Au beau milieu du quartier, Sarah entrouvre les portes de l’université


8 Novembre 2018



Une université au beau milieu du quartier de Villejean... Pour Sarah Dessaint, responsable du service culturel de Rennes 2, la culture n’est pas l’apanage des « sachants ». Avec passion, elle s’acharne à faire tomber les idées reçues et à créer des passerelles, espérant susciter des rencontres.

Ce jour d’octobre 2017, comme chaque année, l’association française du cinéma d’animation organise son festival annuel à Rennes. Mais cette fois, les projections ont lieu au Tambour, l’auditorium de l’université, qui offre quelque trois-cents places. Dans la salle, pleine à craquer, des étudiants, des membres du personnel de l’université mais aussi des enfants et des familles du quartier de Villejean… aux couleurs du monde. « Une petite victoire, se souvient Sarah. Tout le monde est resté au goûter. On a échangé, on a partagé… il y avait beaucoup de joie. »
 
L’université est née il y a cinquante ans, quasiment en même temps que le quartier de Villejean. De partout, ça pousse comme des champignons. Immeubles et centres commerciaux se trouvent enfermés dans un savant labyrinthe urbanistique qui bientôt coupe le quartier du reste de la ville. « Deux mondes se côtoient, confie Sarah, mais se rencontrent difficilement au quotidien… » Quand elle prend la direction du service en 2017, elle n’a qu’un seul vœu : ouvrir le campus et susciter des rencontres.

Issue d'un milieu populaire
 
La jeune femme sait de quoi elle parle. Elle a grandi dans un milieu populaire du Nord de la France, « fille de caissière et de routier » : « Nous ne sommes pas nombreux dans la famille à avoir eu la chance de faire des études. C’est grâce à cette école de la République que j’ai grandi et que je peux aujourd’hui exercer un métier qui me passionne. » Après des études à la fac de droit d’Orléans, à La Sorbonne et à l’université de Lille 3, elle devient directrice en 2005 des services culturels, de la communication et des archives à la ville d'Argentan. Cinq ans après, elle est nommée responsable des relations publiques et des relations presse du théâtre de l'Espal au Mans avant de prendre la direction des affaires culturelles à Dinard.
 
C’est avec un regard neuf que Sarah assure aujourd’hui la direction du service culturel de Rennes 2, à la tête d’une petite équipe de cinq personnes, au sein d’une université qui accueille quelque vingt-six mille étudiants, engagée plus que jamais dans cette démarche qu’elle nomme « socioculturelle » : « Un gros mot pour certains ! Mais pourtant, ce lien m’importe. Je ne peux pas imaginer une seconde que la fac et le quartier soient déconnectés. Permettre un accès à la culture aux habitants du quartier me paraît primordial et c’est important aussi dans l’autre sens : que la communauté universitaire, les personnes du milieu universitaire dit "sachant" aillent à la rencontre des habitants, qu’ils soient connectés à la réalité des habitants du quartier».

L'un des premiers campus de France
 
Il faut dire que l’université de Rennes 2 a été l’une des premières en France à se doter d’un service culturel, dès 1993. Parmi les pionniers, militants de l’époque, citons Benoit Careil, alors objecteur de conscience, aujourd’hui adjoint à la culture à la Ville de Rennes, fondateur du mythique Jardin moderne, ou encore Raymond Paulet, directeur de la communication du TNB Théâtre national de Bretagne. Le campus sera aussi l’un des premiers à se doter d’un auditorium et d’une galerie d’art contemporain.
 
Chaque année, la programmation culturelle s’organise de fin septembre à avril suivant le cycle des études universitaires : « Elle se veut diversifiée, ouverte aux cultures. Nous nous affichons aussi comme l’université de Bretagne et défendons cette culture traditionnelle que nous souhaitons partager avec les étudiants et les habitants. Revendiquer sa propre culture, c’est aussi reconnaître celle de l’autre. » 

La plupart des rencontres a lieu au Tambour. Au programme, théâtre, musique, cinéma, tables-rondes, rencontres, conférences… Le service anime également deux galeries où sont présentés peintures, photographies, art contemporain. Régulièrement, sont relayés événements et manifestations culturelles proposés par d’autres services de la ville, notamment l’Opéra qui initie une démarche de démocratisation.

« Aller à la rencontre des publics du quartier… ça ne fait pas partie des missions premières d’une université ! » Pourtant, Sarah va chercher à comprendre de quelle manière les liens peuvent se tisser. Il existe déjà des occasions de rencontres. Des enseignants de l’université de l’UFR de sciences sociales interviennent au collège Rosa Parks, accompagnant les jeunes rédacteurs du journal Mediaparks.

