09/03/2017

Trois infatigables militantes pour l’émancipation des femmes


À notre arrivée au local du Planning Familial de Saint-Brieuc, Marie-France donne le ton de notre rencontre : elle offre à chacune de nous le timbre que La Poste vient d’éditer pour fêter les 50 ans de la loi Neuwirth. C’est en effet en 1967 que le stéphanois Lucien Neuwirth a fait voter la loi autorisant l’usage de contraceptifs, une loi qui attendra cinq ans pour être appliquée. Marie-France, Anna et Chantal avaient alors la force de leurs 20 ans : depuis, elles n'ont cessé de se battre pour la liberté des femmes. Et ce n'est pas fini.



De gauche à droite, Chantal, Anna et Marie-France
Elles sont trois, trois jeunes femmes de 67 à 73 ans aujourd’hui, qui s’engagent et militent à l’aube de leurs 20 ans pour que les femmes vivent leur corps et leurs choix en conscience et en liberté. Le récit à trois voix que nous allons entendre est celui d’une lutte acharnée et constante pour l’émancipation des femmes. 

Très tôt, Anna Chouat, Marie-France Bommert et Chantal Pousthomis ont conscience qu’il faut aider les femmes victimes des lois qui empêchent toute contraception et avortement. Elles s’engagent spontanément. Il faut se souvenir que la loi de 1920 sévit encore en France : « Elle assimile la contraception à l'avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite. Le crime d'avortement est passible de la cour d'assises. En 1923, l'importation d'articles anticonceptionnels est prohibée. »

Dans la plus totale illégalité

Dès 1965, grâce à une voisine militant au Parti socialiste unifié (PSU), Anna expérimente la pilule. Au début des années 1970, ce sera les commandes de diaphragmes en Angleterre dans des paquets envoyés anonymement que les maris ou amis vont récupérer à la poste. Pour Chantal, ce sera l’action avec le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) créé en avril 1973 dans le but de légaliser l'interruption volontaire de grossesse

Le MLAC agira dans la plus totale illégalité en formant ses membres à la pratique d’avortements par la méthode Karman, dite d'avortement par aspiration. Outre cet acte hautement délictueux, le MLAC organise trois fois par semaine des départs de cars vers la Hollande pour les femmes qui ont dépassé le délai appliqué par le MLAC. 
  
« Au MLAC du 13e arrondissement à Paris, se rappelle Chantal, il y avait pas mal de médecins et d’étudiants en médecine, c’était un milieu trotskiste d’après 1968. On ne se souciait pas de la légalité, ce n’était pas dans l’air du temps d’avoir peur ou de tergiverser ; quand il y avait répression, la mobilisation était forte. Nous faisions les avortements chez les uns et les autres en respectant néanmoins scrupuleusement les règles d’hygiène. Puis à un moment, le MLAC a décidé d’arrêter des avortements pour que les gens se mobilisent pour obtenir la légalisation de l’IVG. »

« Que les femmes soient autonomes, qu’elles s’en sortent, qu’elles combattent ensemble »

Très tôt, toutes trois rejoignent le Planning Familial avec la volonté que résume simplement Marie-France : « On voulait que les femmes soient autonomes et qu’elles s’en sortent, on voulait qu’elles combattent ensemble. » Elles sont de tous les combats : les manifestations à Paris, les distributions d’affiches, les formations, la structuration des antennes locales du Planning Familial, les interventions en binôme dans les écoles, les centres sociaux, les foyers de jeunes travailleurs, sans oublier les permanences pour l’information des femmes qui trouvent ainsi une écoute bienveillante et les informations leur permettant de faire librement des choix.
 
Elles travaillent en même temps. Leur engagement est total et bénévole. Pour les week-ends de formation, elles partent avec les enfants et prennent une baby-sitter pour le groupe, rien ne les arrête tant leur volonté est chevillée au corps. Et le reste aujourd'hui : « Les difficultés rencontrées ont renforcé notre engagement », dit simplement Marie-France.

« Nous avons fait du militantisme politique et associatif »

Création graphique d’Aline Zalko inspirée de l’affiche du Planning Familial 1978 et d’après une photo de Lucien Neuwirth
Grâce à leurs actions militantes et l’engagement de nombreuses femmes et hommes, les lois ont évolué : en 1967 avec le droit à la contraception ; en 1975 avec la loi Veil légalisant l’Interruption volontaire de grossesse ; en 1982 avec la prise en charge par la Sécurité Sociale de l’IVG ; enfin en 2001 avec l’allongement à douze semaines du délai légal pour l’IVG. « Nous nous battions pour la loi Veil, les hommes n’étaient pas forcément pour et ne pensaient pas que c’était un droit fondamental à conquérir », précise Anna.

