« Le cœur du truc, c'est la rencontre humaine » (Photo T. Boussier)
« Mon parcours est marqué par l'éducation populaire et l'international avec un ancrage local », indique Luzia. Elle a 30 ans cette année dont près de la moitié dans l'engagement. Tout commence à 16 ans quand elle se propose comme aide-animatrice d'un camp de vacances un peu particulier, fait d'une cinquantaine de jeunes de 6 à 17 ans valides ou handicapés - trisomiques, autistes ou souffrant de retards mentaux - qui vont vivre ensemble dans la nature. Découvrant là « tout ce qu'on peut apprendre de l'autre », elle va se former et, de 21 à 23 ans, en est directrice.
« Pour moi ces camps ont beaucoup compté. En quinze jours on voyait les gens évoluer. Je me souviens de Matthieu, autiste, qui prenait l'éponge pour essuyer la table : il faisait partie du groupe ! Au début, on sort de sa zone de confort, cela demande un climat de confiance. Accepter la diversité, l'autre tel qu'il est, n'est pas facile. Quand un enfant trisomique fait une crise, on l'accueille, on ne va pas dire qu'il faudrait qu'il soit mort avant sa naissance. C'est une vraie expérience de réciprocité. On croit qu'on va donner, et on grandit beaucoup grâce à eux ».Pour Luzia la vie est une dynamique, tissage permanent de relations entre soi et les autres :
« Dans la rencontre, j'ai expérimenté la différence, et de là je me suis mise à voyager. L'autre m'intéresse dans sa diversité, il me permet d'apprendre à me connaître. »
Comprendre comment vivre ensemble
Vincent et son filleul Tanish, avec Luzia (Photo Proxité)
La diversité, c'est par exemple la rencontre de personnes d'opinions et de cultures différentes. Comme au Mali où elle effectue en 2010, avant la crise, une enquête sur les acteurs de la solidarité internationale. Elle rencontre « beaucoup de mamans engagées » dans ce pays d'une « si grande richesse culturelle ». Et aussi des Maliens qui se demandent s'ils vont exciser leur fille :
« Je ne juge pas mais je vais essayer de comprendre comment on peut vivre ensemble. Il faut avoir envie de cela. Beaucoup de gens sont dans le débat, parfois c'est utile. Mais le préalable est dans l'écoute sincère de là où en est l'autre, sans le juger. L'autre peut changer d'avis mais ce n'est pas mon but. Je peux lui dire qui je suis, dans l'altérite : je ne suis pas dans la neutralité. L'excision est à bannir, mais je ne juge pas la personne prise dans la complexité de la société, je vais essayer d'ouvrir le champ des possibles ».Un chantier au Népal lui fait toucher du doigt « la complexité de la solidarité internationale ».
« Difficulté d'un travail fait vraiment ensemble, incidence de l'interculturel, questions sur l'adéquation entre actions et besoins réels des populations, ou sur le tourisme solidaire : sert-il vraiment le bien commun ? Par exemple nous collections les déchets, mais finalement au nom de quoi ? Comment travailler ensemble pour faire avancer ? »
Apporter du sens
Luzia a vécu plusieurs années à l'étranger : Irlande, Népal, Mali, Jakarta, New Delhi... Là-bas, en Inde, elle travaille dans un programme d'incubateur de projets de vie pour des jeunes de bidonvilles :
« Ils étaient quinze. En un an il s'agissait de leur faire connaitre le fonctionnement d'une micro entreprise, le travail d'équipe, les codes pour intégrer le monde du travail, et trouver du travail par eux-mêmes. On a vu se développer leur confiance en eux : ils ont osé penser qu'ils pouvaient faire partie du monde du travail décent, et quitter l'univers du travail sous-payé, sans vacances, indécent ».Son regard à elle sur l'entreprise va évoluer, considérant qu'il faut travailler avec elles: «Les entreprises apportent des gens qui vont nous ouvrir à d'autres points de vue ; nous apportons du sens» résume-t-elle.
« Sortir la tête de là où on est »
Frédéric avec son filleul Mohammed (Photo Proxité)
Cette complémentarité est une part de son travail rennais d'aujourd'hui à Proxité, où elle mobilise à la fois son bagage universitaire - licence info-com, master de solidarité internationale et d'action sociale - et son expérience humaine, mosaïque aux couleurs du vaste monde.
Depuis plus d'un an, responsable territoriale et des parrainages jeunes-adultes au sein de cette structure qui promeut l'insertion via des parrainages très locaux au sein d'entreprises, Luzia « fait tout pour faire bouger les choses ».
Depuis plus d'un an, responsable territoriale et des parrainages jeunes-adultes au sein de cette structure qui promeut l'insertion via des parrainages très locaux au sein d'entreprises, Luzia « fait tout pour faire bouger les choses ».
