Le commentaire de Jean Marichez
Beaucoup d’idées intéressantes dans ces réponses. En fait, il y aurait énormément de choses à dire.
D’abord la question me semble dangereuse car chargée et orientée. En effet, elle implique qu’être non violent est un choix, qu’on le serait ou qu’on ne le serait pas. Ce n’est pas si simple. Tout le monde l’est plus ou moins. Il y a des tas de gens qui ont horreur de la violence et sont incapables de pratiquer la moindre action violente, mais qui approuveront l’emploi des armes pour sauver (par exemple) Benghazi. Il y a aussi des tas de gens qui se disent non violents et qui, à ce titre, ne bougeront jamais devant des situations graves et inacceptables qui peuvent être d’une extrême violence. Je n’aime pas ce verbe « être » devant « non violent ». Il est binaire, il y aurait les bons et les mauvais alors que nous sommes tous un peu des deux. Celui qui se veut non violent est plein de bonnes intentions mais qu’est-ce qu’ « être » non violent ? N’est-ce pas un radicalisme, un purisme et donc parfois un extrémisme dangereux ?
Beaucoup d’idées intéressantes dans ces réponses. En fait, il y aurait énormément de choses à dire.
D’abord la question me semble dangereuse car chargée et orientée. En effet, elle implique qu’être non violent est un choix, qu’on le serait ou qu’on ne le serait pas. Ce n’est pas si simple. Tout le monde l’est plus ou moins. Il y a des tas de gens qui ont horreur de la violence et sont incapables de pratiquer la moindre action violente, mais qui approuveront l’emploi des armes pour sauver (par exemple) Benghazi. Il y a aussi des tas de gens qui se disent non violents et qui, à ce titre, ne bougeront jamais devant des situations graves et inacceptables qui peuvent être d’une extrême violence. Je n’aime pas ce verbe « être » devant « non violent ». Il est binaire, il y aurait les bons et les mauvais alors que nous sommes tous un peu des deux. Celui qui se veut non violent est plein de bonnes intentions mais qu’est-ce qu’ « être » non violent ? N’est-ce pas un radicalisme, un purisme et donc parfois un extrémisme dangereux ?
Et que veut dire violent ? Pour les « non-violents », la violence dépasse de loin l’idée de violence physique, elle est partout, jusque dans l’éducation des parents et dans l’existence d’un pouvoir, etc. ainsi, comme tout est violence, la non-violence couvre tous les champs de la philosophie ; elle est le centre de tout progrès de l’humanité, elle ne peut être que radicale. Pour l’homme de la rue au contraire, la non-violence ne se réfère qu’à l’absence de violence physique. Pour d’autres, elle se confond avec le pacifisme qui est une espèce de non-violence radicalisée ; ainsi les pacifistes des années 70 et 80 disaient : « plutôt rouges que morts ». Les non-violents refusent le pacifisme car, disent-ils (comme Gandhi), il y a des cas ou il vaut mieux être violent que lâche. Bref, il n’est pas facile pour l’honnête homme de distinguer le radicalisme des non-violents et celui des pacifistes, par ailleurs non violents. Et à part les spécialistes, personne ne se comprend quand on parle de non violence.
Finalement, il y aurait encore beaucoup à dire mais pour faire court, je dirais que je préfère utiliser non violent en adjectif et non en substantif : on peut parler d’action non violente, de culture non violente, d’organisation non violente, de projet non violent, etc. De plus, et cela va de pair, je préfère (comme Gene Sharp), au nom de la clarté et de la communication entre humains, qu’on cantonne le mot violence à son sens de violence physique. Ainsi, l’adjectif non violent peut être mieux compris de manière uniforme et non ambigu car il se réfère à ce que tout le monde comprend : une action ou une chose sans violence physique. De plus, le domaine non violent est limité au substantif qui accompagne l’adjectif.
