Nous avons marché d’abord. La petite commune de Saint-Ganton, non loin de Redon, s’agrippe à flanc de coteau et a des allures de village de montagne. Passées les dernières maisons, construites avec la roche du sous-sol, nous voici devant une vigne. Yves, âgé de 70 ans, l’a plantée en 2013. Trois ans plus tard, il récoltait déjà 70 litres de jus. Belle à souhait, elle croûle sous les grappes qui cette année, n’ont pu être cueillies.
Sa compagne, Marie-Paule, est originaire de Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine. Lui, est un enfant du Gers :
« Les variations du climat ont fait pourrir le grain et ont généré des maladies. Il nous faudra attendre patiemment l’année prochaine… »
Sa compagne, Marie-Paule, est originaire de Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine. Lui, est un enfant du Gers :
« J’ai passé toute ma jeunesse à Fleurance. J’y ai toujours de nombreuses attaches et j’entretiens là-bas, un véritable arboretum sur un terrain de trois hectares. A l’âge de la retraite, nous avons tous les deux joué à pile ou face pour savoir où nous allions vivre. Et c’est ma femme qui a gagné ! »
Au lieu-dit La Vigne, comme les moines du Moyen-Age !
La vigne s’est enracinée dans le terreau breton, au lieu-dit La Vigne, l’endroit même où les moines de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon la cultivait déjà au XIe siècle comme l’atteste une charte du cartulaire moyenâgeux. Ce sont quelque trois cents plants qui s’épanouissent là, produisant un vin de Sauvignon blanc et de Pinot noir, non loin d’une quinzaine de ruches. Yves et sa compagne apprécient la convivialité et expérimentent de nouvelles pratiques, suggérées par le réchauffement climatique. Mais à y regarder de plus près, sa vigne ne ressemble à aucune autre. Arbres et arbustes fleuris s’entrelacent au beau milieu des ceps, dans un compagnonnage végétal riche d’insectes et de biodiversité. A contresens de toutes les techniques de production ! Car le jardinier apiculteur a entendu le cri de détresse des abeilles et des insectes…
Une vocation d’essayiste et déjà trois ouvrages
Yves Darricau est ingénieur agronome, diplômé en 1977 de l’Institut national agronomique AgroParisTech. Pendant plusieurs années, il sillonne le monde comme consultant international et conseiller dans divers programmes internationaux européens dans l’agro-industrie, en Amérique latine ou au sein d’agences des Nations unies. Il est aussi botaniste, apiculteur, formé en 2000 par la Société centrale d’apiculture du jardin du Luxembourg à Paris et surtout… infatigable planteur d’arbres.
En 2018, il publie un premier ouvrage, « Planter des arbres pour les abeilles ». L’ouvrage d’api-foresterie, qui s’adresse davantage à un public de spécialistes, décrit une quarantaine de variétés mellifères, classées par périodes de floraison. Il met alors l’accent sur la nécessité d’un échelonnement des ressources tout au long de l’année. Puis l’année suivante, cette fois avec sa fille Léa, agronome également et diplômée en œnologie, il publie un deuxième ouvrage, « La Vigne et ses plantes compagnes ». Tous deux souhaitent montrer comment « la spécialisation des terroirs, à la suite de la crise du phylloxera, a simplifié les paysages ». Pour restaurer la biodiversité et faire face au changement climatique, les deux agronomes proposent des pistes d’action pour développer ce qu’ils nomment, une « viti-agroforesterie ».
Des arbres pour le futur et les générations à venir
En 2022, il écrit « Des arbres pour le futur : mémento du planteur pour 2050 ». L’ouvrage se lit comme une histoire. Celle des arbres et de ce qui nous lie à eux depuis l’apparition de l’humanité. Il préconise une palette végétale de plus de cinquante espèces végétales, propres à enrichir et embellir nos paysages, « des plantes usuelles parfois sous-utilisées, des créations horticoles à riches potentialités et de récentes introduites à acclimater sans hésiter. » Il ose, contre les propos d’écologues contestant l’acclimatation d’espèces exotiques dans les campagnes, l’alliance entre préservation de la biodiversité, acclimatation et innovation variétale.
