Petit cours de covoiturage 2.0
Avant d’entrer dans le débat et pour s’assurer de sa compréhension par mes amis lecteurs profanes, mobilisons d’abord ma courte mais intense expérience du covoiturage 2.0*.
Voilà déjà longtemps que la capacité des jeunes de mon entourage à voyager loin et beaucoup par covoiturage m’interpelle. Plusieurs m’ont demandé pourquoi je ne pensais pas à offrir des places lors de mes nombreux déplacements professionnels ou personnels. Oui mais comment faire ? Je ne fais pas de déplacements réguliers ou programmés longtemps à l’avance. Et puis, disons le, la solitude du conducteur de fond, ne me déplait pas.
L’occasion m’est venue il y a un mois. Je devais faire un aller retour, seul, sur trois jours, dans le sud de la France, obligatoirement en voiture. « Et si, pour éviter la fatigue d’un long trajet, je trouvais un ou deux passagers avec lesquels partager le volant ? »
Google m’indique, en tête de liste, le site BlaBlacar (ex covoiturage.fr). Ouvrir un compte, remplir mes références bancaires, établir l’annonce de mes trajets, ajuster un prix (sous les conseils du site). Tout est fait rapidement et simplement.
Mais j’ai un doute : mon départ est fixé dans quatre jours. Je m’y prends certainement trop tard. Effectivement rien jusqu’à la veille du départ. Et puis tout s’accélère. Première réservation, seconde, troisième. Carnet plein en moins d’une heure et premiers mails ou SMS suivis d’échanges téléphoniques pour convenir plus précisément des rendez-vous. Le jour J à l’heure H la voiture est remplie et les premiers « blablas » (conversation en langage BlablaCar) me connectent avec les trois jeunes passagers (une fille, deux garçons). Seul bémol à la clé, deux n’ont pas le permis et le dernier est trop débutant pour ma compagnie d’assurance. Je conduirai donc tout au long des 800 km, mais resterai bien éveillé tant la conversation est joyeuse et intéressante.
Mes cinq autres trajets se dérouleront à l’identique. Enthousiaste tel un récent converti, j’avais donc toutes les raisons de recommander le service impeccable et très professionnel de BlablaCar. Toutes ! Pas tout à fait, car un sujet de conversation est revenu presque à chaque trajet : la transformation il y a un an de covoiturage.fr, jusque là gratuit, en service payant, sous l’enseigne BlablaCar.
Au début c’était gratuit !
L’alerte est venue lors du contact téléphonique avec ma première passagère inscrite. Une fois définis l’heure et le lieu de départ précis, elle me demande : « Pouvez-vous annuler votre offre sur le site ? Je vous paierai directement, cela m’évitera de règler la commission dont le montant est abusif »(en fait 7% du prix fixé par le conducteur). Je suis étonné de cette demande et lui explique que cela ne me semble pas correcte. « Le site nous rend un service et c’est normal de le payer. J’ajoutais : « Si vous avez une difficulté à payer le montant du déplacement je veux bien baisser mon prix et prendre à ma charge la commission, je vous reverserai la différence. ».
Ainsi l’entrée en matière étant faite la veille du départ, après les présentations d’usage, le débat s’engage rapidement avec mes compagnons de route. Oui le service est efficace, sécure, offre un grand choix et vraiment – la dessus ils sont unanimes - met le déplacement à un coût très abordable : deux à quatre fois moins que ce qu’ils auraient dû payer en train. En revanche la commission de service, ça ne passe pas. « C’était gratuit jusque là non ? En fait ils vont se faire plein d’argent sur le dos des covoitureurs ». « Mais comment alors assurer un service de qualité, réalisé par des salariés qualifiés et normalement rémunérés ? Rétorquais-je, En un an le personnel employé par Blabla car n’est il pas passé de 35 à 89 personnes et particulièrement des jeunes ! »
Ma covoitureuse la plus militante connait l’argument. « J’ai du mal à croire qu’ils aient besoin d’autant de monde. Pour faire quoi ? ». Quant à la solvabilisation du site, « pourquoi ne pas le faire avec des recettes publicitaires ? S’accordent à dire mes deux autres passagers. J’avoue que cet argument me laisse coi ! Il me rappelle la proposition d’un ami de remplacer les impôts par un système généralisé de loterie nationale ! (je n’ai jamais sû si c’était pour rire).
