La folie qu'on forme

Au mois de mars se déroule, un peu partout en France, la semaine de la Santé mentale. Sur le prospectus, on lit qu' « il s'agit d'améliorer la connaissance des réponses qui sont apportées aux personnes touchées par la maladie mentale, de faire évoluer les représentations, de favoriser la mobilisation et la coopération de tous les acteurs ».

De multiples conférences à toute attention pour bonnes intentions se multiplient avec des titres comme « vivre ensemble avec nos différences ». Le 12 mars 2012, une visite des œuvres exposées dans l'hôpital psychiatrique Guillaume Régnier à Renes est organisée. L'idée est de les découvrir les œuvres artistiques faites par des patients, d'une manière originale : une chorégraphe micro à la joue et haut-parleur à la taille se charge de la visite. Dans le cortège, le directeur de l'hôpital, des importants du milieu de la psychiatrie, des gens qui se connaissent, ou pas. La visite commence par un moment de relaxation les yeux fermés, le visage tourné vers le soleil. La chorégraphe demande de marcher à reculons pendant un moment. La foule, perplexe, joue le jeu. Imaginez juste un groupe d'une cinquantaine de personnes, dans l'enceinte d'un hôpital psychiatrique qui marche à reculons sur une vingtaine de mètres. Ou comment flinguer les progrès d'un patient qui a eu le malheur de regarder par sa fenêtre. Mais aussi réfléchir à la notion de folie. Parce que quand la folie est généralisée, est-ce encore de la folie?

« Conformed to Love » Lauryn Hill, en live au JazzOpen à Stuttgard en 2005. Lauryn Hill, une de ces voix déchues au cœur déçu, comme Whitney Houston. Entre bipolarité persiflée et come back où on la voit pinturlurée en train d'hurler, Lauryn Hill est une reine qui soit ne comprends pas tout, soit reste incomprise. Tout l'enjeu de la folie est là. Dans « conformed to love », Lauryn Hill demande qu'on lui montre comment faire pour aimer, être aimée. Elle pourrait alors avoir la sécurité de l'amour. C'est vrai que devant la complexité de l'amour, entre injonctions sociales, place à trouver pour chaque identité, passion dévorante et destructrices, on est en droit de demander un mode d'emploi. Une recette. Ou alors une liste de critères à remplir pour obtenir un label pour la beauté de l'amour. Or, demander à être conforme à aimer, c'est être fou amoureux, folle amoureuse. Et tant mieux. Interdire les tiédeurs comme dit JJG quoi. A tous les censeurs, de la Rochefoucauld a dit : « Qui vit sans folie n'est pas aussi sage qu'il croit »

La semaine de la santé mentale, c'est l'occasion selon les organisateurs d'apporter un « autre regard ». Pendant la visite de l’hôpital psychiatrique Guillaume Régnier à Rennes, alors que la foule d'invités se prête / de presque bonne grâce / aux douces excentricités de la chorégraphe, un cri parvient d'un bâtiment : « au secours ! ». Puis « libérez les prisonniers, libérez les prisonniers ». Les voix viennent d'une terrasse du premier étage d'un bâtiment. La terrasse est clôturée par de hauts grillages verts. Une sorte de cage en plein air. Les mots du prospectus résonnent : « valorisation et intégration sociale dans la cité ».  «Ces grillages ont été mis il y a 5 ans,» confie un médecin. « Le côté tout sécuritaire qui vire au zoo,» s'indigne-t-il. La visite continue. L'architecture étonne. Quelques façades de vieux batiments ont été refaites en grilles /grises qui s'arrêtent aux 3 quarts des fenêtres. Une silhouette apparaît dans l'une d'entre elles. Une question : Comment se libérer psychologiquement avec des grilles aux fenêtres et terrasses ? Après l'effervescence des sourires cultivés, des verres proposés, et discours proposés, place à l'effervescent.

Illustrations sonores:

Crazy World, Glen Washington.