En 2018, il publie un premier ouvrage, « Planter des arbres pour les abeilles ». L’ouvrage d’api-foresterie, qui s’adresse davantage à un public de spécialistes, décrit une quarantaine de variétés mellifères, classées par périodes de floraison. Il met alors l’accent sur la nécessité d’un échelonnement des ressources tout au long de l’année. Puis l’année suivante, cette fois avec sa fille Léa, agronome également et diplômée en œnologie, il publie un deuxième ouvrage, « La Vigne et ses plantes compagnes ». Tous deux souhaitent montrer comment « la spécialisation des terroirs, à la suite de la crise du phylloxera, a simplifié les paysages ». Pour restaurer la biodiversité et faire face au changement climatique, les deux agronomes proposent des pistes d’action pour développer ce qu’ils nomment, une « viti-agroforesterie ».
Des arbres pour le futur et les générations à venir
En 2022, il écrit « Des arbres pour le futur : mémento du planteur pour 2050 ». L’ouvrage se lit comme une histoire. Celle des arbres et de ce qui nous lie à eux depuis l’apparition de l’humanité. Il préconise une palette végétale de plus de cinquante espèces végétales, propres à enrichir et embellir nos paysages, « des plantes usuelles parfois sous-utilisées, des créations horticoles à riches potentialités et de récentes introduites à acclimater sans hésiter. » Il ose, contre les propos d’écologues contestant l’acclimatation d’espèces exotiques dans les campagnes, l’alliance entre préservation de la biodiversité, acclimatation et innovation variétale.
« L’être humain a toujours introduit et sélectionné des espèces, et ce depuis la dernière glaciation qui a laissé derrière elle, sur l’actuel continent européen, un paysage de steppe, lentement recolonisé par des arbres qui avaient trouvé refuge sur le pourtour méditerranéen. Les arbres sont revenus avec le vent, les animaux, mais surtout ils sont revenus avec nous. »
Le réchauffement climatique bouleverse nos paysages
Des arbouses méditerranéennes en pays de Redon pour le plus grand bonheur des insectes.
L’observation et l’expérimentation ont fondé chez Yves Darricau, deux certitudes. La première est que réchauffement climatique et chute de la biodiversité sont intimement liés. C’est donc en améliorant au mieux les ressources florales et végétales que l’on obtiendra une meilleure biodiversité.
Par ailleurs, du fait du réchauffement climatique, on assiste à un changement de végétation et à une accélération des cycles végétaux avec une végétation tempérée, qui n’est pas habituée aux variations ni aux excès. L’Inra a ainsi estimé que dans à peine un siècle, le chêne-vert aura disparu de la région méditerranéenne, pour se plaire en Bretagne si on lui permet de monter. Le hêtre est voué à disparaître de Bretagne, sauf dans quelques zones bien arrosées tout comme le châtaignier qui souffre de maladies dévastatrices.
« Le réchauffement climatique avance les floraisons d’environ un mois. 60 à 75 % des ressources alimentaires florales ne se trouvent plus que durant les quatre premiers mois de l’année au lieu de cinq auparavant. Ce qui signifie 15 % de ressources en moins. Or, elles sont la base de l’alimentation des oiseaux, insectes et mammifères qui dépendent des fleurs. On a perdu un mois de floraison avec seulement une augmentation de la température de 1,2°en moyenne. Avec le réchauffement, les abeilles et plusieurs insectes sortent de plus en plus tôt. Ils ne sont plus phasés par rapport aux ressources florales. »
Par ailleurs, du fait du réchauffement climatique, on assiste à un changement de végétation et à une accélération des cycles végétaux avec une végétation tempérée, qui n’est pas habituée aux variations ni aux excès. L’Inra a ainsi estimé que dans à peine un siècle, le chêne-vert aura disparu de la région méditerranéenne, pour se plaire en Bretagne si on lui permet de monter. Le hêtre est voué à disparaître de Bretagne, sauf dans quelques zones bien arrosées tout comme le châtaignier qui souffre de maladies dévastatrices.