"Nous avons envie de vous rencontrer !"

Régulièrement, des collégiens sont invités à visiter le campus. Ils peuvent entrer dans les salles, participer à des cours. Bon nombre d’entre eux, émerveillés, découvrent qu’ils peuvent accéder aux études supérieures… Des étudiants musiciens interviennent dans les écoles tandis que d’autres accompagnent les jeunes en difficulté scolaire avec le soutien de l’Afev, Association de la fondation étudiante pour la ville.

« Toutes les raisons sont bonnes pour dire : "ce n’est pas pour moi" ! La montagne est grande à franchir pour oser entrer dans un milieu d’enseignement supérieur, en plus… dans un milieu de culture. Comment penser culture, loisirs alors que l’on n’a pas de travail, que ses besoins premiers ne sont pas satisfaits ? » Sarah, qui a fait sienne la pensée de Pierre Bourdieu et de l’habitus "patrimoine social et culturel", rencontre les habitants, les travailleurs sociaux, les responsables des équipements et directions de quartier.
 
Déterminée, elle cherche à repérer ce qui fait obstacle mais surtout, au-delà du frein économique, ce qui va susciter la rencontre. Et partout, elle clame haut et fort son invitation : « Oui, la culture s’adresse à toutes et tous. Nous avons envie de vous rencontrer. » Pas question de diffuser un savoir descendant. Avec les travailleurs sociaux, sont identifiés les temps les plus appropriés, les freins liés à la langue, à la compréhension, à la disponibilité : « Il y a une trentaine de nationalités représentées dans le quartier de Villejean, du Maghreb et d’Afrique noire mais aussi des pays de l’Est, d’Asie, d’Amérique ! »

Une frontière de plus en plus perméable
 
La démarche est novatrice et suscite l’intérêt. Des événements ouverts à tous, familles et habitants du quartier, s’organisent : expositions, concerts, vernissages en présence de l’artiste… La traditionnelle présentation de la saison, qui a lieu en septembre, devient un rendez-vous convivial. Des habitants du quartier assistent à la retransmission en direct du Médecin malgré lui de Molière et déjà, on parle de la prochaine retransmission proposée par l’Opéra sur grand écran.
 
Des jeunes osent franchir le seuil de la bibliothèque : « Peu d’entre eux savent que l’on peut s’y installer librement sans rien payer. Il n’y a pas que des ouvrages spécialisés et universitaires ! Il y a aussi des magazines du quotidien, des romans d’actualité, des bandes dessinées, des DVD, des dessins animés et films d’animation, des CD, des méthodes de langues, des films et ouvrages en langues étrangères… » Peu à peu, des contacts se nouent, des regards évoluent, des barrières s’estompent… d’un côté comme de l’autre ! « Les propositions sont présentées et discutées avec les travailleurs sociaux de la maison de quartier, du centre social, de la direction de quartier Nord-Ouest », précise Sarah, qui les présente ensuite aux habitants présents dans les conseils d’administration. « En fonction de l’intérêt et des inscriptions, nous organisons la participation, réservons des places. C’est un travail de fourmi mais le bouche à oreille fonctionne bien et la frontière devient de plus en plus perméable. »

Fêter l'université et la culture
 
En 2019 seront célébrés les 50 ans de Rennes 2, une belle occasion, espère Sarah, de fêter l’université mais aussi le quartier et ses habitants : « Nos résultats ne sont pas spectaculaires et il y a encore beaucoup de représentations à faire tomber. Nous n’en sommes qu’au début mais déjà, les choses évoluent. Il y a des désirs de part et d’autre de se rencontrer. La démarche est désormais inscrite au projet de l’université, c’est une première ! Et la directrice du centre social a intégré le conseil culturel de l’université…  La culture et l’art peuvent amener une respiration, de la joie, un espoir… Il nous faut garder cette énergie, ces convictions fortes qui nous animent. Partout, il y a des gens militants, qui espèrent, qui agissent. À nous de nous rencontrer, d’agir ensemble, de nous rapprocher pour que nos actions se trouvent amplifiées, perceptibles, efficaces. Au cœur de notre projet culturel culmine le mot engagement. C’est ce que nous souhaitons valoriser ».

Texte et photos : Tugdual Ruellan

Découvrir la programmation du service culturel de Rennes 2 ICI.