Le procès en marchandisation
Sensibilisé au sujet, j’ai vu les jours suivants, que ce débat était d’actualité sur les réseaux sociaux et d’information. Rue 89 y a consacré plusieurs tribunes. C’est mon ancien collègue Jean Marie M (amis sur Facebook) qui m’a mis sur la piste d’une des plus intéressantes contributions : le témoignage polémique d’Emilie Rouchon. « Pour Emilie, le covoiturage c’était le partage, l’écologie et la gratuité. Mais ça, c’était il y a cinq ans. Aujourd’hui elle rend son tablier à BlablaCar, ex-Covoiturage.fr. » Je vous recommande la lecture intégrale de sa contribution.
Je comprends un certain nombre des arguments défendus dans cet article – et par mes compagnons de blabla - mais je ne partage pas la critique radicale qu’ils soutiennent. Je trouve nécessaire et juste de payer le prix d’un service quand il est de qualité**. Et l’existence d’opérateurs très professionnels me semble être la condition pour que ce mode alternatif de transport s’installe durablement et oblige les autres acteurs à évoluer.
Mais n’est-ce pas précisément ce qu’appréhendent et contestent les protestataires, adeptes d’un covoiturage militant : le dévoiement d’une utopie transformatrice des rapports sociaux par les tenants d’une économie de services généralisée. Au delà, ils agitent le spectre d’une marchandisation généralisée de la sphère des échanges solidaires.
Développer des solutions alternatives
A coté de services marchands comme Blablacar, on peut imaginer des utilisateurs qui s’organisent sous forme communautaire et associative pour structurer le service de mise en relation (ce n’était pas que je sache le modèle initial de covoiturage.fr). Mais cela peut-il fonctionner durablement sans faire appel à des professionnels salariés qu’il faudra payer. Il est nécessaire alors d’imaginer un système de solvabilisation du service à sa juste valeur, par l’usager, à moins que l’on considère que le financement du service doivent être public ? En ce qui concerne les différentes modalités de financement rappelons-nous que le système de gratuité du service et de solvabilisation par la publicité n’est pas moins commercial que le système de commissions.
Restera au covoitureur - conducteur ou passager - à choisir entre l’usage d’un service réalisé par des opérateurs à caractère purement commercial ou ceux qui relèveront plutôt de l’économie sociale, voire directement d’un service public des transports. La qualité du service restera toujours un facteur de choix déterminant.
Bien sûr mon raisonnement atteint sa limite si un opérateur comme Blablacar, bénéficiant de la prime des pionniers qui réussissent sur un marché émergeant, se retrouve en position monopoliste, empêchant les autres modèles de se développer. Touts dépend alors de la réelle capacité régulatrice des pouvoirs publics dans nos pays démocratiques, en économie ouverte. L’utilité du débat entretenu par mes compagnons de voyages et par les lanceurs d’alerte comme Emilie Rouchou est sans doute de nous le rappeler et de nous tenir éveillés.
Alain JAUNAULT
Notes
* Avant l'existence des applications internet 2.0 (de type réseau social), la mise en relation entre covoitureurs ne pouvait se faire que sur des territoires restreints (l'entreprise, le voisinage, une association locale, les systèmes d'affichages publics...). La création de sites comme covoiturage.fr a démultiplié la capacité de se mettre en réseau et l'offre d'échanges.
** A une nuance près cependant pourquoi faire supporter le prix du service seulement aux passagers ? Les conducteurs ne sont-ils pas autant bénéficiaires du service ?
Pour poursuivre la réflexion
L'article de rue 89 de Décembre 2011 : fin de l'Utopie ? Le premier site de covoiturage devient payant.
Les alternatives
Le site du covoiturage libre et gratuit : covoiturage-libre.fr
Un site Européen : carpooling.fr
La revendication écolo : La roueverte.fr
L'offre publique du Conseil général du Finistère : covoiturage-finistère.fr
L'offre publique en Loire Atlantique : covoiturage.loire-atlantique.fr
L'article de rue 89 de Décembre 2011 : fin de l'Utopie ? Le premier site de covoiturage devient payant.
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Le site du covoiturage libre et gratuit : covoiturage-libre.fr
Un site Européen : carpooling.fr
La revendication écolo : La roueverte.fr
L'offre publique du Conseil général du Finistère : covoiturage-finistère.fr
L'offre publique en Loire Atlantique : covoiturage.loire-atlantique.fr