeur des cultissimes éditions de Minuit, Jérôme Lindon, lequel assumait sans
assumer un roman linéaire, une histoire avec un début et une fin. Il quittait par le roman de Jean
Rouaud ce qu’il avait enchanté et qui l’avait institué, le déconstructivisme littéraire, le Nouveau
Roman et la mort théorisée d’icelui.
Jean Rouaud a ce mérite extraordinaire de l’écriture de soi sans lui. Il reste de biais. Humour, ironie,
phrases blondes et belles formes.
Triste et indispensable auteur d’une éternelle Loire sup et d’une étape décisive dans le retour à la
littérature de sens !
Gilles Cervera

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