A Saint-Brieuc, les jeunes militantes mettent en place un accueil collectif. Puis, en 1977,  le Centre de planification est créé : « Nous faisions nos permanences les mercredis et vendredis soir et s’il y avait des femmes qui devaient être prises en charge, on appelait les médecins et ils les prenaient… ils nous ont beaucoup soutenues », souligne Marie-France.

Sur tous les fronts

A la fin des années 70, leur lutte investit le thème des violences faites aux femmes avec l’objectif qu’elles soient reconnues et que les femmes victimes puissent être accompagnées. Elles créent pour elles un foyer d’accueil à Saint-Brieuc. Depuis leur prime jeunesse, elles sont sur tous les fronts. Marie-France sera élue durant trois mandats municipaux ; elles œuvrent sans relâche au Planning Familial ; elles créent le CIDFF (Centre d’Information des Femmes et des Familles)...

Elles sont investies dans plusieurs associations agissant toujours pour l’aide et l’émancipation des femmes et plus largement pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Leur dernière-née est la Maison Départementale des Femmes 22 inaugurée en mars 2015 : elle regroupe seize associations et syndicats militant pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Anna estime « qu’elles ont survécu parce qu’elles ont su rassembler des associations et syndicats autour de valeurs communes ».

Le défi du renouvellement

De tous temps et aujourd’hui encore, elles portent à bout de bras les permanences hebdomadaires du Planning Familial 22 afin que les femmes trouvent toujours à proximité information, conseils et écoute. Elles animent également les informations dans les écoles et participent activement à la vie régionale du Planning.

Elles, qui ont tellement agi, sont presque incrédules de voir arriver à leurs permanences des jeunes filles et femmes qui, à notre époque et malgré tout cet investissement, sont aussi mal informées, qui oublient de prendre leur pilule, etc. Comme le dit Anna, « Nous, c’était tellement important qu’on ne risquait pas d’oublier ! »

En ce début d’année 2017, elles pensent avoir un défi majeur à relever, celui de l’intégration de jeunes femmes pour prendre le relais : « En 50 ans les mentalités ont évolué mais ces droits fondamentaux restent fragiles ; si on rate ce tournant là… on risque de faire un bond en arrière ! »

Alberte et Ilija Skoric

​LE PLANNING FAMILIAL : « FÉMINISTE ET D’ÉDUCATION POPULAIRE »

« Féministe et d’éducation populaire », c’est ainsi que s’affirme Le Planning Familial. Créée en 1956 sous le nom de "La maternité heureuse", l’association réunissait des femmes et des hommes bien décidés à faire changer la loi de 1920 qui interdisait l’avortement, ainsi que l’utilisation et la diffusion de tout moyen contraceptif en France. En 1960, l’association devient le "Mouvement Français pour Le Planning Familial" (MFPF) dit "Le Planning Familial" et adhère à l’International Planned Parenthood Federation (IPPF).

Le Planning Familial est un mouvement militant qui prend en compte toutes les sexualités, défend le droit à la contraception, à l’avortement et à l’éducation à la sexualité. Il dénonce et combat toutes les formes de violences,  lutte contre le SIDA et les IST, contre toutes les formes de discrimination et contre les inégalités sociales.

Alors que la hantise d’une grossesse non prévue inhibait la sexualité des femmes, la conquête de la contraception et du droit à l’avortement ont bouleversé la société toute entière par la possibilité de dissocier "sexualité" et "reproduction". Les femmes ont gagné le droit de choisir d’avoir ou non des enfants et de vivre une sexualité épanouie. Cap fondamental vers leur émancipation et leur implication dans la vie sociale, professionnelle et politique, ce droit n’est pas encore une réalité pour toutes les femmes.

C’est pour une société plus juste, fondée sur l’égalité entre les femmes et les hommes, la mixité et la laïcité que Le Planning Familial inscrit son action.
 
150 lieux d’information et 29 centres de planification
 
Femmes, hommes, jeunes et moins jeunes peuvent venir parler de toutes questions concernant la sexualité, la contraception, l'interruption de grossesse, les IST, le sida, les violences... Des lieux de paroles où les personnes se rencontrent, se co-forment, analysent les contraintes imposées par la norme sociale de domination du masculin sur le féminin. Les centres de planification offrent des consultations médicales où les mineurs-es peuvent, en outre, se procurer gratuitement une contraception.


Dans la même rubrique