« Il y a un bel écho : parce qu'elles sont dans un quartier et que ça fait sens, des entreprises ont envie de proposer cette démarche bénévole à leurs collaborateurs. Ceux qui se lancent s'y retrouvent, donnant du sens à un quotidien parfois aliéné par le résultat, la performance, la course au temps... et finalement trouvent ce temps supplémentaire qu'ils ne pensaient pas avoir. Il faut parfois sortir la tête de là où on est, et rencontrer des personnes différentes pour vivre des moments forts C'est du gagnant-gagnant ! »Ces jeunes de 11 à 30 ans sont reçus pour des stages de troisième, des ateliers de préparation aux examens, d'orientation scolaire en complément de la famille, de gestion du stress, d'expression orale, « toujours dans le "faire avec" »
« Ces actions ont un impact direct sur le quartier. Les jeunes sont fiers d'avoir des parrains-marraines qui s'intéressent à eux, leurs gouts, leurs résultats, ou vont avec eux au Stade rennais.»
Plein de jeunes des quartiers prioritaires ont envie de s'engager
Avec Daana (Photo Proxité)
Le contraste est grand entre ces salariés inclus dans la société, et les filleuls dont certains sont sans domicile fixe, viennent de l'aide sociale à l'enfance, sont très seuls dans leur recherche d'emploi.
Et Luzia, on aimerait savoir quelle flamme nourrit sa passion pour que l'être humain se relève, sa capacité d'émerveillement, son respect. Mais « c'est personnel ». Elle évoque cependant sa mère :
Thierry Boussier
« Certains ne savent pas faire une recherche internet, ils n'ont pas assez confiance en eux. Alors on se met côte à côte et on regarde ensemble sur l'ordinateur. On ne travaille qu'avec des gens qui ont envie de s'engager. Et plein de jeunes ont envie de s'engager. Ce qu'on propose aux gens c'est de se rencontrer et de grandir ensemble. Ils sont tellement géniaux ces jeunes, ils nous apprennent sur la société d'aujourd'hui, nous remettent face à la réalité. On est témoin de leur prise de confiance, de leur résilience, des chemins qu'ils prennent vers leur réussite au moment où ils commencent à croire en eux et à leur futur. Et on voit l'impact sur eux et leurs familles. »
Et Luzia, on aimerait savoir quelle flamme nourrit sa passion pour que l'être humain se relève, sa capacité d'émerveillement, son respect. Mais « c'est personnel ». Elle évoque cependant sa mère :
« Elle a toujours eu beaucoup de respect et faisait se rencontrer des gens, elle avait le goût de l'autre et de la différence. Si j'habite en quartier prioritaire, c'est pour ça. Le cœur du truc, c'est la rencontre humaine, c'est ça qui nourrit ».
Thierry Boussier
Malgré le confinement
L'interview ayant été réalisée avant le confinement, nous avons réinterrogé Luiza sur la manière dont l'éloignement a été vécu :
« Nous nous sommes adaptés au maximum en encourageant les binômes à maintenir le lien via les différentes options qu'offrent la visio et le téléphone, et sommes réellement touchés qu'environ 90% de nos binômes entretiennent leur relation de parrainage en découvrant de nouvelles manières de communiquer et d'avancer ensemble. Certains bénévoles sont vraiment épatants dans leur disponibilité.
C'est aussi l'occasion de se rendre compte de la fracture numérique à laquelle font face certaines familles/certains jeunes (nous avons des programmes en place pour y répondre) et bien sur cela exacerbe les situations d'isolement de certain.es jeunes. Nous nous tenons spécialement disponibles pour eux afin de maintenir le lien social plus que jamais. »
Pour en savoir plus sur Proxité
Proxité est une association nationale qui propose à des jeunes, à partir de le 6e et majoritairement des quartiers prioritaires, d'être accompagnés par un parrain ou une marraine bénévole issu·e du monde du travail. Elle a été crée fin 2002 dans un quartier de Saint-Denis (93) et rassemble aujourd'hui quelque 800 bénévoles répartis dans seize antennes en France, investis notamment dans vingt-cinq quartiers prioritaires.
Les binômes jeune-salarié se retrouvent jusqu'à ce que l'objectif fixé ensemble au départ soit atteint, et ce dans l'entreprise pour les adultes, en centre social pour les ados. Des étapes sont prévues, le respect des horaires peut être une première satisfaction. Les salariés de Proxité assurent l'accompagnement du binôme.
Présente à Rennes depuis novembre 2017, l'association y compte aujourd'hui 42 binômes actifs. Une quinzaine de jeunes sont en attente de parrains bénévoles, des personnes en activité dans le monde du travail. Renseignements : parrainage de jeunes adolescents, Manon Zerna, 07 66 70 89 42 ; parrainage de jeunes adultes, Luzia Poulain, 06 65 32 24 71.