Il en est de même pour le mot « rebelle ». Être ou ne pas être rebelle a quelque chose de trop binaire. « Être rebelle » c’est l’être en tout et c’est en général le signe d’une insuffisante compréhension de la nature humaine, ou d’une rébellion contre ses parents, ou d’une souffrance et, dans tous ces cas, le rebelle se dresse contre l’humanité toute entière et peut devenir une pathologie psychologique. Donc, je retiendrai plutôt l’idée d’être en rébellion « contre » quelque chose et non pas « d’être » rebelle.
Parlons donc d’être en rébellion contre quelque chose. Une autre remarque s’impose, c’est qu’on ne sait pas encore quelle autre chose il faudrait mettre à la place. C’est souvent le cas des Indignés, ils se rebellent contre les excès de pouvoir de la finance, soit parce qu’ils sont trop jeunes encore pour avoir un avis, soit parce que c’est trop compliqué. Se rebeller ne peut être qu’un état transitoire. En effet, si l’on en reste là, la rébellion ne servira pas à grand chose, elle reste velléitaire. Il faut avoir un projet. Pour cela, il faut y travailler à plusieurs en prenant soin de le faire avec des gens compétents et réalistes, il faut parvenir à se fixer un but possible à atteindre, c’est à dire souvent un but limité et réaliste qui permettra ultérieurement de travailler à d’autres buts (qu’il importe aussi d’avoir en tête).
Dès lors, forts d’un objectif, on établira une stratégie, on y travaillera sérieusement avec des gens expérimentés. C’est un gros travail qui exige du courage et du temps. Ensuite, un jour viendra le moment de l’action. La stratégie (c’est à dire l’ensemble des moyens pour parvenir à l’objectif) privilégiera bien entendu les formes normales et démocratiques. Ce n’est pas parce qu’on est en rébellion contre quelque chose qu’on doit tout de suite passer à la grève ou à la désobéissance comme cela se passe trop souvent.
Il y a toute une gradation de formes en commençant par les plus douces : on peut se regrouper, créer une association, faire des articles, écrire un livre, faire un film, des conférences, faire des pétitions, rencontrer des élus ou des échelons de pouvoir, utiliser des syndicats, puis seulement lorsque tout a été essayé, passer à des actions non violentes comme les manifestations, les sit-ins, la grève, le boycott, etc. Mais attention, ce sont déjà des actions de force puisqu’on veut passer en force, contraindre un adversaire, en utilisant la puissance des masses populaires qui est la plus puissante de toutes les forces (même militaires). Il importe donc de graduer l’action et de l’adapter à la gravité.
Les actions de force peuvent devenir plus contraignantes encore avec la désobéissance civile ou des actes de défi contraires à la loi. Mais, attention, on transgresse ici la loi et cela ne peut se justifier que par des situations d’extrême gravité (critère : certains sont prêts à donner leur vie). D’autres conditions s’imposent aussi pour justifier des actions non violentes qui entendent « passer en force » : il faut que la cause soit juste (c’est à dire largement reconnue et pas seulement par quelques rebelles), qu’elle soit suffisamment juste pour devenir majoritaire dans l’opinion. Si elle n’a pas cette capacité à devenir majoritaire lorsque l’opinion sera suffisamment informée, on peut se poser des questions sur la justesse de sa cause.
En effet on est en démocratie et il n’y a pas de raison qu’un groupe minoritaire s’impose par la force (non violente). Enfin, lorsque toutes les formes de résistance, de révolution ou de rébellion de masse ont été mises en œuvre sans succès et que la situation est d’une gravité inouïe comme par exemple un génocide imminent, lorsqu’on en arrive à l'insoutenable et à la lâcheté de ne rien faire, alors l’action violente ou la guerre militaire peut même se justifier si toutefois elle est conçue autour d’un projet de paix. Et là, on voit les limites de notre volonté « d’être » non violent.
