Emanuel Illi Sirpasi, le jeune à l’aise dans ses baskets


Emanuel habite à Maurepas depuis 2016. A 21 ans, il se sert de son expérience personnelle pour aider les gens à s’affirmer au travers de la mode et des vêtements, tout en luttant contre les stéréotypes et les préjugés.


“Je souhaite aider les gens, et notamment les plus jeunes, à s’accepter et à prendre confiance en eux.” Emanuel Ili Sirpasi, ou Manu, nous reçoit dans les locaux de l’association Keur Eskemm au pôle associatif de la Marbaudais. Lorsqu’il parle de son projet, ses yeux s’illuminent.

S’intégrer grâce à l’art

Arrivé en France en 2012, il vit pendant quatre ans à Bain-de-Bretagne, près de Rennes, avant de s’installer dans le quartier de Maurepas avec sa famille. Une sœur en alternance, un père ouvrier, une mère qui effectue des petits travaux. Les débuts sont difficiles. “Nous étions cinq dans un logement assez petit, se rappelle-t-il. Et puis on sortait du Covid, c’était compliqué de parler avec les gens. Mais on a fini par s’habituer.”

C’est dans ce contexte qu’Emanuel décide de s’inscrire à la mission locale. “Un jour, une conseillère m’a dit “Tiens, j’ai cette organisation qui propose des projets artistiques si ça t’intéresse”. Il s’agissait de la rénovation des locaux du Laboratoire Artistique Populaire (LAP) de Keur Eskemm. "J’avais pas grand chose d’autre à faire, je me sentais un peu perdu. C’était pour moi l’occasion de combiner un salaire et une activité plaisante. J’y suis allé, et j’y ai tout de suite pris goût. C’était génial.”

Sa participation au LAP, de janvier à juillet 2022, l’a aidé à davantage se sentir chez lui. “Au début, j’étais assez mitigé, raconte le jeune artiste. C’était tellement flexible, rien à payer, juste mener des projets artistiques. Est-ce qu’on me vendait du rêve ? Mais non, c’était bien ce qu’on m’avait dit : un endroit chouette et flexible, qui adore l’art et qui ne demande rien en retour”. “Après, j’ai pris le rythme, poursuit-il. Je me suis fait une amie très tôt.  Et ça m’a aussi permis de mieux m’intégrer dans le quartier. Avant, je ne me sentais pas vraiment habitant de Maurepas.”

Évoluer et devenir soi-même

L’année 2022 représente un véritable tournant pour Emanuel. Il participe à quelques ateliers de customisation et de couture, à l’attention des jeunes notamment. Et puis, vers la fin du LAP, il prend part à un projet de bodypainting avec une dizaine d’autres habitant.es du quartier. Le but : raconter leur histoire via la peinture sur leur corps. Les photos sont ensuite imprimées sur grand format, et exposées place Sainte Anne. “C’était mon premier vrai photo shooting ! s’enthousiasme le jeune homme. Si je n’avais pas participé à cet atelier, aucun des mes projets futurs n’aurait vu le jour. Je me suis fait de vrais ami.es, qui m’ont aidé à évoluer et avec qui je peux véritablement être moi-même.”

A la suite de sa participation au LAP, Emanuel reçoit une proposition de service civique. Avec quelques ami.es du quartier, il a alors l’idée d’un défilé de performances. L’objectif : aider les plus jeunes à prendre confiance en eux et à s’assumer, tout en luttant contre les stéréotypes et les préjugés. “Manu est quelqu’un de très volontaire et qui a beaucoup à dire, confirme Pierre Durosoy, coordinateur général de Keur Eskemm. Les inégalités et les discriminations le touchent beaucoup.”

Les vêtements et la mode ont une place importante pour Emanuel. “J’ai toujours aimé m’habiller et être classe, me coiffer et tout ça, explique-t-il. C’est venu très tôt, vers dix ans. A l’époque j’avais un style un peu décalé, et on me jugeait beaucoup pour ça. Je me dessinais sur les mains, je me coloriais les ongles.” Une fois le lycée terminé, le jeune homme est plus à l’aise avec lui-même et commence à vouloir tester des choses : “J’ai eu la chance de rencontrer des personnes dont le style me correspondait. C’est important de trouver des personnes qui te comprennent, de recevoir des petits compliments, d’avoir des ami.es au style différent”.

Montrer la diversité

Le 8 mars, à l’occasion du festival « Nos Futurs » aux Champs Libres, les huit modèles défilent. Musique techno, miroirs, projecteurs. Emanuel apparaît, vêtu d’un large pantalon avec de longues chaînes et d’une courte veste ouverte. Il porte également de nombreux colliers. Au dos de sa veste, un mot en russe, редкий, “rare” : “Les vêtements sont la première chose que l’on voit chez une personne. Ça dit beaucoup d’elle. Je trouve ça important qu’ils représentent qui je suis”.

Les performances s’enchaînent, les modèles défilent. Ils rayonnent. Chacun une histoire particulière, chacun une tenue différente. Elles ont été faites sur mesure, principalement à partir de vêtements récupérés et d’occasion, en se basant sur leur histoire et leurs témoignages. “C’est cette diversité que nous souhaitions montrer, témoigne l’apprenti modéliste. C’est essentiel pour moi de travailler avec des gens en qui j’ai confiance. Je voulais les propulser, leur donner un coup de pouce, en se basant sur leur talent et leur histoire. J’avais aussi envie de pouvoir partager quelque chose avec eux.”

Grâce à ce projet, Emanuel a également trouvé sa voie. Avec ses ami.es, ils se sont constitué.es en collectif. “Tout ça m’a permis de gagner une certaine confiance en moi, raconte-t-il. Il y a un an de ça, je me sentais un peu perdu. Aujourd’hui j’ai un réel sentiment d’accomplissement. Je suis plus relâché, je kiffe la personne que je suis devenue. Le groupe m’a aussi apporté beaucoup de choses.”

S’il n’a pas encore idée de ce vers quoi il veut s’orienter exactement, il sait qu’il veut rester dans le monde artistique et culturel : “Rencontrer des gens est vraiment quelque chose qui m’a marqué, moi qui était plutôt introverti auparavant. Je veux rester dans ce domaine et créer des projets artistiques. J’aime toutes les formes d’art, je n’aime pas faire des choix”.

Un quartier chouette et varié

Avec ce défilé, Emanuel souhaite également échanger avec le public autour de la mode, de la discrimination et des différences, des sujets qui lui tiennent particulièrement à coeur. “Nous voulons aider les gens à se sentir mieux, leur montrer que c’est possible”, justifie-t-il.
Des discriminations, le jeune homme en perçoit dans le quartier. Pas tellement de la part des habitant.es, mais davantage de personnes extérieures. “C’est dommage, déplore-t-il. C’est un quartier très varié en soi, très chouette. Un des meilleurs de Rennes. Pendant longtemps j’ai pas fait gaffe, mais il y a plein d’associations, plein d’activités, et des personnes géniales qui font vivre tout ça. Si tu t’intéresses au quartier, tu trouves des choses.”

Daphné Brionne