4 Février 2022

Kelly, 18 ans et Yasmine, 15 ans


Deux jeunes filles racontent le quartier


Kelly : "Villejean est un ghetto"..."Pourtant j'aime ce quartier"
Kelly est inscrite en première année à la faculté de droit à Brest, elle veut devenir avocate. Elle a fréquenté le collège Rosa Parks et le lycée Victor et Hélène Basch. Sa famille est originaire de la République Démocratique du Congo. Yasmine est en seconde au Lycée Victor et Hélène Basch, après avoir été collégienne à Rosa Parks. Elle est d’origine algérienne. Elle n’a pas souhaité être photographiée.

Aimez-vous votre quartier ?

Kelly : Villejean est un ghetto pour Arabes et Africains. Les classes sociales ne se mélangent pas. C’est ce qui me dérange le plus. Pourtant je suis attachée à ce quartier. J’y ai vécu dix  années, j’y ai tous mes amis. J’y ai vu aussi des gestes de bienveillance à l’égard des anciens. Quand ma grand-mère peine à porter ses sacs de courses dans la rue, des inconnus l’aident.  
Yasmine : Je n’aime pas ce quartier. Je préférais la région des Ardennes où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 8 ans. Ici, je me sens surveillée dans mes faits et gestes, notamment par la famille de mon père. 

Quelle est votre situation familiale ?  

Kelly : Ma mère nous a élevées seule. Nous sommes trois enfants, je suis l’aînée. Je bénéficie d‘une bourse pour faire mes études.
Yasmine : Mes parents sont séparés. Nous vivons à quatre avec ma mère, je suis l’aînée. Mon père a six enfants. Il habite un autre quartier.

Quels souvenirs gardez-vous de votre vie de collégienne à Rosa Parks ?

Kelly : En participant au journal du collège « Mediaparks » (1), j’ai bénéficié d’écoute et d’une qualité d‘échanges avec les adultes. J’ai beaucoup apprécié, c’est ce qui nous manque à nous les jeunes, que des adultes nous écoutent. J’ai appris au collège des valeurs comme le respect mutuel, l’humanisme.
Yasmine  : En troisième, j’ai participé au journal Mediaparks en écrivant « Une lettre à l’Europe », c’était intéressant. Ce qui était moins bien, c’était le harcèlement d’une bande de garçons en quatrième. Dans le collège, alors que j’étais en train d’ouvrir mon casier,  ils m’ont touché les fesses et ont essayé de m’enlever mon tee-shirt. J’ai eu aussi un flirt avec un élève de troisième. Notre relation était amicale au début. Plus tard, il est devenu plus entreprenant. Comme je refusais ses avances, il m’a donné une claque devant mes amies.

J’ai alerté l’assistance sociale du collège. Bien que j’aie eu peur de sa réaction, j’ai accepté de m’expliquer en tête à tête avec lui. J’ai compris que sa violence avait pour origines,  une histoire familiale difficile et de mauvaises fréquentations. J’ai décidé de ne plus le voir, je l’évite aujourd’hui encore. J’ai beaucoup souffert à cause de cette histoire. Depuis, je me tiens à l’écart de jeunes garçons qui s’adressent à moi de manière trop familière ou vulgaire. Je ne me laisse plus faire.

Avez-vous eu de mauvaises expériences avec les réseaux sociaux ?

Kelly : Ma sœur qui était en 5ème a été menacée. Ca a commencé par des rumeurs, postées sur les réseaux sociaux par un garçon de son age. Une autre fille du quartier de Maurepas qui avait des visées sur le garçon a considéré ma sœur comme une rivale. Elle a voulu se venger. Elle est venue à Villejean avec une bande de filles armée de bouts de bois. Ma sœur et ses copines se sont retrouvées en face de ces furies à la sortie du collège. Il y a eu une bagarre générale et une intervention de police Tous les conflits commencent sur les réseaux sociaux. On publie des photos compromettantes de jeunes filles. Ou alors on se lance des défis idiots « Si tu ne te bats pas, t’es un lâche ». Il n’y a pas de limites. Sur Snapshat ou Instagram, tout va très vite. On se connaît tous, on filme tout et n’importe quoi, on partage les vidéos, on met de l’huile sur le feu. Comme on est géolocalisé, tout le monde sait qui on est et envoyer des commentaires.  
Yasmine  : Suite à la rupture avec mon copain, mon compte Instagram a été piraté. Mes conversations privées ont été envoyées à ma sœur aînée. J’ai identifié la personne qui a voulu me nuire.

Avez-vous observé des actes de racisme dans le quartier ?

Kelly : Dans mon immeuble, de la part d’un voisin qui vit à mon  étage. Un jour, devant l’immeuble, alors que j’avais invitée une copine à la maison, il m’a lancé: « Sales blacks, retournez chez vous, vous n’avez rien à faire ici !». J’en ai parlé à ma mère qui est allée sonner chez lui. Il a démenti avoir prononcé cette phrase. Depuis, nous ne nous adressons plus la parole.
Yasmine: Je suis musulmane pratiquante. J’aimerais me voiler. Je ne le fais pas parce que je ne veux pas qu’on m’impose de l’enlever, par exemple pour aller en cours. J’ai l’impression que  je suis stigmatisée à cause de ma religion.

Que pensez-vous des jeunes de votre âge qui vivent à Villejean ?

Kelly : Habiter ce quartier, c’est un handicap. Les gens de l’extérieur ont des clichés sur nous. Faire des études ? On nous dit qu’on n’a pas le niveau. Trouver du travail ? On pense qu’on n’y arrivera pas. La tendance est au défaitisme. Il faut être très déterminé et têtu pour y arriver.  
Yasmine : Entre nous, on est très conformistes. On veut tous se ressembler. Dès qu’on adopte un look différent ou des goûts différents, on est exclu du groupe.

Avez-vous des solutions pour améliorer la vie ici ?

Kelly : Que les adultes écoutent davantage les jeunes. On a besoin d’avoir notre place dans la société . Et puis pour ne pas tourner en rond, on devrait nous proposer beaucoup plus d’activités sportives : foot et boxe pour les garçons ; basket, gym, danse, badmington pour les filles.
Yasmine : Je pense que certains parents sont trop laxistes dans l’éducation de leurs enfants. On a besoin de règles quand on est jeune.  

TEXTE ET PHOTOS : CATHERINE VERGER

 

Mediaparks

Mediaparks est un projet éducatif, citoyen et collaboratif. Son fondateur est Ronan Cherel, enseignant d'histoire-géographie-éducation civique au collège Rosa Parks. L’association produit le blog Mediaparks qui forme à l’analyse critique des médias, à travers des ateliers, à l’échelle, locale, régionale, mais aussi européenne.