Et pour conclure je dirais que se rebeller sans un projet n’est pas suffisant. Qu’être non violent sans objet défini et sans disposer d’alternative efficace à la violence n’est qu’utopie. En première approche, oui on peut être à la fois rebelle et non violent mais on l’aura compris ces deux attitudes comportent beaucoup de limites et de problèmes. L’action non violente est d’une grande puissance, mais elle est mal connue, mal comprise, mal cadrée et même sacralisée. Elle n’en est qu’à ses balbutiements et gagnerait à être étudiée plus profondément et par des publics élargis au lieu de rester confinée dans les milieux rebelles ou non violents.
J.M.
A lire
- Retrouvez sur le blog la présentation de Gene Sharp par Jean Marichez
- « La guerre par actions civiles », de Jean Marichez et Xavier Olagne, édité par l’ex Fondation pour les Études de Défense en 1998, diffusé par La Documentation Française, Paris.
- « La force sans la violence, » de Gene Sharp, L’Harmattan, Paris, 2009
Finalement, il y aurait encore beaucoup à dire mais pour faire court, je dirais que je préfère utiliser non violent en adjectif et non en substantif : on peut parler d’action non violente, de culture non violente, d’organisation non violente, de projet non violent, etc. De plus, et cela va de pair, je préfère (comme Gene Sharp), au nom de la clarté et de la communication entre humains, qu’on cantonne le mot violence à son sens de violence physique. Ainsi, l’adjectif non violent peut être mieux compris de manière uniforme et non ambigu car il se réfère à ce que tout le monde comprend : une action ou une chose sans violence physique. De plus, le domaine non violent est limité au substantif qui accompagne l’adjectif.
Il en est de même pour le mot « rebelle ». Être ou ne pas être rebelle a quelque chose de trop binaire. « Être rebelle » c’est l’être en tout et c’est en général le signe d’une insuffisante compréhension de la nature humaine, ou d’une rébellion contre ses parents, ou d’une souffrance et, dans tous ces cas, le rebelle se dresse contre l’humanité toute entière et peut devenir une pathologie psychologique. Donc, je retiendrai plutôt l’idée d’être en rébellion « contre » quelque chose et non pas « d’être » rebelle.
Parlons donc d’être en rébellion contre quelque chose. Une autre remarque s’impose, c’est qu’on ne sait pas encore quelle autre chose il faudrait mettre à la place. C’est souvent le cas des Indignés, ils se rebellent contre les excès de pouvoir de la finance, soit parce qu’ils sont trop jeunes encore pour avoir un avis, soit parce que c’est trop compliqué. Se rebeller ne peut être qu’un état transitoire. En effet, si l’on en reste là, la rébellion ne servira pas à grand chose, elle reste velléitaire. Il faut avoir un projet. Pour cela, il faut y travailler à plusieurs en prenant soin de le faire avec des gens compétents et réalistes, il faut parvenir à se fixer un but possible à atteindre, c’est à dire souvent un but limité et réaliste qui permettra ultérieurement de travailler à d’autres buts (qu’il importe aussi d’avoir en tête).
Dès lors, forts d’un objectif, on établira une stratégie, on y travaillera sérieusement avec des gens expérimentés. C’est un gros travail qui exige du courage et du temps. Ensuite, un jour viendra le moment de l’action. La stratégie (c’est à dire l’ensemble des moyens pour parvenir à l’objectif) privilégiera bien entendu les formes normales et démocratiques. Ce n’est pas parce qu’on est en rébellion contre quelque chose qu’on doit tout de suite passer à la grève ou à la désobéissance comme cela se passe trop souvent.
Il y a toute une gradation de formes en commençant par les plus douces : on peut se regrouper, créer une association, faire des articles, écrire un livre, faire un film, des conférences, faire des pétitions, rencontrer des élus ou des échelons de pouvoir, utiliser des syndicats, puis seulement lorsque tout a été essayé, passer à des actions non violentes comme les manifestations, les sit-ins, la grève, le boycott, etc. Mais attention, ce sont déjà des actions de force puisqu’on veut passer en force, contraindre un adversaire, en utilisant la puissance des masses populaires qui est la plus puissante de toutes les forces (même militaires). Il importe donc de graduer l’action et de l’adapter à la gravité.