« Notre paysage est donc en rupture avec des arbres mal à l’aise, plus chétifs, moins productifs, plus sensibles aux maladies. Nos pratiques paysagères, depuis les années 1950, ont fortement laminé les flores en France. En pays de Redon, les bosquets de châtaigniers et de chênes sont devenus des bosquets de pins, les forêts sont devenues des monocultures, très peu intéressantes en ressources florales. De juin à septembre, on a un désert floral quasi généralisé. Mais l’aspect positif, c’est que d’autres espèces vont se plaire à condition de les amener et les planter dès maintenant. »
Un défi : conserver, enrichir ou complémenter la flore
Pour Yves Darricau, résolument positif, la question devant nous est simple : ou bien, on conserve l’existant et on le regarde s’effondrer peu à peu, avec une biodiversité qui va progressivement migrer vers le nord. Ou bien, on commence dès à présent à enrichir et à planter des végétaux aptes à supporter un climat plus chaud et plus sec, aptes à remplir le trou de floraison pour nourrir plus d’insectes, de butineurs, d’oiseaux… plus de vie. Et c’est l’option qu’il a choisie en plantant tout ce qu’il trouve, en choisissant des végétaux qui vont produire du nectar et du pollen en quantité et en qualité. Yves cherche, inventorie, compare, sillonne la France, tente des plantations improbables, sollicite de Perpignan à Amiens, son réseau de pépiniéristes et jardiniers pour sélectionner les végétaux qui, de manière astucieuse, supportent les changements climatiques.
En déambulant entre les haies plantées et entretenues par Yves à Saint-Ganton depuis une dizaine d’années, on découvre un eden fleuri, parfumé et vivant, condensé de terroirs de France et du monde, réserve de pollen, nectar et autre succulent casse-croûte pour quantité d’insectes.
En déambulant entre les haies plantées et entretenues par Yves à Saint-Ganton depuis une dizaine d’années, on découvre un eden fleuri, parfumé et vivant, condensé de terroirs de France et du monde, réserve de pollen, nectar et autre succulent casse-croûte pour quantité d’insectes.
« Je ne cesse de planter des végétaux, du sud de la France mais aussi de plus loin, d’autres zones tempérées, du Caucase, d’Amérique du sud, de Chine… Des végétaux qui ont connu dans leur histoire des événements climatiques similaires et qui se sont déjà adaptés. Pas question de remplacer nos végétaux mais bien de compléter les floraisons et de s’intégrer au mieux à notre environnement. Il y a un mot que j’aime bien, c’est « complémenter ». Il faut y penser maintenant dès qu’on plante une haie, un sous-bois forestier, une parcelle d’agrément…
L’offre en pépinière est commandée par la demande traditionnelle, une offre orientée vers des pratiques horticoles de l’époque d’avant. Il faut donc que les professionnels basculent et proposent une autre offre de végétaux (*). Il faut aussi faire évoluer cette tradition française qui incite à planter des variétés locales. Oui les végétaux locaux sont adaptés mais adaptés au climat d’avant ! C’est un leitmotiv devenu aujourd’hui contre-productif avec une offre de végétaux peu prospective puisque nous sommes en train de basculer vers un climat plus chaud et sec. Il faut donc planter vite dans l’idée d’une « haute contribution environnementale ».
POUR ALLER PLUS LOIN...
(*) Selon Yves Darricau, une pépinière sort du lot et propose à la vente des variétés de plantes différentes de l'offre traditionnelle, aptes à résister aux changements climatiques, celle gérée par l'association Notre Avenir à Bain-de-Bretagne qui accompagne des personnes en situation de handicap. Site : CAT Pépinière Notre Avenir.
LIVRES D'YVES DARRICAU Planter des arbres pour les abeilles (Terran, 2018, 19 €) avec sa fille Léa Darricau, La vigne et ses plantes compagnes (Rouergue, 2019, 31,50 €). Des arbres pour le futur : mémento du planteur pour 2050. Une histoire des arbres en Europe occidentale, de la dernière glaciation aux débuts du compagnonnage avec l'homme en passant par les figures des grands botanistes aventuriers. L'auteur suggère une cinquantaine d'espèces à planter pour 2050 afin d'enrichir et d'embellir les paysages (ed. du Rouergue, 35 €, 2022).