Les actions de force peuvent devenir plus contraignantes encore avec la désobéissance civile ou des actes de défi contraires à la loi. Mais, attention, on transgresse ici la loi et cela ne peut se justifier que par des situations d’extrême gravité (critère : certains sont prêts à donner leur vie). D’autres conditions s’imposent aussi pour justifier des actions non violentes qui entendent « passer en force » : il faut que la cause soit juste (c’est à dire largement reconnue et pas seulement par quelques rebelles), qu’elle soit suffisamment juste pour devenir majoritaire dans l’opinion. Si elle n’a pas cette capacité à devenir majoritaire lorsque l’opinion sera suffisamment informée, on peut se poser des questions sur la justesse de sa cause.
En effet on est en démocratie et il n’y a pas de raison qu’un groupe minoritaire s’impose par la force (non violente). Enfin, lorsque toutes les formes de résistance, de révolution ou de rébellion de masse ont été mises en œuvre sans succès et que la situation est d’une gravité inouïe comme par exemple un génocide imminent, lorsqu’on en arrive à l'insoutenable et à la lâcheté de ne rien faire, alors l’action violente ou la guerre militaire peut même se justifier si toutefois elle est conçue autour d’un projet de paix. Et là, on voit les limites de notre volonté « d’être » non violent.
Et pour conclure je dirais que se rebeller sans un projet n’est pas suffisant. Qu’être non violent sans objet défini et sans disposer d’alternative efficace à la violence n’est qu’utopie. En première approche, oui on peut être à la fois rebelle et non violent mais on l’aura compris ces deux attitudes comportent beaucoup de limites et de problèmes. L’action non violente est d’une grande puissance, mais elle est mal connue, mal comprise, mal cadrée et même sacralisée. Elle n’en est qu’à ses balbutiements et gagnerait à être étudiée plus profondément et par des publics élargis au lieu de rester confinée dans les milieux rebelles ou non violents.
J.M.
A lire
- Retrouvez sur le blog la présentation de Gene Sharp par Jean Marichez
- « La guerre par actions civiles », de Jean Marichez et Xavier Olagne, édité par l’ex Fondation pour les Études de Défense en 1998, diffusé par La Documentation Française, Paris.
- « La force sans la violence, » de Gene Sharp, L’Harmattan, Paris, 2009
Le commentaire de Florent Blanc
C'est une belle question. La poser, c'est ouvrir un espace d'expression où les lecteurs et les lectrices peuvent s'approprier un contenu sur lequel chacun peut créer momentanément un espace communautaire d'échange.
Mes réactions sur ces commentaires? Elles sont prudentes et émues à la fois.
Ce que j'ai lu vient de ... rebelles. Pas dit comme cela bien sûr puisque c'est un qualificatif dont on ne s'approprie pas mais qu'on se "fait coller dans le dos" comme dit l'un des lecteurs. Se qualifier de rebelle, c'est s'exposer à l'explication du ridicule de sa propre rebellion, et donc se faire dé-crédibiliser: il y a toujours plus résistant, toujours une cause plus juste et plus noble. Par contre, la rebellion, la révolution, la non-violence sont toujours perçus comme des signes distinctifs, des marques qu'on s'attribue et qui nous distingue des autres "qui n'ont pas su se lever".
Le romantisme qui est attaché à ces formes d'action politique - j'explique souvent à mes étudiants que la résistance, c'est ce personnage de Delacroix qui ouvre sa chemise devant les fusils du pouvoirs sur la barricade - mérite d'être interrogé. Pourquoi est-ce qu'on valorise les rébellions? Est-ce qu'une rébellion est toujours positive? Est-ce qu'un mouvement de résistance est toujours progressiste?
Je posais récemment la question suivante au conservateur du musée de la Résistance à Grenoble: serait-il d'accord d'organiser une exposition sur les résistances dans l'histoire française. Il a eu un mouvement de surprise et m'a demandé ce que j'entendais par "LES" résistances... Les résistances, ce sont aussi celles que l'on veut oublier: les mouvements poujadistes, les ligues des années 30, le mouvement de l'OAS qui résistait à l'indépendance algérienne contre l'avis du pouvoir français.
Résister est une attitude qui ne prouve en rien la justesse de la cause. Pour reprendre l'attitude romantique du personnage de Delacroix - le courage du "seul" face aux armes - elle est anecdotique. Cette forme de résistance tient de l'a-sociabilité ou relève du comportement criminel comme celui de cet états-unien qui, l'année dernière, a fait exploser son avion contre un immeuble fédéral au Texas pour protester contre les impôts. Le romantisme du "seul contre la violence du pouvoir" n'a pas lieu d'être.
La valorisation de la résistance crée une mémoire commune. Les individus se retrouve, parfois de façon fantasmée, autour de leur participation passée à des actions collectives de résistance, sur le mode du "tu te rappelles quand les flics nous ont chargés" ou "quand on s'est fait emmener pour avoir bloqué l'accès à la centrale". Cette mémoire commune constituée à partir des souvenirs d'une souffrance subie ensemble, fonde l'importance mais aussi l'autorité du discours de celui qui s'en prévaut. On le retrouve dans les discours des anciens "vous les p'tits jeunes vous n'avez pas connu l'époque des grandes grèves de 68" ou plus récemment "vous me faites bien rire avec vot' manif, vous qui n'avez jamais eu à faire du stop pour aller au lycée pendant la grève générale de 1995".
Un des lecteurs écrit qu'une manière de résister c'est de ne pas voter et de ne pas payer ses impôts... là ce n'est pas de la résistance, puisque la réponse de l'Etat n'est pas de donner la parole et d'écouter, voire de discuter un argumentaire, mais une simple sanction: tu ne paies pas tes impôts, voici les aggios. Tu ne votes pas, tiens, voilà le Borgne qui passe au second tour.
Il reste la question de la violence, qui fascine bien plus que celle de la non-violence. On trouve le mérite de sa propre résistance dans l'idée de braver un code: les cheveux bleus au lycée ou le piercing face aux parents, rouler sans permis, se faire emmener par les forces de l'ordre lors d'une manif, se positionner devant les chenilles d'un char sur la place Tien An Men etc. Dans nos sociétés occidentales où la force de la répression est, si ce n'est épisodique, du moins très limitée, on surévalue peut-être sa propre rebellion à l'égard du peu de violence dont on peut être la cible potentielle.
Résister, c'est être citoyen, c'est savoir pourquoi, comment et avec quelle intensité le faire. Jean Marichez, quand il parle de Gene Sharp, le dit très simplement: résister, c'est avoir une stratégie et une stratégie, c'est mettre en adéquation des moyens et des techniques de luttes, en face de points de contention en respectant une certaine proportionnalité. On ne s'immole pas en masse pour une augmentation des tarifs du timbre.
Florent Blanc, Ph.D.
Northwestern University
Institut d'Etudes Politiques de Paris
Retrouver sur le blog l'article de Florent Blanc Gene Sharp le vieux théoricien
C'est une belle question. La poser, c'est ouvrir un espace d'expression où les lecteurs et les lectrices peuvent s'approprier un contenu sur lequel chacun peut créer momentanément un espace communautaire d'échange.
Mes réactions sur ces commentaires? Elles sont prudentes et émues à la fois.
Ce que j'ai lu vient de ... rebelles. Pas dit comme cela bien sûr puisque c'est un qualificatif dont on ne s'approprie pas mais qu'on se "fait coller dans le dos" comme dit l'un des lecteurs. Se qualifier de rebelle, c'est s'exposer à l'explication du ridicule de sa propre rebellion, et donc se faire dé-crédibiliser: il y a toujours plus résistant, toujours une cause plus juste et plus noble. Par contre, la rebellion, la révolution, la non-violence sont toujours perçus comme des signes distinctifs, des marques qu'on s'attribue et qui nous distingue des autres "qui n'ont pas su se lever".
Le romantisme qui est attaché à ces formes d'action politique - j'explique souvent à mes étudiants que la résistance, c'est ce personnage de Delacroix qui ouvre sa chemise devant les fusils du pouvoirs sur la barricade - mérite d'être interrogé. Pourquoi est-ce qu'on valorise les rébellions? Est-ce qu'une rébellion est toujours positive? Est-ce qu'un mouvement de résistance est toujours progressiste?
Je posais récemment la question suivante au conservateur du musée de la Résistance à Grenoble: serait-il d'accord d'organiser une exposition sur les résistances dans l'histoire française. Il a eu un mouvement de surprise et m'a demandé ce que j'entendais par "LES" résistances... Les résistances, ce sont aussi celles que l'on veut oublier: les mouvements poujadistes, les ligues des années 30, le mouvement de l'OAS qui résistait à l'indépendance algérienne contre l'avis du pouvoir français.
Résister est une attitude qui ne prouve en rien la justesse de la cause. Pour reprendre l'attitude romantique du personnage de Delacroix - le courage du "seul" face aux armes - elle est anecdotique. Cette forme de résistance tient de l'a-sociabilité ou relève du comportement criminel comme celui de cet états-unien qui, l'année dernière, a fait exploser son avion contre un immeuble fédéral au Texas pour protester contre les impôts. Le romantisme du "seul contre la violence du pouvoir" n'a pas lieu d'être.
La valorisation de la résistance crée une mémoire commune. Les individus se retrouve, parfois de façon fantasmée, autour de leur participation passée à des actions collectives de résistance, sur le mode du "tu te rappelles quand les flics nous ont chargés" ou "quand on s'est fait emmener pour avoir bloqué l'accès à la centrale". Cette mémoire commune constituée à partir des souvenirs d'une souffrance subie ensemble, fonde l'importance mais aussi l'autorité du discours de celui qui s'en prévaut. On le retrouve dans les discours des anciens "vous les p'tits jeunes vous n'avez pas connu l'époque des grandes grèves de 68" ou plus récemment "vous me faites bien rire avec vot' manif, vous qui n'avez jamais eu à faire du stop pour aller au lycée pendant la grève générale de 1995".
Un des lecteurs écrit qu'une manière de résister c'est de ne pas voter et de ne pas payer ses impôts... là ce n'est pas de la résistance, puisque la réponse de l'Etat n'est pas de donner la parole et d'écouter, voire de discuter un argumentaire, mais une simple sanction: tu ne paies pas tes impôts, voici les aggios. Tu ne votes pas, tiens, voilà le Borgne qui passe au second tour.
Il reste la question de la violence, qui fascine bien plus que celle de la non-violence. On trouve le mérite de sa propre résistance dans l'idée de braver un code: les cheveux bleus au lycée ou le piercing face aux parents, rouler sans permis, se faire emmener par les forces de l'ordre lors d'une manif, se positionner devant les chenilles d'un char sur la place Tien An Men etc. Dans nos sociétés occidentales où la force de la répression est, si ce n'est épisodique, du moins très limitée, on surévalue peut-être sa propre rebellion à l'égard du peu de violence dont on peut être la cible potentielle.
Résister, c'est être citoyen, c'est savoir pourquoi, comment et avec quelle intensité le faire. Jean Marichez, quand il parle de Gene Sharp, le dit très simplement: résister, c'est avoir une stratégie et une stratégie, c'est mettre en adéquation des moyens et des techniques de luttes, en face de points de contention en respectant une certaine proportionnalité. On ne s'immole pas en masse pour une augmentation des tarifs du timbre.
Florent Blanc, Ph.D.
Northwestern University
Institut d'Etudes Politiques de Paris
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